Avis d’experts – Clémentine : Recrutement et big data : les algorithmes vont-ils devenir indispensables ?

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Fondateur du cabinet de recrutement Clémentine, Emmanuel Stanislas aborde la transformation des RH par le big data et les algorithmes.

Un mauvais recrutement peut coûter cher à l’entreprise.

Les nouveaux algorithmes propulsés par le big data permettent aujourd’hui de réduire les risques en prédisant le succès ou l’échec d’une embauche. Technologie d’avenir, certainement, mais la décision humaine reste irremplaçable.

S’il existe bien un secteur en permanente révolution, c’est bien celui du recrutement.

Après avoir absorbé l’arrivée des job boards dans les premières années d’Internet et ayant à peine terminé d’intégrer les réseaux sociaux comme ingrédient essentiel du processus, le métier de recruteur vit actuellement son troisième bouleversement majeur avec le recrutement assisté par les algorithmes.

Tout comme les secteurs financiers ou marketing avant lui, celui du recrutement et des RH voit arriver des solutions qui puisent dans de grandes quantités de données, que les individus actifs donnent volontairement ou non, afin de déterminer des listes de profils idéaux sur la base de critères de sélection adaptés aux besoins de l’entreprise.

Autrement dit, le big data et les algorithmes sont utilisés pour prédire la probabilité de succès ou d’échec d’un candidat potentiel, en comparant son profil à celui de milliers d’autres salariés occupant un poste similaire.

La science-fiction d’hier est devenue la rationalisation d’aujourd’hui, et l’on comprend bien l’intérêt de l’entreprise à recourir à ce type d’outils d’intelligence artificielle et de services de matching toujours plus sophistiqués pour éviter les erreurs de castings et augmenter le taux de réussite d’un recrutement.

Ces technologies d’avenir prennent de l’ampleur et leurs concepteurs espèrent bien parvenir à disrupter un secteur déjà très hétérogène.

Comme toutes évolutions à marche forcée, les recruteurs de tous ordres, qu’ils soient DRH, responsables de services, patrons de PME ou chasseurs de têtes, ont tout intérêt à suivre de près cette tendance, à l’accepter et à s’y adapter, mais aussi à conserver un regard critique sur les limites de ces nouveaux outils.

Gagner du temps et élargir le champ des possibles

Le marché des ressources humaines est en pleine explosion avec des centaines de nouvelles start-up proposant des technologies misant sur la donnée, nous promettant des recrutements toujours plus pertinents, rapides et ciblés.

Dans un recrutement, deux phases principales distinctes se succèdent : l’identification (trouver des bons profils) et la sélection (choisir les meilleurs profils), la première étant très chronophage tandis que la seconde présente de forts risques d’erreur.

Les nouveaux outils ont pour objectif d’assister l’humain dans ces deux séquences en lui faisant gagner du temps et en réduisant l’imprévu.

Les outils les plus en vogue et accessibles reposent sur un système de matching affinitaire dont le but est de faire correspondre de manière idéale un candidat et une entreprise, comme le font les sites de rencontres entre particuliers.

En analysant de manière automatisée les données des bases de milliers de CV et celles des réseaux sociaux, on décharge l’humain d’une tâche titanesque tout en obtenant de manière précise le pourcentage d’adéquation entre les deux parties.

Plus avancés, les algorithmes prédictifs vont analyser de très grandes quantités de données variées de milliers, voire de millions, de profils pour en tirer de multiples modélisations de parcours qui vont aider les recruteurs à prendre leur décision.

Un travail préalable d’étude des personnalités des collaborateurs de l’entreprise qui réussissent dans leur mission va permettre de dessiner un profil type du succès, que l’on va tenter de retrouver chez des candidats à l’aide de tests de personnalité poussés.

Et il peut y avoir des surprises, comme par exemple la découverte par IBM que les meilleurs vendeurs n’étaient pas les plus extravertis mais les plus tenaces.

Plus fort encore, l’intelligence artificielle de reconnaissance faciale commence à être utilisée par certains grands groupes pour analyser les réactions et émotions des candidats lors d’entretiens vidéo, afin de déceler leur motivation profonde et leur enthousiasme face au poste proposé.

Car aujourd’hui, c’est souvent plus à la personnalité et aux « soft skills » qu’aux diplômes et compétences que s’intéressent les recruteurs.

Ces nouvelles méthodes permettent donc de réduire la durée des recrutements et de prendre de meilleures décisions, mais pas seulement.

L’objectivité naturelle des algorithmes ouvre également la porte à des profils qui n’auraient jamais été repérés lors d’un processus classique, en raison de leur parcours a priori non adaptés au poste, ou qui auraient été victimes de discrimination.

Il s’agit ainsi d’une chance pour des individus peu diplômés ou au parcours atypique d’être identifiés comme possédant un gros potentiel pour s’épanouir dans un métier auquel ils n’avaient jamais songé.

Les qualités humaines, comme la capacité d’adaptation, l’autonomie ou la relation aux autres, prennent ainsi le pas sur les compétences qui pourront être acquises durant une formation.

L’avantage des algorithmes, c’est également qu’ils ne se soucient pas de savoir si un candidat a la peau noire, est une femme, n’est plus tout jeune ou est handicapé.

Le géant Unilever a ainsi relevé qu’en utilisant ce type d’outils durant un an, l’embauche de candidats non blancs avait augmenté de manière significative, tandis que la parité était parfaitement respectée.

D’après une étude de la Harvard Business Review de 2014, les algorithmes feraient ainsi mieux que l’intuition en débarrassant le recrutement des éléments parasites subjectifs sans lien avec le poste, dont les humains sont coutumiers, comme la recherche instinctive de profils qui leur ressemblent.

