Antoine Darodes – Mission France THD: « Fibre : un effet boule de neige entre collectivités »

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Le gouvernement prend en main le pilotage national du déploiement du très haut débit en France, en s’appuyant sur une Mission dédiée. Son directeur fournit des précisions sur ce chantier de longue haleine.

En qualité de Directeur de la Mission Très Haut Débit pour superviser le pilotage national, Antoines Darodes a expliqué la démarche pour organiser le déploiement de la fibre optique. L’occasion lui en a été donnée le 20 novembre en conclusion d’une table ronde réunissant des opérateurs réseaux et télécoms spécialisés dans l’aménagement numérique du territoire (Eutelsat, Altitude Infrastructure, Cube Infrastructure et Axione) dans le cadre du DigiWorld organisé par l’Idate à Montpellier.

Le dispositif central de la Mission repose sur une convention-type THD associant trois parties (collectivités, opérateurs et Etat) et un financement sous la forme de partenariats public-privé. Pour couvrir 100% de la population en très haut débit (dont 80% en fibre à domicile ou FTTH en anglais), un investissement global de 20 milliards d’euros sera nécessaire pour parvenir à l’échéance fixée 2022.

En marge de son intervention synthétique, Antoines Darodes a fourni à ITespresso.fr des précisions sur la manière dont les collectivités s’emparent du dossier THD, sur les freins rencontrés et les technologies alternatives (VDSL 2, la fibre par les poteaux aériens…).

(Interview réalisée le 20 novembre 2013)

ITespresso.fr : Comment les collectivités se raccrochent-elles à la convention type très haut débit que vous poussez de votre côté?

Antoine Darodes : Prenons le cas intéressant de Lille Métropole qui avait prévu de faire une délégation de service public (DSP) depuis trois ans. L’agglomération urbaine ne voulait pas se contenter des intentions d’investissement des opérateurs qui étaient un peu vaseuses. Les élus locaux sont arrivés au moment où nous étions en train de négocier la convention. Ils nous ont aidés à transformer les intentions d’investissement en vrais engagements de déploiement. Ils ont considéré que, si l’on parvenait à faire signer ces engagements auprès des opérateurs, ce serait une économie réalisée. On parle d’une subvention de 30 millions d’euros qui était prévue pour la création d’une DSP.  L’abandon de ce projet a été voté à l’unanimité par le conseil de l’agglomération urbaine.

C’est révélateur du changement : parce qu’il y a de nouvelles dispositions, les collectivités sont prêtes à faire confiance aux opérateurs. On ne parle pas de confiance aveugle. On a cranté quelque chose de mieux. Un comité de suivi est chargé de faire le point tous les six mois pour suivre l’avancée du déploiement THD. Dans la convention de Lille, SFR s’est notamment engagé à déployer en priorité certaines zones qui avaient du mauvais débit dans l’agglomération (85 communes, dont la moitié sont rurales) avec un calendrier de début et de fin de déploiement. Je crois que c’est cette discussion en amont avec les opérateurs qui a convaincu les élus. On comprend les critiques (comme celles portées par l’AVICCA) adressées à la convention qui n’est pas parfaite. Mais, ce qui est parfois agaçant, c’est d’entendre des remarques sans être vraiment entré dans  ce texte certes complexe. Il y a vraiment des avancées. Ce qu’il faut, c’est cranter. Tant que l’on ne rentre pas dans la convention, on ne peut pas l’améliorer. C’est en avançant que l’on apprendra comment cela marche vraiment.

ITespresso.fr : Que se passe-t-il pour les plans THD pionniers comme les Hauts-de-Seine () ou à Pau (Pau Broadband Country) ? On remet tout à plat en annulant les dispositifs préalablement adoptés ?

Antoine Darodes : On a essayé d’avoir un plan national avec un pilotage fort tout en respectant les historiques. Par exemple, une DSP a été adoptée dans les Hauts-de-Seine. On considère qu’elle est gérée et on ne s’occupe pas de l’articulation entre public et privé tant que cela ne soulève pas de problème. On a vu dans d’autres cas que cela pouvait se révéler plus compliqué. Par exemple, dans l’Ain, une régie avait commencé à déployé dans des villes dans lesquelles Orange s’engage aujourd’hui à déployer. Alors nous devons nous déplacer pour effectuer la répartition entre initiatives privées et initiatives publiques.

Tout ce que l’on veut, c’est clarifier les choses et crever les abcès. Nous avons des soucis également dans la Drôme et en Ardèche mais nous sommes en train de les traiter en bonne intelligence. A Pau, tout se traite bien. France Telecom a accepté depuis quelques mois que d’autres opérateurs puissent gérer les réseaux. Et notamment Axione. Et cela débloque pas mal de situations.

ITespresso.fr : Vous recensez 37 dossiers déposés par 46 départements pour adopter la convention THD. Combien de nouveaux dossiers recevez-vous par mois ? Et combien de temps avez-vous besoin pour examiner un dossier ?

Antoine Darodes : Le rythme est en train de s’accélérer en raison d’un effet boule de neige entre les collectivités qui regardent qui fait quoi à proximité. Tout dépend de la maturité des dossiers qui sont présentés. Le travail d’accompagnement nécessite parfois plus de temps. Il faut prendre en compte des spécificités locales et des historiques. Ce n’est pas toujours évident en raison des attentes fortes de la part des collectivités et des opérateurs. Et nous ne sommes qu’une équipe de 7 personnes. Il faut reconnaître que, pendant 15 ans, l’Etat a été absent et les collectivités se sont retrouvées toutes seules pour gérer ce type de dossier et les relations avec les opérateurs se sont parfois embourbées. Ce qui n’étaient pas sains. Il faut parfois dépasser les petites guerres qui ont duré plusieurs années.

