Faut-il avoir peur des e-market places ?

Mobilité

Le phénomène émergeant des places de marché virtuelles attire les PME-PMI. Nelly Cambervelle, directrice du cabinet de conseil en e-business e-bda, guide ces entreprises qui veulent intégrer une e-market place ou en créer une. Comme au début de l’e-commerce, il faut comprendre ce qu’il est opportun de mettre en place sur un plan d’affaires comme technologique. Soit définir les défis à relever et éviter les écueils. Retour d’expérience?

VNUnet : On a l’impression que le mouvement des places de marchés virtuelles vient des grands-comptes… Les PME-PMI sont-elles intéressées ?

Nelly Cambervelle :e-bda ne voit pas encore d’initiative de création de place de marché virtuelle venant des PME-PMI. Avant tout, ces entreprises veulent savoir s’il existe des places de marché sur leur secteur. Et laquelle intégrer. Deux types de motivations les poussent à entrer sur une place de marché virtuelle. Le premier dessein correspond à une logique de fonctionnement interne : ces PME-PMI veulent faire des économies sur leurs achats non stratégiques comme les achats de fourniture de bureaux ou de mobilier. Elles se tournent vers des places de marché comme achatpro.com, Mondus.fr ou encore Marketo.com. Toutefois, cette activité d’e-procurement (gestion des achats internes) intéressera le plus souvent les grands comptes qui réduisent leurs coûts d’achat jusqu’à 60% ! Les PME-PMI ont cette même logique de coût ramenée à des proportions plus modestes. Et interviennent aussi dans les e-market places en tant que partenaires ou fournisseurs de sociétés plus importantes. Pour ces PME-PMI, les places de marché virtuelles ouvrent de nouvelles perspectives. Elles étendent leurs marchés, voire en atteignent de nouveaux, inaccessibles jusque là. Voilà pour les « plus ». Attention, les enjeux de temps – de délais de livraison et de réactivité à la demande – comme de prix représenteront parfois des contraintes fortes pour ces PME. Il est vrai que les e-market place peuvent représenter pour certains groupes une façon de re-qualifier leurs fournisseurs.

VNUnet : Comment choisir son e-market place ?

Nelly Cambervelle :Il faut prendre en compte plusieurs critères : quelle est la fonction attendue par la PME ? L’entreprise veut-elle devenir fournisseur d’un groupe ? Faire des achats stratégiques ? Alors, il faut chercher une place de marché « verticale » – c’est-à-dire propre à un secteur de l’économie – et ‘publique’, c’est-à-dire ouverte à toute entreprise. Veut-elle gérer ses achats de fonctionnement ? La PME-PMI se tournera vers les e-market places ‘horizontales’ : leurs échanges portent sur des biens ou des services hors production. D’autres critères interviendront comme la localisation géographique de la place de marché, le nombre total de ces membres, la gestion des catalogues (orientée clients, fournisseurs ou décentralisée), le type de transaction, d’appel d’offres, etc.

VNUnet : Quels écueils surviennent lors du montage ou de l’intégration d’une place de marché virtuelle ?

Nelly Cambervelle :L’intégration avec les systèmes existants comme les applications ERP. Cela a un impact direct sur la vitesse de déploiement. Ce facteur est critique : il en va de la réussite de la place de marché virtuelle. Il est vital d’agréger un maximum de vendeurs en un minimum de temps. Certes, tous les grands éditeurs annoncent plus ou moins des intégrations. Soit ils offrent des extensions de leurs modules, soient ils signent des partenariats avec éditeurs spécialisés comme Ariba ou CommerceOne. Sur le terrain, on observe que les délais et les spécifications varient considérablement. J’ai eu ma plus grosse surprise sur une e-market place sur laquelle il s’agissait

d’intégrer 1 000 fournisseurs. Pour la même configuration et le même périmètre, le déploiement variait de 8 heures à 4 mois ! Autre hic : il n’existe pas de standard universel pour décrire les produits. Le standard émergeant XML, qui permet de relier le monde des EDI et de l’Internet, est bien sûr le noyau technologique commun aux éditeurs. Mais tous proposent leurs propres standards construits autour du XML : Ariba avec le cXML, CommerceOne avec le XCBL, le trio IBM, JP Morgan et PriceWaterHouse Coopers avec le SpML, Microsoft avec Biztalk, etc. A cela s’ajoutent les standards guidés par les fournisseurs comme RosettaNet, le standard de l’industrie des composants électroniques ou encore SML pour Style Market Language pour l’industrie de l’acier… Et puis, il y a des secteurs comme celui du bois où on ne dispose d’aucun standard pour décrire le produit. L’ordre de commande se résume à : « Je voudrais 1 000 bouleaux demain matin à Marseille ». Dans ce cas, on travaillera à la création d’une place de marché de type ‘Appel d’offres’…

VNUnet : Quelles sont les autres clés de la réussite d’une place de marché virtuelle ?

Nelly Cambervelle :Au moment de sa création, il faut se poser la question de son modèle économique et l’étudier en fonction des membres qui composent la place de marché. Paiera-t-on à l’entrée ? Quel va être l’avantage compétitif de cette place de marché ? Comment attirer les fournisseurs ? Dans cette phase de qualification et d’opportunité, e-bda fait une étude de marché classique sur le secteur et vérifie le niveau d’équipement des acteurs potentiels de la place de marché. Par exemple, sur un secteur d’activité où les acteurs sont peu connectés, on préconisera des alertes sur des téléphones mobiles. Il est capital de savoir quel service différencié mettre en place pour attirer les acteurs traditionnels. La place de marché doit aussi offrir un service à valeur ajoutée pour la communauté de ses membres. Et démarrer avec des acteurs qui aient un pouvoir d’attraction sur le reste de l’industrie. On est dans la logique d’exemplarité des ‘early adopters’ (terme générique pour désigner les premiers arrivants sur un secteur, ndlr). Puis, il faut très vite atteindre une masse critique pour valider le fonctionnement de la place de marché.

VNUnet : Quelles formes auront ces places de marché demain ?

Nelly Cambervelle :Aujourd’hui, les montages de places de marché virtuelles se font dans la logique de joint-venture et de partage d’investissement : c’est la tendance. Les éditeurs comme CommerceOne ne se contentent pas d’offrir leurs solutions, ils prennent aussi une participation dans la place de marché. 50 % de l’offre des éditeurs peut se faire sous forme d’investissement. L’enjeux comme les revenus supposés sont importants. Les places de marché virtuelles ont démarré dans une logique de réduction de coûts avec l’e-procurement mais elles intègrent progressivement toute la chaîne logistique, le ‘tendering’ ou l’appel d’offre et même, depuis peu, la notion de collaboration et de design avec une multitude de petits acteurs spécialisés. C’est évident, les places de marché deviennent multi-fonctions. En outre, les entreprises intégreront plusieurs places de marchés, en tant que partenaire ou fournisseur et comme acheteur pour les achats internes… Dans un premier temps, les places de marché vont se multiplier. Puis elles se lieront les unes aux autres et on assistera alors à un phénomène de concentration.