D. Sandras (Ekiga) : « Je suis déçu par le manque d’interopérabilité de Skype »

Mobilité

Il y a cinq ans, ce passionné belge de l’informatique a créé un logiciel open source de voix sur IP. Ekiga 2.0 est sortie en mars.

C’est le service de voix sur IP le plus ancien en open source disponible sous Linux. Ekiga a été créé par Damien Sandras, un étudiant belge passionné par l’informatique et l’univers du libre. Alors que le business de la voix sur IP est florissant, la vision d’Ekiga est assez originale. La version 2.0 du logiciel vient de sortir. Tout en collaborant avec une société belge de services informatiques spécialisé dans le consulting open source (IT-Optics), Damien Sandras poursuit le développement de son outil alternatif, histoire de montrer que la voix sur IP n’a pas forcément débuté avec l’arrivée de Skype. (Interview réalisée le 7 avril 2006)

Vnunet.fr: Quelle est la genèse d’Ekiga?

Damien Sandras: A la fin de l’année 2000, j’achevais mes études d’ingénieur civil en informatique à l’université catholique de Louvin [l’équivalent d’ingénieur polytechnique en France, NLDR] et jutilisais souvent des logiciels open source que je trouvais très pratiques. J’ai demandé à mon promoteur [tuteur en France, NLDR] de mémoire de fin d’étude l’autorisation de réaliser un logiciel distribué en open source. De fil en aiguille, nous sommes arrivés à la conclusion qu’un logiciel de vidéo conférence et de voix sur IP compatible avec NetMeeting de Microsoft serait intéressant à développer. A l’époque, il n’y avait pas d’équivalent sous les systèmes Unix. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai divulgué le code source au cas où des développeurs auraient souhaité à leur tour apporter une contribution. Cela a été le cas. A l’origine, le logiciel s’appelait Gnome Meeting. Depuis, la référence Netmeeting a disparu, cet outil étant devenu un brin désuet.

Dans quelle mesure avez-vous perçu un retour?

Il y a eu un effet boule de neige. J’ai eu des contacts avec des éditeurs comme Mandrakesoft, Red Hat, Debian…Ils m’ont indiqué que le logiciel serait disponible dans leurs distributions. J’ai eu beaucoup de feedback du côté des utilisateurs et j’ai toujours continué à développer le produit.

Comment cet outil a-t-il évolué?

Depuis deux ans, je ressentais une très forte demande pour un support SIP, en plus de celui pour H.323, le protocole utilisé par NetMeeting et dans la plupart des centraux téléphoniques. SIP est un nouveau protocole qui va remplacer H.323. Depuis un an et demi, je travaille sur un support SIP, toujours en utilisant un maximum de briques logicielles open source. La nouvelle version de l’outil est sortie début mars avec un support complet pour H.323, SIP et une version du logiciel pour toutes les distributions Linux, Open Solaris et un portage est en cours pour Windows.

Quelles sont les grandes nouvelles fonctionnalités que vous avez apportées dans la V2 ?

La plus grande nouveauté concerne le support SIP complet avec l’audio et la vidéo. Nous avons également monté une plate-forme sponsorisée par l’hébergeur français OVH, qui permet de donner aux utilisateurs des adresses SIP et un annuaire avec les utilisateurs d’Ekigia. Dans la version 2.2, on prévoit d’ajouter la fonction « présence » pour signaler si un correspondant est disponible sur Internet ou non.

C’est facile d’utiliser Ekiga en tant qu’utilisateur?

On peut signer pour avoir une adresse SIP similaire à une adresse e-mail. Il y a un formulaire Web à remplir. On configure le compte au niveau d’Ekiga qui enregistre les données automatiquement. N’importe quel téléphone IP ou n’importe quel logiciel qui supporte SIP peut appeler un utilisateur à travers son adresse SIP. Ce qui veut dire qu’Ekia est compatible avec un certain nombre de logiciels de VoIP qui tournent sur Linux ou Windows. Sous Windows, le principal outil s’appelle Eybeam. Windows Messenger [l’outil IM pré-installé sur Windows XP, NDLR] , peut aussi s’enregistrer auprès de serveurs SIP. Un autre acteur s’en sort bien. Il s’agit de SJPhone.

Existe-t-il aussi des déclinaisons « Ekiga In » et « Ekiga Out » à la façon de Skype ?

Un des grands avantages du protocole SIP est son omniprésence. Nous allons pouvoir répondre aux besoins de différents types d’utilisateurs. Une personne qui veut contacter des amis à sa famille peut utiliser une adresse SIP simplement. Pour celle qui souhaite passer des appels à l’étranger à faible coût, il existe de multiples Internet telephony services providers (ITSP) qui sont disponibles comme l’Américain Vonage. Dans ce cas, on paie pour passer des numéros de téléphone à l’extérieur et avoir un numéro de téléphone dans un pays à l’étranger. Il suffit de configurer Ekiga en fonction des paramètres donnés par l’ITSP. Ekiga s’enregistre auprès de ces types de fournisseurs. On peut sélectionner son prestataire en fonction des tarifs des appels par pays. Nous pouvons citer un troisième cas d’utilisateur : les entreprises qui ont déployé un IPBX. Ils pourront également utiliser Ekiga comme un softphone (un téléphone software) et utiliser des fonctionnalités différentes de type transferts d’appels, re-direction des appels en cas de non-réponse persistant, suspension d’appel avec une musique d’attente?Ekiga est un outil 100% gratuit, hors options « Ekiga In » et « Ekiga Out ».

Quels sont les tarifs de communication via Ekiga?

C’est un logiciel open source. Je considère qu’il est indépendant vis-à-vis de tous les fournisseurs, même si, à travers l’interface graphique, on peut configurer un compte à travers le fournisseur que l’on a choisi. Mais l’utilisateur est libre de son choix. En France, beaucoup d’internautes utilisent Ekiga avec Wengo [un service de voix sur IP rattaché à Neuf Télécom, NDLR] pour les appels entrants et sortants.

La voix sur IP sur les mobiles, c’est un développement potentiel qui vous intéresse ?

Oui mais cela nécessite un investissement matériel qui nous manque actuellement. Nous aurion besoin également d’un appui industriel.

Jusqu’ici, vous avez développé Ekiga pour le plaisir. Voudriez-vous aborder une approche plus commerciale ?

Si je trouve un moyen de gagner de l’argent, je ne refuserais certainement pas. En l’état actuel, cela reste un outil communautaire. Une petite équipe de cinq personnes qui travaille au quotidien sur le logiciel de manière intensive. Après, nous recevons des contributions ponctuelles pour rajouter des fonctionnalités. Il existe également toute la communauté autour d’Ekia qui effectue le support technique et le packaging régulier.

Que pensez-vous du succès de Skype ?

Cela a permis de populariser la voix sur IP. Je regrette que de nombreuses personnes croient encore que Skype a inventé la voix sur IP. C’est un outil qui a bénéficié d’un remarquable effet de bouche-à-oreille. Mais, de l’autre côté, je suis déçu car il repose sur une technologie propriétaire qui limite l’interopérabilité. Skype est quand même parvenu à développer des techniques permettant de traverser les routeurs à domicile pour le partage des connexions. Skype marche remarquablement bien quelle que soit la configuration. Tandis que d’autres logiciels sous SIP ou H.323 ne fonctionneront que dans 90% des cas.

Avez-vous contacté Skype pour leur demander d’ouvrir leur logiciel à Ekiga ?

Non, je n’ai jamais essayé. Pourtant, d’un point de vue géographique, nous ne sommes pas loins. Le siège social de Skype est installé au Luxembourg.


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