Benoît Thieulin (La Netscouade) : « Elysée 2012 : cela se jouera aussi sur le Net »

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La e-démocratie française est de plus en plus vivace. Dans quelle mesure Le Web aura un impact important sur la campagne présidentielle de 2012 ? L’avis d’un spécialiste du Web politique.

Barrack Obama et 21 avril numérique

 

ITespresso.fr : En 2008, Barack Obama s’était distingué dans la course à la Maison Blanche avec l’usage des outils numériques. Candidat à sa succession à la présidence des Etats-Unis, comment poursuivre dans la foulée ?
Benoît Thieulin : Je pense qu’il va reprendre toutes les recettes qui avaient été utilisées en 2007 et 2008. Même si ce sera plus limité puisqu’il n’aura pas de campagne des primaires, donc moins d’élan. Mais il va être capable de nous étonner en utilisant tous les formats de contenus et les applications qui permettent d’illustrer son bilan et son futur programme.

Aujourd’hui le débat public a lieu sur Internet, et il faut pouvoir le nourrir de chiffres, de données, etc.

C’est là-dessus que la campagne d’Obama va nous surprendre. Parce qu’il va sûrement fournir des tas de contenus hyper-pédagogiques pour expliquer son action et justifier ses décisions.

On va assister à une explosion et découvrir une forte créativité de l’utilisation de tas de formats de contenus : infographies, animations, simulateurs, vidéos d’experts, scénarisation autour de ses programmes…

En réalité, cet ensemble de données interactives concerneront tous les partis, les candidats et les médias.

On va retrouver un peu les mêmes ingrédients en France. Il suffit de regarder les éléments associés du livre « Pour une révolution fiscale » (co-écrit par Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Camille Landais). Un simulateur permet à chacun de tenter sa propre réforme fiscale.

En regardant ce qui s’est passé en France en 2007, la campagne présidentielle sur Internet était assez élitiste.

Les blogueurs, les journalistes, les internautes éclairés et très actifs faisaient le cœur de l’Internet. Mais fondamentalement, ce n’étaient pas les gens qui faisaient le débat.

Aujourd’hui, il y a en France 27 millions de Français sur Facebook qui discutent – un petit peu – d’actualité. Par comparaison, le journal de 20h00, dans le meilleur des cas, réunit 7 ou 8 millions de téléspectateurs.

ITespresso.fr : Le Web est-il vraiment représentatif de la population générale ?
Benoît Thieulin : La population au total n’est jamais à un seul endroit. Mais, l’important n’est pas de toucher toutes les personnes à un moment donné. Si j’ai vu une infographie sur Libé qui m’a parue intéressante, je vais parler des deux ou trois chiffres-clés au café avec les copains qui ne sont pas sur Internet.

Il y a toute une espèce d’organisation sociale très informelle dans laquelle ceux qui ne sont pas directement touchés entrent quand même dans la boucle par le débat public qui se structure sur Internet.

Peu importe que tous les Français regardent la TV. Si Nicolas Sarkozy passe à la télé pour parler de la sécurité, tous les Français vont parler de sécurité le lendemain.

Le couple TV – Internet se complète bien. L’agenda médiatique est établi à la télé, mais le débat public n’a pas lieu à la télé, parce que la TV est un lieu où on a peu d’espace, l’information y est très sommaire, très simple, et par ailleurs on n’y débat pas.

Le débat à lieu là où le média est Interactif et il y a beaucoup d’espace, c’est-à-dire Internet.

ITespresso.fr : Les différentes stratégies Web des candidats s’alignent-elles avec leurs positionnements politiques ?
Benoît Thieulin : Si on regarde bien, il y a souvent à droite une tendance à ne pas trop faire dans le participatif, à ne pas trop aller sur le Web social parce que les candidats y sont souvent mis en minorité et en défaut. Ils misent plutôt sur une stratégie marketing pour se montrer efficace.

On achète des bases, on essaie de traiter un peu le sujet politique sous un angle très « marketé » et cela produit des effets qui ne sont pas toujours mauvais.

Je pense que les différents candidats de droite vont sûrement refaire quelque chose comme ça, une campagne très descendante, très gaulliste: « le chef donne des infos ».

La gauche a souvent une approche plus participative et horizontale, qui donne plus de liberté sur le terrain…

ITespresso.fr : Quel est le risque d’un « 21 avril numérique » (référence à l’année 2002 : Jean-Marie Le Pen, candidat du Front national, se hisse au deuxième tour de l’élection présidentielle) ?
Benoît Thieulin : Je pense qu’on sous-estime beaucoup l’intelligence avec laquelle le Front National et Marine le Pen traitent Internet.

Et encore plus à quel point les caractéristiques de l’extrême droite la prédisposent à être très bien positionnée sur Internet.

Il y a eu des déclarations très troublantes sur les raisons de la présence du Front National sur Internet. Ils ont raison d’ailleurs et ils l’ont bien compris. Ils mettent le paquet là-dessus.

A l’extrême-droite, il y a toujours eu un débat intellectuel particulièrement prononcé.

A l’époque où j’étais à Science-Po, ils avaient des tas de petites revues de 200 personnes, à l’audience confidentielle. Aujourd’hui ces petites revues ont des Web TV, elles font des débats, elles invitent des intellectuelle d’extrême-droite (ou pas d’ailleurs), elles arrivent à traîner vers leurs questions, leurs interrogations.

Il y a un bouillonnement intellectuel dans la toile d’extrême-droite. Pourquoi ? C’est parce qu’Internet aime le débat, et donc ceux qui le nourrissent beaucoup partent avec une prime.

Voilà ce que les partis politiques de gouvernement devraient comprendre : il faut nourrir ce débat public au-delà des petites phrases.

À la télévision, on vous donne 20 secondes pour vous exprimer : vous avez un slogan. Sur Internet, vous avez une infinité de temps : vous pouvez argumenter.

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