Alexandre Zapolsky (ASS2L) : « Vista sera le talon d’Achille de Microsoft »

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Du partenariat Microsoft-Novell à la création d’un Pôle de compétitivité en
France, l’année 2006 a été riche en annonces pour le secteur du logiciel libre.

Indéniablement, pour Alexandre Zapolsky, président de l’Association des sociétés de service en logiciels libres (ASS2L), l’annonce la création du Pôle de compétitivité pour les logiciels libres en France est l’événement majeur pour l’industrie du Libre de cette année 2006. Le Pôle va permettre la structuration de projets et le développement d’emplois et de valeur. Le porte-parole des entreprises « open source » revient également sur la montée en puissance des solutions libres en général, et Linux en particulier, dans le secteur privé. Il va même jusqu’à penser que l’arrivée de Windows Vista pourrait profiter à Linux. Pour autant, les éditeurs de logiciels propriétaires n’ont rien à craindre du mouvement open source qui, selon Alexandre Zapolsky, va permettre d’instaurer une vraie compétition sur une industrie jusqu’alors régie par des structures monopolistiques depuis sa création. (Interview réalisée le 20 décembre 2006)

Vnunet.fr : Pouvez-vous nous rappeler le contexte dans lequel est née l’ASS2L et son rôle?
Alexandre Zapolsky : L’association est née en septembre 2004 de plusieurs constats. D’abord, nous étions quelques-uns à sortir la tête de l’eau et avons donc envisagé une entraide interprofessionnelle. Ensuite, nous avons toujours pensé qu’ensemble nous sommes plus forts. En 2004, l’industrie du libre était moins avancée qu’aujourd’hui et il y avait beaucoup de travail d’évangélisation et de promotion à faire. Il fallait donc fédérer la profession et faire gagner en visibilité. L’ASS2L est née à partir d’un noyau dur de sept sociétés. Nos réussites les plus visibles sont les organisations des salons Solutions Linux (attendue les 30, 31 janvier et 1er févier pour l’édition 2007) et Paris Capitale du Libre dont la deuxième édition se déroulera les 13 et 14 juin 2007. Sans oublier la récente annonce par Thierry Breton de la création d’un Pôle de compétitivité dédié aux logiciels libres et dont l’association à été l’un des piliers. Enfin, avec 52 membres sur 400 sociétés de services en logiciels libres en France, l’ASS2L dispose d’un beau taux de représentation.

Vnunet.fr : Justement, que va concrètement apporter ce Pôle de compétitivité pour le libre?
Alexandre Zapolsky : Comme tous les Pôles de compétitivité précédents, celui-ci permet de labelliser et financer des projets et programmes de R&D publics et privés. Un Pôle de compétitivité poursuit généralement deux buts à travers le développement d’une politique industrielle et l’aménagement du territoire. Le Pôle pour le logiciel libre ne s’en distingue pas. La filière va bénéficier d’un budget de 130 millions d’euros sur trois ans. Cela lui permettra de sécuriser et d’accélérer le développement de projets.
Il est clair que cela va également profiter à la coopération entre les acteurs. Car l’industrie des logiciels libres a la particularité d’être constituée d’acteurs éparpillés et constitués en petites structures. Et si l’écosystème est extrêmement dynamique, les acteurs ne se connaissent pas forcément bien. Le Pôle de compétitivité leur permettra de mieux se connaître, mieux échanger, notamment entre les initiatives publiques (les universités, l’INRIA…) et le secteur privé.
Enfin, le Pôle va apporter de la visibilité à la filière auprès d’autres secteurs de la sphère économique que la seule industrie informatique. C’est un élément structurant en terme de création d’emploi et de valeur. Aujourd’hui, le logiciel libre génère 10 000 emplois en France. On évalue ce nombre à 60 000 en 2010. Soit 50 000 emplois créés ou préservés en quelques années. Quelle filière industrielle peut, dans ses plans de développement, présenter un tel taux de création d’emplois aujourd’hui?
En résumé, le Pôle de compétitivité va accélérer le développement de projets, f aciliter la coopération, notamment public-privé, et créer des emplois et de la valeur.

Vnunet.fr : Si le libre gagne du terrain auprès des administrations et organisations du secteur public, il semble relativement absent du côté des entreprises.
Alexandre Zapolsky : Détrompez-vous! En tant que chef d’entreprise [de Linagora, ndlr], j’ai signé plus de contrats cette année avec le secteur privé qu’avec le public. Et les 400 sociétés de services en logiciels libres en France travaillent plus souvent avec le privé qu’avec l’administration. D’abord parce que le secteur publique concerne 15 % des marchés, contre 85 % pour les entreprises. Mais alors que les administrations acceptent de communiquer sur leurs choix d’équipement, qui sont de toute façon publiques à travers les appels d’offres, les entreprises sont plus discrètes sur ce thème. Pour des raisons essentiellement de stratégie de communication. Mais je peux vous affirmer que l’industrie du libre travaille avec de grandes banques françaises à la migration de leur bureautique sur Open Office et que les grands de la distribution s’y mettent également.