Globalement, on avance en deux phases : avant la décision du Premier ministre, il faut en moyenne quatre à six mois d’examen du dossier qui constitue une première phase sous forme de promesse de dons. Ensuite, avec l’engagement de l’Etat, la collectivité va boucler son financement avec la région. Elle va aussi passer ses marchés pour découvrir les pratiques et évaluer les prix. Ensuite, on revient derrière avec la décision de financement et la convention qui prévoit le décaissement, etc. Nous cherchons vraiment à être l’élément qui facilite, qui déclenche les choses.

ITespresso.fr : Parmi les opérateurs, le cas de Numericable est-il spécifique à vos yeux ?

Antoine Darodes : Nous ne traitons pas Numericable de manière spécifique. On se réjouit que Numericable contribue le plus au très haut débit en France (8 millions de prises THD). Après, en termes de dynamique, la progression des prises THD vient plutôt de la fibre à domicile (Fiber to the Home ou FTTH en anglais). Le problème, c’est que les opérateurs télécoms déploient le très haut débit dans les mêmes zones que Numericable. Dans ce cas, nous nous contentons juste de vérifier qu’il y a au moins un opérateur qui effectue le déploiement correctement.

Bon, il reste encore quelques questions sur la véritable ouverture du réseau Numericable aux autres opérateurs. C’est possible uniquement sur des offres activées qui ne donnent pas vraiment lieu à une différenciation. C’est que Bouygues Telecom fait sur le réseau Numericable. Et il n’en est pas totalement satisfait au point d’attaquer le câblo-opérateur en justice. On n’observe pas le même niveau concurrentiel via le câble que sur les réseaux cuivres ou FTTH. Au-delà de cette question qui pourrait être résolu par le régulateur, c’est un constat : dans les zones sur lesquelles Numericable est présent (à quelques exceptions près mais nous sommes en train d’investiguer), le réseau Numericable n’a pas d’utilité dans la zone d’initiative publique. On n’est pas amené à financer des réseaux câblés.

ITespresso.fr : Prenez-vous en compte la dimension de la montée en débit (VDSL 2) dans l’examen des dossiers ?

Antoine Darodes : Oui. Nous regardons l’impact car nous avons la même vision qu’un investisseur. Notamment le volet des risques commerciaux. S’il y a du bon débit en VDSL2 (donc de la vitamine sur le cuivre), cela peut réduire l’appétence des gens à adopter la fibre. Ce que l’on constate, c’est que le raz-de-marée VDSL 2 annoncé n’est pas là. Le VDSL 2 améliore le cuivre mais cela reste une solution low cost avec ses problèmes intrinsèques (affaiblissement du signal avec la distance, interférences électromagnétiques…). Au-delà des questions du niveau du débit, la fibre apporte quelque chose de disruptive : la qualité du réseau pour des usages plus fluides et plus confortables.

ITespresso.fr : Orange a récemment signé une convention avec le Syndicat Départemental d’Energie Électrique de la Gironde pour exploiter le réseau public de distribution d’électricité aérien et déployer ainsi la fibre. Comptez-vous étendre cette solution alternative de déploiement du très haut débit dans les zones rurales ?

Antoine Darodes : La fibre par les poteaux électriques est une piste intéressante. Au cours du premier semestre, on a beaucoup parlé du déploiement urbain de la fibre. On commence à regarder le déploiement en zones péri-urbaines et rurales. La question des appuis aériens des poteaux se pose. Aujourd’hui, Orange entretient 11 millions de poteaux pour le cuivre. Durablement, on ne va pas garder 11 millions de poteaux en bois. Pourquoi ne pas mutualiser avec la fibre ? Sur le volet des poteaux électriques, il y a des expérimentations avec ERDF, notamment dans le Vaucluse, pour voir comment on peut faire baisser le coût de déploiement à partir de ces infrastructures déjà déployées.

L’AVICCA invite les opérateurs dans « la chorale du très haut débit »
Dans son discours d’ouverture du colloque de l’Avicca (Association des Villes et Collectivités pour les Communications électroniques et l’Audiovisuel) en date du 27 novembre, son président Yves Rome a considéré que « le gouvernement ne déterminait pas les priorités d’investissements des opérateurs, et on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, surtout à très haut débit ! ». Tout en poursuivant : je vois dans ces difficultés aussi la confirmation qu’il faut renforcer le pilotage de cette transition, en mettant sur pied l’établissement public annoncé dans le Plan France Très haut débit. La situation n’est pas figée, loin de là. La dynamique est enclenchée, il faut donc l’accentuer. » Yves Rome insiste sur la « nécessaire extinction rapide du cuivre » au-delà des « résultats encourageants de Palaiseau » qui satisfont Orange. « J’invite Stéphane Richard à venir annoncer l’extinction du cuivre à Pau, Saint Lô, Gravelines, Chevry-Cossigny, dans l’Ain, dans le Calvados, partout pour faire monter en gamme ses abonnés, grâce à ses co-investissements dans les réseaux d’initiative publique ! Et Maxime Lombardini [Iliad-Free], Jean-Yves Charlier [SFR], Olivier Roussat [Bouygues Telecom], venez en chœur chanter les qualités de la fibre et la retraite bien méritée du cuivre ! »

A lire également : Remplacement du cuivre par la fibre : Paul Champsaur détaille les enjeux (Silicon.fr, 06/12/13)

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