Crusoe : la révolution des processeurs ?

Mobilité

Après les flon-flon de la fête, il est temps de détailler quelque peu les avancées techniques de Crusoe. Présenté comme une révolution, ce nouveau processeur ne fonctionne effectivement pas comme les autres. Mais cela suffira t-il pour convaincre ?

Ce n’est tout de même pas tous les jours qu’est annoncée une nouvelle famille de micro-processeurs. Le lancement de Crusoe par Transmeta (voir édition du 19 janvier 2000) est même d’autant plus marquant que son mode de fonctionnement mi-matériel, mi-logiciel, est une première dans l’industrie. Un choix étonnant et intéressant qui demande quelques explications.

Au coeur de l’architecture Crusoe, on trouve un processeur 128 bits. A titre de comparaison, les Pentium III d’Intel sont des puces 32 bits. En principe, cette architecture dite VLIW (pour Very Long Instruction Word) donne potentiellement de meilleures performances. En effet, pendant un même cycle d’horloge, le Crusoe est capable d’ingurgiter plus de données que le Pentium. Et donc d’en traiter plus d’un seul coup. Reste qu’à lui tout seul, ce processeur n’aurait rien de réellement novateur. Le processeur au coeur de la console de jeu Dreamcast de Sega travaille lui aussi en 128 bits. Ce qui fait l’originalité de Crusoe, c’est son entière compatibilité avec le jeu d’instructions x86 des processeurs d’Intel. Et ce n’est pas le processeur lui-même qui assure cette compatibilité mais une technologie logicielle baptisée Code morphing. Comme son nom l’indique cette couche « fait croire » aux logiciels qui tournent sur la machine qu’ils ont affaire à un vrai processeur x86 en traduisant au vol les instructions x86 vers des instructions VLIW. Autrement dit, sur un machine équipée d’un Crusoe, on peut installer Windows comme s’il s’agissait d’un PC Pentium.

A première vue, il y a de quoi se demander « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? ». Et pourtant, le procédé est malin. Le procédé de morphing logiciel agit comme un compilateur en temps réel. Le plus étonnant, c’est que le Pentium III agit finalement un peu de la même manière. Une des plus grandes avancées techniques du Pentium était justement de transformer les instructions CISC (Complex Instruction Set Computer) x86 en micro-instructions plus simples, proches d’une architecture RISC (Reduced Instruction Set Computer) qui sont normalement plus rapides à exécuter.

Pour éviter que l’émulation ne grève trop les performances de l’ensemble, Crusoe intègre une mémoire cache qui conserve les instructions traduites les plus souvent utilisées. Elle fonctionne selon le même schéma que la mémoire cache du Pentium, sauf que cette dernière ne conserve que des données. Or, selon Transmeta, en usage normal un logiciel demande très souvent la même tâche au processeur. Dans ce cas, l’étape de traduction est sautée. Ce qui fait dire à Transmeta, d’ailleurs, que les habituels tests de performances réalisés dans les labos ne sont pas adaptés à ses nouveaux processeurs puisqu’ils simulent des usages qui ne sont pas réels.

Ce choix de faire traiter par logiciel un certain nombre d’instructions a permis à Transmeta de produire un processeur bien plus petit et contenant bien moins de transistors que le Pentium. Selon le concepteur de Crusoe, pratiquement trois quarts du nombre total de transistors ont pu être éliminés. Du coup, la surface du die, c’est-à-dire l’ensemble des transistors, du Crusoe ne dépasse pas les 80 mm2 contre 130 pour la version mobile du Pentium III. Et cette réduction de taille entraîne un certain nombre de conséquences : le processeur est moins cher à fabriquer, il consomme moins d’énergie et dissipe moins de chaleur. C’est la raison essentielle pour laquelle Crusoe est particulièrement adapté au marché des appareils portables. Le Crusoe n’a, par exemple, pas besoin de ventilateur. Selon un test effectué par Transmeta, un Pentium III peut dépasser les 100 degrés pour décompresser un DVD, tandis que le Crusoe atteint seulement 48 degrés celsius.

Le procédé de morphing logiciel permet également de mieux gérer la consommation électrique. Du fait même de son activité de traduction, le module de morphing connaît en permanence le besoin en puissance. Et peut donc baisser la consommation du processeur en jouant à la fois sur la fréquence et sur le voltage. Il faudra tout de même voir à l’usage car, dans un portable par exemple, la consommation d’un écran compte pour environ un tiers du total, soit à peu près la même chose que le processeur.

Autre intérêt du choix logiciel, c’est la mise à jour rapide. A terme, le code de morphing logiciel devrait être stocké dans une mémoire Flash sur les cartes mères équipés de Crusoe. Les utilisateurs pourront donc eux-mêmes mettre à jour leur processeur en téléchargeant un bout de code sur Internet. Un peu comme un driver de carte vidéo ! Transmeta devrait rajouter au fil des versions de nouvelles fonctions, tel le support des instructions 3D Now qui ne sont pas reconnues pour l’instant.

Premier constructeur à utiliser un Crusoe, Diamond a annoncé son intention de produire un Web Pad, c’est-à-dire un ordinateur tablette, sans clavier, connecté à Internet. Il utilisera le moins puissant des deux modèles de Crusoe, le 3120. Celui-ci tourne à 333 et 400 MHz. Selon la version, il coûte 65 ou 89 dollars. Le Web Pad est annoncé lui pour un prix variant de 500 à 1 000 dollars. Une deuxième version du Crusoe sera disponible vers la mi-2000 et fonctionnera à deux fréquences 500 et 700 MHz. Prix prévus :119 et 329 dollars.

Difficile de dire si le Crusoe provoquera la révolution annoncée. Reste que son introduction aujourd’hui ressemble étrangement à celle de l’Archimedes d’Acorn en août 1987. Il s’agissait du premier processeur RISC. Il était déjà, à l’époque, plus rapide que ses concurrents tout en étant plus simple et moins cher à fabriquer. Depuis sont apparus sur le marché les processeurs Power PC, qui équipent tous les Mac. Et ce sont des processeurs à architecture RISC. Même le Pentium s’est inspiré du RISC…

Pour en savoir plus :

Transmeta