Vnunet.fr : Pour le grand public, la réussite du libre la plus emblématique est celle du navigateur Firefox. Y a-t-il un produit phare équivalent dans le monde professionnel?
Alexandre Zapolsky : Linux, naturellement. Aujourd’hui, 30 à 35 % des serveurs d’infrastructure tournent sous Linux avec des solutions comme SendMail, Postfix, Samba, et des protocoles issus du libre comme Open LDAP, etc. Et la pénétration de Linux en entreprise va se poursuivre. Grâce à Windows Vista. Car le nouveau système contredit ce que Microsoft clamait à propos de Linux en terme de nécessité d’adaptation. Vista et Office 2007 nécessitent une à deux semaines de formation alors qu’il en faut une demi-journée pour OpenOffice. D’autre part, Vista est sur-consommateur de puissance machine. C’est un changement peut-être trop radical pour les entreprises qui se posent aujourd’hui la question de migrer sur OpenOffice sous Linux. Quitte à changer de système bureautique autant réfléchir à une migration de plate-forme.

Vnunet.fr : Accords de partenariat entre Microsoft et Novell mais aussi d’autres acteurs du libre comme JBoss, libération de 500 brevets par IBM, Sun qui délivre enfin le code source de Java… l’année 2006 a été riche d’annonces autour du libre. Comment expliquez-vous cela et quel événement a retenu le plus votre attention?
Alexandre Zapolsky : En 2006, le logiciel libre est sorti du seul milieu de l’informatique pour gagner ses lettres de noblesse. L’avènement de Paris Capital du libre est emblématique en ce sens, il fallait notamment voir les Kakemonos (affiches suspendues en tissus) de la manifestation flotter dans les rues de la ville. Cela montre que les enjeux ont dépassé la simple bataille Linux/Windows. Quant aux grandes annonces que vous évoquez, on assiste un peu à la danse des éléphants qui viennent ajouter du bruit au développement de l’industrie.

Vnunet.fr : Que pensez-vous de l’accord Microsoft-Novell sur le développement de l’interopérabilité de leurs solutions?
Alexandre Zapolsky : L’accord Microsoft-Novell n’a pas de sens si ce n’est que Novell jure allégeance à Microsoft qui le met sous perfusion économique. Pour quelle raison? Je l’ignore. Peut-être pour cornaquer les standards, notamment OpenDocumentFormat. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour le libre car c’est quelque chose qui complique la visibilité du marché. C’est pour cela que je suis d’autant plus attaché au Pôle de compétitivité.

Vnunet.fr : Ce Pôle, comme les logiciels libres en général, ne sert-il pas de thème porteur pour la campagne présidentielle 2007?
Alexandre Zapolsky : L’enjeu politique des logiciels libres es t certain. Mais je ne vois pas comment rapprocher l’annonce faite par un ministre d’Etat, non élu, et qui a déclaré ne pas avoir d’ambition de carrière politique, à la campagne présidentielle. Je pense sincèrement que Thierry Breton croit en ce qu’il a énoncé, à savoir la création immédiate d’un Pôle de compétitivité suite à un rapport sérieux et complet.
Mais il est certain qu’il y aura de la récupération dans le cadre de la campagne présidentielle. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, le logiciel libre n’est pas de gauche. Si l’idée de partage et de travail collaboratif est assimilé aux idées de gauche, le libre s’appuie sur un modèle économique qu’on appelle le libéralisme : à savoir que le meilleure gagne face au moins bon. Or dans l’industrie informatique, constituée de monopoles ou d’oligopoles, cela n’a jamais été le cas. C’est la première fois avec le libre depuis 70 ans. Les gens qui seraient censés soutenir le mieux les logiciels libres seraient donc de droite. Force est de constater que ce n’est pas forcément le cas. Il n’y a pas de message clair du côté de l’UMP sur le sujet. Mais je tiens à préciser qu’en tant que professionnel du secteur, je ne me situe pas dans le débat politique. Je souhaite avant tout que le président qui sera élu assure la continuité dans l’action de ce qui est fait aujourd’hui autour du libre.

Vnunet.fr : Le libre connaît donc aujourd’hui une montée en charge significative. Les éditeurs de solutions propriétaires ont-ils encore de l’avenir?
Alexandre Zapolsky : Bien sûr. Le marché du libre ne représentera que 20 % en 2010. Les éditeurs à la logique propriétaire n’ont pas à s’inquiéter du développement des logiciels libres, au contraire. Je pense que c’est un moyen pour eux d’augmenter leur productivité grâce aux briques logicielle et aux communautés de développeurs. Le libre sert les intérêts des éditeurs propriétaires. En revanche, je souhaiterais que leur développement, en France et en Europe, se fasse au détriment des éditeurs américains qui dominent largement le marché.