Airbnb France : ses rouages d’optimisation fiscale font jaser

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L’optimisation fiscale à la sauce Airbnb est pointée du doigt en France, à l’instar d’autres acteurs du numérique. Quels leviers ? Quelles réactions ?

Airbnb paie un peu moins de 70 000 euros d’impôt sur les sociétés en France pour un chiffre d’affaires déclaré de 4,95 millions d’euros en 2015 selon Le Parisien… Ce tableau synthétique reflète-t-il vraiment la réalité économique et fiscale d’Airbnb en France ?

Au regard de l’attractivité et du dynamisme d’activité de la plateforme de location de logements entre particuliers dans l’Hexagone, on peut émettre quelques doutes. À travers une enquête parue hier (édition du 11 août), Le Parisien a tenté de décortiquer les rouages fiscaux d’Airbnb.

La France occupe une part importante de son business car c’est la première destination de ses membres. Sur un total de 10 millions de voyageurs dans le monde ayant fait appel à ses services depuis sa création en 2008, plus de 6 millions y ont recouru pour visiter notre pays, selon les données fournies par la société. Des données qui devraient aussi inclure les voyageurs venus de l’étranger et les Français qui choisissent un plan Airbnb pour leurs déplacements sur le territoire.

Pour l’Hexagone, on recense une base globale de 300 000 offres de location disponibles. Avec un effet d’attractivité pour la destination Paris (une offre sur trois selon Deutsche Bank).

Le circuit installé

D’un point de vue corporate, Airbnb a installé son siège social en Californie mais elle est immatriculée dans l’État du Delaware, qu’on qualifie de paradis fiscal américain. Pour ses activités en Europe, un siège régional a été établi en Irlande (où l’impôt sur les sociétés est faible : 12,5 %), tout en ayant déployé des équipes locales pour couvrir la zone UE (notamment en France).

Cette filiale, installée à Dublin est au cœur du circuit financier de la société, comme l’illustrent les conditions générales d’utilisation du service en France, dont la dernière mise à jour remonte au 6 juillet 2015.

« Si vous résidez en dehors des États-Unis, vous concluez un contrat avec Airbnb Ireland en ce qui concerne l’utilisation du Site, de l’Application ou des Services Airbnb », peut-on lire dans ces CGU. Quant aux paiements, ils sont pris en charge par une autre entité : Airbnb Payments UK Ltd., implantée à Londres.

L’argent ne passe jamais par l’implantation française d’Airbnb, ce qui explique son montant peu élevé d’impôt sur les sociétés. Un système d’optimisation fiscale adulé par les grands groupes américains du numérique comme Google, LinkedIn ou Facebook.

Pour quel modèle économique ?

Dans la rubrique d’assistance en ligne, il est précisé qu’Airbnb prélève deux commissions.

La première correspond au frais de service voyageur. Elle est calculée sur la base d’un pourcentage du sous-total de la réservation, avant frais et taxes. Les taux « varient généralement entre 6 et 12 %, mais peuvent être supérieurs ou inférieurs selon les spécificités de la réservation concernée ».

L’idée étant que plus le montant du sous-total est élevé, moins le pourcentage est important, « afin que vous puissiez payer moins de frais lors de réservations longues ».

La deuxième commission est fixe, à hauteur de 3 % du sous-total hors frais et taxes. Elle est facturée aux hôtes à chaque réservation enregistrée pour leur logement.

Des indicateurs financiers vraiment pertinents ?

Comment évaluer l’activité réelle d’Airbnb en France ? La vision proposée par les résultats financiers de la SARL Airbnb France, qui a ses locaux à Paris, manque de transparence. Officiellement, elle n’effectue que du « marketing » pour le compte de la branche irlandaise et, en contrepartie de ces prestations, « refacture les coûts supportés, majorés d’une marge ».

