Corinne Erhel – Laure de la Raudiere (députées) : « Les changements télécoms ont été brutaux »

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Interview croisée des députées et auteures du rapport sur « l’impact de la régulation des télécoms sur la filière télécoms » en France. Discussion à bâtons rompus sur l’arrivée de Free Mobile, Alcatel-Lucent, l’ARCEP et la régulation en Europe.

ITespresso.fr : Vous demandez des clarifications dans la répartition des missions entre l’ARCEP et l’Etat. Quelles ambiguïtés faut-il lever ?

Laure de la Raudière : Les 21 objectifs assignés à l’ARCEP dans la loi ne sont pas hiérarchisés. Il y a peut-être un travail à faire pour savoir si certaines d’entre elles ne sont pas du ressort de l’Etat. Comme la définition d’une politique industrielle. Il s’agirait d’atteindre un objectif de régulation qui soit plus équilibrée.

L’Etat dispose environ de 25 personnes réparties entre la DGCIS (Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, rattachée au ministère du Redressement productif), la DATAR et le haut commissariat général à l’Investissement…Il n’a pas suffisamment de moyens et délègue une certaine expertise à l’ARCEP.

Typiquement, ils vont déléguer l’animation des collectivités territoriales à l’ARCEP. Je ne suis pas sûr que ce soit au rôle du régulateur de faire cela. C’est plutôt un rôle qui devrait être attribué à l’Etat. Il y a un travail de répartition de responsabilités entre l’Etat et le régulateur, de hiérarchie des priorités attribuées à l’ARCEP et de recentrage d’objectifs que l’Etat devrait se fixer par ses propres moyens.

Corinne Erhel : Il y a deux ans, nous avions déjà évoqué ces sujets dans un rapport sur une mission relative à la fibre optique. Laure et moi avions pointé du doigt la nécessité pour l’Etat de se doter de compétences humaines importantes en matière de télécommunications. Le gouvernement a mis en place une mission Très Haut Débit qui va dans le bon sens.

ITespresso.fr : Dans les propositions liées aux centres d’appels, vous évoquiez la possibilité de les installer dans les territoires d’outre-mer [plutôt qu’en mode off-ou nearshore]. Comment ce transfert pourrait se concrétiser ?

Corinne Erhel : La relation client a été fortement impactée dans les bouleversements du mobile et les changements de modèles rapides. Elle se fait peut-être mois par téléphone et plus par d’autres canaux comme les réseaux sociaux. Les opérateurs télécoms représentent 60% du marché des prestataires spécialisés dans la relation client. Ces derniers sont donc victimes de la compression des coûts. En 2013, on sait que ce sera encore plus difficile.

Quelles mesures peut-on prendre pour préserver les emplois en France dans la relation client ? Nous avons émis plusieurs pistes. Je ne crois pas beaucoup à la relocalisation d’activités. Ce n’est pas forcément la chose à faire.

En revanche, il faut se montrer imaginatif et innovant et voir ce qu’il est possible de réaliser en France. On a regardé la valorisation possible de services complémentaires d’assistances techniques de qualité à côté de ceux fournis gratuitement. Ces métiers évoluent et demandent de plus en plus d’expertises et de compétences et donc de recours à des formations professionnelles.

Cela pourrait devenir une opportunité pour les territoires d’outre-mer en exploitant les différents fuseaux horaires par exemple. Si les choses continuent d’évoluer dans le même sens actuellement, le risque d’offshorisation massive et d’une accélération de cette tendance est grand.

ITespresso.fr : Au-delà de la France, considérez-vous qu’il faudrait aussi accentuer la régulation des télécoms en Europe ?

Corinne Erhel : Dans l’intérêt de la filière télécoms, la régulation est à trouver dans le juste équilibre entre les consommateurs, l’emploi, la capacité d’investissement, l’aménagement du territoire et l’innovation. En l’état actuel, la régulation en Europe a insisté sur le volet de la concurrence au nom d’une baisse des prix. Ce qui est très bien pour le consommateur. Sauf qu’il faut regarder l’ensemble. Un consommateur est aussi un salarié. Il ne faut pas opposer ces deux notions.

Laure de la Raudière : Le débat au niveau européen est présenté comme tel : la concurrence entre les infrastructures est-elle justifiée ? De mon point de vue, cela a permis de faire baisser les prix. Sur le mobile, c’est très clair. Et sur le fixe, le dégroupage a permis de diminuer aussi les tarifs.

En revanche, face à l’essor de la fibre optique, on pourrait imaginer une nouvelle régulation sur les infrastructures. Ou, en tout cas, réfléchir sur un nouveau contexte de régulation lié à ce nouveau réseau.

L’Europe n’a pas décidé d’en faire un chantier dans le cadre du très haut débit. Il n’y a même pas eu de réflexion ou de consultation sur cette question au niveau européen. Je trouve cela regrettable.

ITespresso.fr : Corinne Erhel, partagez-vous l’idée de la création d’un véritable ministère du Numérique comme le souhaite Laure de la Raudière ?

Corinne Ehrel : Nous avons déjà Fleur Pellerin dans le gouvernement [au titre de ministre déléguée auprès du ministre du Redressement productif, chargée des Petites et Moyennes Entreprises, de l’Innovation et de l’Economie numérique]. La présentation à la fin du mois de la feuille de route numérique sera extrêmement importante car c’est l’un des facteurs de croissance pour la France.

(Petite précision de) Laure de la Raudière : C’est bien quand même d’avoir un ministre de plein exercice en termes d’organisation.

A lire en complément :
– Télécoms : Free Mobile n’est pas « l’unique cause de la contraction du secteur » (07/02/13)
– Régulation télécoms : la répartition des missions de l’ARCEP et de l’Etat à clarifier (07/02/13)

(Illustration : Credit photo : Shutterstock.com – Copyright : Dan Breckwoldt )

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