Comment Microsoft impose son format OpenXML à l’administration française

Mobilité

Un document transmis par Microsoft au gouvernement mettrait en lumière l’influence de l’éditeur sur le sommet de l’Etat.

Microsoft a-t-il influencé le gouvernement français dans l’application du référentiel général d’interopérabilité (RGI) qui fixe les règles des échanges de documents électroniques entre les différents services administratifs? Tout porte à le croire selon un document de six pages que Redmond aurait envoyé aux instances gouvernementales à l’automne 2007. Le site de news IT CIO Online s’est procuré ce document mais l’exploite avec une grande prudence car il est difficile de l’authentifier.

Rappelons d’abord que le RGI, publié en mars 2007, confirmait le format normalisé ISO ODF comme choix de prédilection des services informatiques de l’administration française. Or, bloqué en octobre 2007, le RGI est devenu prioritaire en avril 2008, depuis qu’il intègre le format concurrent Office OpenXML (OOXML) de Microsoft quelques jours après sa normalisation ISO.

Selon le document commenté par CIO, « Microsoft, au nom du pluralisme et de la neutralité technologique de l’Etat, a demandé qu’OpenXML, standard ouvert, libre de droit et documenté, au sens de l’article 4 de la LCEN, soit également recommandé à côté du standard appelé ODF« . Autrement dit, pas question pour Microsoft de ne voir qu’un seul format de document exploité au sein de l’administration. Cela reviendrait à éliminer Office 2007 des ordinateurs des services de l’Etat (sauf à considérer une compatibilité possible avec le format concurrent à travers le développement d’un traducteur OOXML-ODF confié par Redmond à Clever Age, notamment).

Des méthodes discutables

L’administration adopte depuis quelques années le format libre et ouvert ODF (Open Document Format), tant pour des questions de coût que de gestion des licences. L’absence du format OOXML dans le secteur public français, au risque d’influencer les choix du secteur privé, était donc intolérable aux yeux de Microsoft qui se serait donc « arrangé » pour imposer sa propre technologie.

Avec des méthodes discutables. Ainsi, le premier échec de la normalisation ISO d’OpenXML est oublié. Les rédacteurs de la note préférant faire référence aux recommandations de l’ECMA (European Computer Manufacturers Association), l’association européenne privée qui régit la standardisation de technologies informatiques, à l’origine de la procédure de normalisation ISO. De plus, l’opposition de certains experts sur les aspects de propriété intellectuelle de certaines parties d’OOXML ne sont pas évoqué dans la note. Autant ne pas se tirer une balle dans le pied mais l’objectivité du document en prend un coup.

De plus, Microsoft estime « qu’il ne peut être question d’imposer un standard exclusif car cela conduirait à encadrer la liberté de choix des administrations, des collectivités locales, des acteurs privés comme des usagers« . Autrement dit, aux yeux de l’éditeur, l’universalité d’un format ne peut être exclusive malgré sa normalisation. Laquelle vise justement à offrir l’interopérabilité des documents, quelle que soit l’application qui les exploite.

Le document présente également une attaque en règle de la Direction générale de la modernisation de l’Etat (DGME) chargée de la mise en oeuvre du RGI. Microsoft lui reproche de ne pas consulter les experts du secteur privé (du moins la part plutôt acquise à la cause de Redmond comme le Cigref, le Syntec ou l’Afdel mais pas l’April ou l’Adullact) pour… définir ses besoins internes.

Une assertion fausse puisque « la démarche du RGI s’est en effet appuyé sur un wiki public largement diffusé. Tous ceux qui voulaient participer ont pu le faire« , fait remarquer l’Association de promotion et de défense du logiciel libre (April). Etrangement, le directeur de la DGME Franck Mordacq était remplacé en novembre 2007 à son poste par un ponte du cabinet de consulting Mc Kinsey, François Daniel Migeon.

Il est urgent d’attendre

Enfin, Microsoft joue sur le poids de l’existant pour justifier l’usage d’OpenXML dans les administrations. L’existant étant essentiellement constitué des formats des versions de sa suite Office 97, 2000 et XP (Office 2003 implémente le XML). Or, l’ISO avait précisément retoqué OOXML à cause des parties dédiées à la récupération (ou encapsulation) des formats binaires des versions précédentes. Ce qui avait notamment poussée l’Afnor (le pendant français de l’ISO) à proposer de scinder en deux le format OOXML afin de ne normaliser que le « coeur » dédié au format bureautique en écartant les problématiques de rétrocompatibilité. Ce qu’a pourtant accepté Microsoft, via l’ECMA, pour obtenir sa norme ISO.

Reste à authentifier la nature de la note en question. CIO Online s’entourant de toutes les précautions sur ce sujet épineux. « Le texte qui nous est parvenu est, pour nous, crédible, notamment à cause des voies empruntées, raison pour laquelle la Rédaction de CIO publie cet article. Mais il convient néanmoins de rester prudent, la manipulation semblant être une chose courante dans ce dossier… « , précise la rédaction.

Et l’April de conclure : « La divulgation du contenu de cette note confirme qu’il est urgent d’attendre avant de modifier le RGI. Ce nouvel événement renforce, si ce n’était nécessaire, l’absolu besoin d’explications claires sur le revirement de la position française et le rôle joué par les différents acteurs et plus particulièrement le gouvernement français.«