Comment le logiciel libre « dynamite » l’industrie du logiciel

Cloud

La journée « Paris-Capitale du Libre » a permis de faire le point sur les enjeux du développement de l’open source.

Organisée le lundi 26 juin par l’ASS2L (pour Association des Sociétés de Services en Logiciels Libres) et la Mairie de Paris, la journée Paris Capital du Libre a permis aux acteurs de cette industrie de faire le point sur les enjeux stratégiques, politiques et économiques des logiciels libres. A l’image des succès rencontrés par l’open source en France dans les administrations notamment (voir édition du 4 mai 2006), la première édition de cette manifestation a connu une grande affluence, avec près de 1500 visiteurs, selon Alexandre Zapolsky, PDG de Linagora et président de l’ASS2L.

Le logiciel libre « dynamite »-t-il l’industrie du logiciel? Plusieurs intervenants acquiescent comme Christophe Therrey, directeur général France de Novell, et Pascal Barrielle, directeur de projet services chez HP, lorsqu’on leur demande leur avis sur l’une des conférences organisées sur ce thème.

Un séminaire qui a d’ailleurs provoqué une levée de boucliers de la part de l’Association française des éditeurs de logiciels, selon Silicon.fr. Une attitude qui étonne Alexandre Zapolsky, qui considère que « l’AFDEL est devenue le bras armé de Microsoft. »

Selon Christophe Therrey, « les éditeurs doivent aujourd’hui faire évoluer leur modèle économique, et vendre de la maintenance et du support et non des licences. Il faut reconnaître que c’est difficile pour des éditeurs qui sont habitués à vendre des logiciels et n’ont pas forcément la taille critique leur permettant de passer à un modèle de vente de services, amortis sur douze mois. »

Pour Marc Fleury, fondateur de JBoss en 1999 entré récemment dans le giron de Red Hat (voir édition du 10 avril 2006), il est également certain que l’essor du libre « change beaucoup la dynamique de développement des jeunes pousses. Il est désormais extrêmement difficile pour une start-up classique d’être concurrentielle sur un marché où opère déjà un acteur du libre », insiste-t-il.

Cependant, « le libre a permis le développement d’un modèle économique qui n’était pas possible auparavant. Le mode de marketing et de communication a beaucoup changé, notamment, avec la possibilité de faire beaucoup de marketing viral gratuit sur Internet, sans investissements importants », estime le fondateur de Jboss.

Communautés versus entreprises ?

Lorsqu’on lui demande son avis sur les critiques qui taxent sa compagnie de free-riding (opportunisme), Marc Fleury regrette ce « mythe qui perdure ». »Historiquement, il y a eu cette critique sur des acteurs qui prenaient du soft existant, le packageait, le supportait et le distribuait. Nous faisons exactement l’inverse. [?] Il ne faut pas non plus se tromper sur le volontariat des amateurs. Beaucoup de communautés open source, surtout dans le monde Java, réunissent des développeurs qui sont tous employés par quelqu’un. L’open source se professionnalise de plus en plus. »

Loin de s’inquiéter d’une éventuelle euphorie excessive du marché, Laurent Sibille, directeur général d’Unisys France, déclare pour sa part constater « une vraie maturité du marché et une situation qui pose beaucoup moins de risque qu’en 1999 et 2000. La plupart des clients d’Unisys ont aujourdhui des stratégies à long terme, avec une demande d’accompagnement global sur des contrats pluriannuels ». Cette maturation du marché se traduit également par une évolution des attentes des entreprises, selon Christophe Therrey, avec une moindre importance accordée aux coûts, au profit de la sécurité, de la performance et de la fiabilité.

Des enjeux multiples

« Le développement applicatif sera la prochaine étape du développe de l’open source », avance Laurent Sibille. Selon lui, si les applications sont peu nombreuses actuellement (hormis quelques exemples dans la gestion de contenus, la gestion financière et la gestion de la relation clients), leur essor devrait contribuer à stimuler la demande. Il est aujourd’hui de la responsabilité des éditeurs open source « de sortir davantage de produits accessibles pour le commun des mortels », renchérit Christophe Therrey. Le directeur déplore, par exemple, que les « vrais jeux » restent aujourd’hui relativement négligés dans les distributions Linux puisqu’ils constituent un facteur important d’adoption.

Il ajoute que le recrutement de spécialistes compétents représente un autre challenge pour le monde du libre. « Nous recherchons à la fois des gens qui maîtrisent Linux et sont compétents en matière de support. Ce n’est pas évident de trouver de tels profils. Même si nous sommes très avancés dans l’adoption des logiciels libres en France, nos écoles d’ingénieurs restent paradoxalement assez timides dans ce domaine. »

Enfin, plusieurs intervenants mettent en avant le fait que le secteur public devrait de plus en plus être amené à percevoir la nécessité de travailler sur des standards ouverts en vue de pérenniser l’information. « Si il y a un endroit où l’on a besoin de pérennité, c’est bien le secteur public. », conclut Pascal Barrielle, tout en rappelant que les logiciels libres offrent un avantage en ce sens qu’ils survivront à l’éventuelle disparition de leurs auteurs, un avantage clef à l’heure de la dématérialisation et de l’archivage électronique des données.

Les SSLL ont un rôle de prescripteurs de solutions techniques

Un autre fait marquant concerne l’évolution des sociétés de services en logiciels libres (SSLL) vers un rôle d’éditeurs orientés services ou EOS, remarque Alexandre Zapolsky. Il affirme que « le métier des SSLL n’est pas de vendre du développement PHP ou de la régie mais bien de jouer un rôle d’interface commerciale entre les communautés et les entreprises. » La part de l’édition dans l’activité de Linagora – qui consiste à « figer » une solution pour un client, à mettre en place un contrat de service et à supporter cette solution – a ainsi considérablement augmenté durant ces dernières années et elle devrait atteindre 50% l’an prochain.