Dégroupage total : le parcours sinueux des opérateurs

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Les acteurs télécoms alternatifs investissent dans le dégroupage total. Un travail de fond est mené pour industrialiser le processus. Malgré des couacs qui surviennent dans la coordination avec France Télécom.

Dans un contexte « d’explosion du haut débit », l’Autorité de régulation des télécommunications (ART) s’auto-félicite : le dégroupage total pour l’accès résidentiel décolle en France. Entre juillet et octobre 2004,le nombre de lignes totalement dégroupées est passé de 13 066 à 51 421, en progression de 300 % sur un trimestre. Jusqu’alors réservé aux entreprises, le dégroupage total, qui permet aux opérateurs d’exploiter des lignes et des abonnés résidentiels en dehors de la sphère des réseaux de France Télécom, prend son essor grâce à l’implication d’acteurs alternatifs comme Free (voir édition du 6 mai 2004) et Neuf Télécom (voir édition du 9 juin 2004). Fort de son offre Alice, Télécom Italia a débarqué en début d’année sur le marché français en s’affichant directement comme dégroupeur (voir édition du 24 mars 2004).

Mais le passage au niveau supérieur,c’est à dire développé le dégroupage total en s’appuyant sur des procédures industrielles, n’est pas évident. D’ailleurs, les opérateurs qui veulent s’affranchir des réseaux de France Télécom doivent essuyer les plâtres d’un processus encore mal rodé et les clients qui se ruent dessus pâtissent parfois du manque de coordination.

Le premier souci porte sur la procédure administrative de dégroupage total. France Télécom exige des opérateurs alternatifs un double envoi du mandat de dégroupage total signé du client final : un envoi électronique par EDI (échange de données informatisé) parallèlement à un envoi par voie postale ou par fax. Les problèmes sont assez basiques : ils résident dans l’acheminement physique des documents tant par voie postale (grèves, pertes de la lettre…) que par fax (numéro occupé, manque de papier, document illisible à la réception, etc.). Le tout en respectant un délai de synchronisation fixé à cinq jours maximum. « Sinon, il faut renouveler la demande », confie Michaël Boukobza, directeur général d’Iliad, la maison mère de Free, qui juge la procédure « lourde et peu efficace ».

Des risques de coupures téléphoniques plus ou moins longues

Une fois la demande validée, France Télécom effectue le décâblage de la ligne téléphonique pour transférer son ex-client sur une ligne totalement dégroupée. D’un point de vue technique, il s’agit de créer une liaison entre le répartiteur (où arrive la paire de cuivre de l’abonné) vers les installations de l’opérateur alternatif. Si la ligne est déjà partiellement dégroupée, l’opération peut se faire rapidement a priori : il suffit d’ôter le filtre qui sépare les données informatiques et la voix. Une opération qui provoque une coupure de ligne qui peut durer de quelques minutes à… une journée. « Dans la plupart des cas, c’est traité en deux heures », constate Nicolas Pinton, directeur de la stratégie chez Tiscali France qui aborde à son tour le dégroupage total (voir édition du 17 juin 2004).

Concrètement, ce n’est pas l’activation de la ligne en dégroupage total qui prend du temps mais la transmission du compte-rendu effectué par le technicien de France Télécom vers l’opérateur alternatif. Celui-ci attend ce sésame pour installer cette ligne en dégroupage total. « Jusqu’ici, la remontée des comptes-rendus avait lieu une fois par jour », explique Nicolas Pinton. « Nous avons signalé ce point de retard à France Télécom. Depuis, celui-ci a déployé des outils d’automatisation qui permet de faire remonter les comptes-rendus toutes les deux heures. »

Mais, du côté des abonnés, cela se complique si la synchronisation télécoms connaît des ratés. Il arrive que le client final se retrouve privé de communications téléphoniques et d’accès Internet pour des périodes plus ou longues. A son grand désarroi, son nouvel opérateur n’est pas toujours en mesure d’intervenir directement et rapidement. Sans parler des erreurs de câblage qui peuvent entraîner une interruption de service de plusieurs jours, voire plusieurs semaines. « Nous avons eu des cas où les abonnés sont restés sans services pendant plusieurs semaines », regrette Michaël Boukobza.

Des lenteurs inhérentes à certaines salles de dégroupages subsistent. « Nous constatons des délais plus importants sur les salles nouvellement ouvertes, aussi bien pour le dégroupage total que partiel », avance Nicolas Pinton. « Je ne devrais pas le dire mais les centraux de Tours sont les champions de la lenteur du dégroupage total », glisse Michaël Boukobza en guise d’illustration. Enfin, la portabilité du numéro de téléphone (qui permet à l’abonné de conserver son numéro attribué à l’origine) peut prendre entre « 24 heures et plusieurs jours », estime le dirigeant de Free.

Parvenir aux mêmes conditions dans le cadre du dégroupage partiel

Pour autant, les opérateurs alternatifs ne remettent pas en cause la bonne volonté de France Télécom. « Nous n’avons jamais senti de réelles réticences de sa part », tempère Michaël Boukobza, « France Télécom est une grosse entreprise, décentralisée, et l’information et la formation du personnel prend du temps. » Même son de cloche du côté de Tiscali qui « constate des améliorations dans nombre de villes dégroupées ». Neuf Télécom se veut plus réservé et tend à relier ce manque d’organisation à une guerre de tranchées pour ralentir le déploiement des réseaux concurrents. « C’est de bonne guerre », estime un porte-parole de l’entreprise qui reconnaît cependant « avoir en tant que client de bonnes relations avec France Télécom ».

D’ailleurs, les opérateurs alternatifs et France Télécom se réunissent chaque mois sous l’égide de l’Autorité de régulation des télécommunications pour discuter des améliorations à apporter au processus. Et particulièrement sur la transmission a posteriori du mandat de dégroupage total et la réduction du délai d’attente entre le dégroupage effectif de la ligne et la portabilité du numéro. « Nous espérons arriver à une transposition des conditions du dégroupage partiel appliquée au dégroupage total », suggère Michael Boukobza.

Modification de l’offre d’accès à la boucle locale

Preuve de la bonne volonté de « l’opérateur dominant » en vertu des critères règlementaires européens : le 20 octobre, France Télécom a modifié son offre de référence d’accès à la boucle locale. On y découvre notamment que la transmission du mandat de dégroupage se fait dorénavant a posteriori quand France Télécom en fait la demande pour un accès donné. Cette disposition sera mise en oeuvre pour un opérateur dès qu’il aura signé la nouvelle convention d’accès. Les délais d’engagement de livraisons sont également rapportés à sept jours ouvrés… sous réserve, notamment, que les commandes soient « déposées en volume raisonnable et compatible avec les capacités de production pour un site par jour ».

L’industrialisation du processus du dégroupage total avance lentement mais elle devient une réalité palpable. Les discussions se prolongeront alors sur la facturation de la location de la ligne par France Télécom aux opérateurs alternatifs. On envisage également la possibilité de créer instantanément une ligne totalement dégroupée lorsqu’un particulier effectue une demande en cas de déménagement.