Alors, la machine est-elle désormais en mesure de remplacer totalement l’homme lorsqu’il s’agit de recruter les meilleurs talents pour une entreprise ? Pas si sûr.

Le fantasme de la vérité immuable

Attention à ne pas tomber dans le piège de la croyance aveugle en une logique qui aurait systématiquement raison, puisque scientifique.

L’impression de réduction du risque produite par l’analyse statistique ne doit pas être perçue comme une vérité immuable qui ferait passer toutes les corrélations pour des causalités.

Cette approche mathématique n’est pas infaillible car la psychologie humaine n’est pas une science exacte, mais empreinte d’émotions et victime de biais cognitifs.

L’homme n’est pas toujours un « homo œconomicus » doté d’un raisonnement rationnel constant, mais constitué de milliers de subtilités que les algorithmes mettront du temps à comprendre et assimiler.

Plus le recrutement est spécifique et pointu, s’intégrant généralement dans un contexte de guerre des talents, et plus l’humain conservera sa valeur ajoutée par rapport à l’automatisation des processus dans la quête d’identification et de sélection des profils.

Prenons l’exemple du data scientist, très recherché actuellement, avec un vivier restreint de talents divisé entre les jeunes diplômés de cette spécialité ou de plusieurs autres convergentes, et les cadres confirmés dont les compétences ont évolué progressivement vers ce métier.

Une recherche de profils, au ciblage épars, est encore complexe pour la machine, qui aura des difficultés à agréger l’ensemble des compétences, techniques, comportementales, managériales, et « l’intelligence émotionnelle » qui fait de chaque candidat une personne unique.

Aujourd’hui, de nombreuses données sont encore difficilement modélisables et l’examen approfondi d’une personnalité par des algorithmes lors de tests poussés ne saurait être suffisamment complet pour se passer du regard de l’homme.

D’autant plus que pour produire des résultats probants, il est nécessaire d’alimenter les algorithmes avec de grands volumes de données, restreignant pour le moment leur utilisation aux grands groupes disposant d’une masse critique de salariés et de candidats.

Et lorsque l’on dispose de suffisamment de données pour modéliser le profil du candidat parfait, n’y a-t-il pas un risque de ne recruter que des clones du salarié performant ? La diversité des profils nécessaire pour la complémentarité et l’émulation entre collaborateurs en prend un sacré coup.

Pire encore, ce type de recrutement prédictif aurait pour effet d’inciter les entreprises à reproduire ce qu’elles maîtrisent déjà, les faisant glisser vers l’immobilisme quand l’époque exige au contraire de la prospective et des prises de risque.

Il demeure enfin la problématique des données personnelles.

La loi Informatique et Libertés exige que l’on collecte et traite des données avec un objectif déterminé, légitime et explicite alors que des quantités astronomiques d’informations sont le plus souvent rassemblées par les entreprises sans encadrement défini, avant même la conception des algorithmes.

Avec l’entrée en vigueur du RGPD en mai 2018, nul doute que la transparence des algorithmes de recrutement sera scrutée au plus près.

L’humain reste la clé déterminante d’un recrutement réussi

Si les algorithmes ont de beaux jours devant eux, d’autant qu’ils ne cesseront d’évoluer pour se perfectionner et assister toujours mieux l’homme dans ses tâches, ils ne doivent en aucun cas se substituer à lui, dont le rôle de garde-fou reste essentiel.

Dans un avenir proche, on perçoit aisément les bénéfices de gain de temps, notamment pour les recrutements massifs de profils assez peu qualifiés, mais il est essentiel de ne pas glisser sous le tapis les questionnements stratégiques et éthiques qui se posent sur le plus long terme.

Chercher à prédire l’avenir pour se rassurer et prendre les bonnes décisions est une quête ancestrale et légitime de l’homme, mais n’est-ce pas l’imprévisible qui crée souvent une valeur inattendue et au final déterminante ?

Non seulement une automatisation excessive des processus entraînerait des dysfonctionnements absurdes, certes en parallèle de réussites incontestables, mais elle nous dirigerait surtout vers une déshumanisation du recrutement, que personne ne souhaite.

Le paradoxe de notre époque qui voit grandir les intelligences artificielles est que nous nous attachons toujours plus aux qualités humaines, celles qui permettent réellement aux hommes de travailler et d’avancer ensemble.

La rencontre réelle lors d’un recrutement reste ainsi irremplaçable pour injecter une part de subjectivité, de sensibilité, de feeling, d’expérience et de bienveillance. De cela dépendra la capacité des nouvelles recrues à progresser en confiance et avec efficacité dans un monde du travail en pleine transformation.

Nous devons donc faire preuve de recul, à la fois sur la technologie dont la raison d’être demeure de nous servir et pas l’inverse, mais aussi sur nous-mêmes, humains imparfaits qui avons toujours utilisé de nouveaux outils pour continuer à progresser.

Tout en restant vigilants et conscients de notre valeur inestimable, nous devons embrasser les révolutions digitales et leurs promesses d’avenir, en acceptant que le métier de recruteur change et qu’il doit évoluer pour devenir toujours plus juste et pertinent.

Alors, prêts à relever le challenge ?

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Fondateur
Clémentine
Diplômé de l'ISG, Emmanuel Stanislas débute sa carrière chez Landor Associates en Californie, puis rejoint Euro RSCG en France comme directeur conseil. Expert du recrutement dans le monde de l'IT et du digital, il fonde le cabinet de recrutement Clémentine en 2000.
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