Selon les comptes 2015 d’Airbnb France disponible sur Societe.com, le chiffre d’affaires est quasi stable entre 2015 et 2014 (autour de 5 millions d’euros), le résultat d’exploitation a baissé de 22,38 % à 217 400 euros et le résultat net a plongé de presque 50 % à 97 200 euros.

Malgré un effort de communication, Airbnb parvient à brouiller les pistes dans une étude de 2015 sur les usages de la plateforme Airbnb et son impact économique pour la France en indiquant qu’un montant global de 481 millions d’euros a été reversé aux hôtes français (ayant loué leurs logements) entre septembre 2014 et août 2015 (précisons que cette période ne correspond pas à l’exercice fiscal de la société).

Pour les professionnels de l’hôtellerie auprès du parquet de Paris, ce n’est pas clair. En novembre 2015, l’association des Acteurs de l’hébergement et du tourisme professionnels (AhTop, 30 000 adhérents) porte plainte contre Airbnb et 126 autres plateformes de locations d’appartements pour touristes (y compris Abritel, Homeway, Leboncoin selon Le Parisien) au nom d’une concurrence jugée déloyale.

Dossier sensible pour les pouvoirs publics

Le sujet est scruté également par la DGCCRF sous l’angle des plateformes collaboratives. Mais aussi par le Parlement.

L’exercice est périlleux, car truffé de zones d’ombre, comme l’avait fait remarquer Éric Woerth, député LR de l’Oise et ancien ministre du Budget, dans un rapport parlementaire de 2014 sur la fiscalité des hébergements touristiques.

La tension est palpable également au niveau du Parlement. Toujours à travers l’enquête du Parisien, Yann Galut (député PS du Cher) demande « l’examen par Bercy de la situation fiscale d’Airbnb ».

L’élu parlementaire prévoit de déposer des amendements pour faire en sorte que les multinationales ne puissent plus contourner la législation française lors des débats sur la loi de finances 2017 qui vont se dérouler dans le courant de l’automne.

Selon Yann Galut; « l’imposition doit avoir lieu là où la richesse est créée, dans l’Hexagone », quand bien même Airbnb « serait dans la légalité d’un strict point de vue juridique ». Et d’ajouter que l’évasion et l’optimisation fiscales « privent les caisses de l’État de 50 à 80 milliards d’euros par an ».

Au-delà du cas Airbnb, d’autres acteurs dans le secteur de l’e-tourisme sont concernés. Ainsi, Booking.com a été rattrapé au collet. Le fisc français réclame 356 millions d’euros à la centrale de réservation hôtelière en ligne au titre de la TVA et de l’impôt sur les sociétés pour la période 2003-2012.

Airbnb France se défend…un peu

Il faut organiser une ligne de défense. Pour l’instant, Airbnb demeure laconique en assurant « être conforme aux lois fiscales dans les pays d’implantation ».

En France, la plateforme de location d’hébergement se montre parfois coopérative (certes sous la pression politique). Ainsi, elle est même mise à contribution pour la collecte de la taxe de séjour en France dans le cadre d’un dispositif de test dans une vingtaine de villes ou métropoles (dont Paris). Et la liste devrait encore s’élargir courant 2017.

D’un point de vue management, la branche française passe une phase de transition. Nicolas Ferrary, Directeur général d’Airbnb France, démissionne. « Je vais partir dans le courant de l’été afin de créer ma propre boîte », précise-t-il dans L’Écho Touristique. « Après avoir côtoyé de nombreuses start-up, l’aventure entrepreneuriale m’attire. »

Esquisse de la puissance d’Airbnb
Airbnb, que les analystes valorisent à 30 milliards de dollars (soit près de trois fois le poids d’un groupe comme AccorHotels), revendique une présence dans 191 pays avec plus de 2 millions de logements proposés sur sa plate-forme, dans 34 000 villes.

 

(Article coécrit par Clément Bohic et Philippe Guerrier)

(Crédit photo : Airbnb)

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