Faut-il obliger les FAI à bloquer l’accès aux sites racistes ?

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Une association de lutte contre le racisme sur Internet attaque en référé l’Afa et treize de ses membres. J’accuse, Action internationale pour la justice demandait aux FAI d’empêcher l’accès à un ensemble de sites xénophobes. Ces derniers répliquent qu’ils n’en ont légalement pas le droit et que ce n’est techniquement pas possible. Un débat très envenimé.

Marc Knobel est en passe de devenir une figure de la lutte contre le racisme sur Internet, si ce n’est déjà fait. Membre du comité directeur de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), il s’est illustré lors de l' »affaire Yahoo » (voir édition du 20 novembre 2000). Le voici de nouveau sur le devant de la scène médiatique, cette fois-ci en tant que président de J’accuse, Action internationale pour la justice (AIPJ), une jeune association dont l’objet est « de combattre le racisme sous toutes ses formes et sa diffusion par l’Internet en particulier, défendre les intérêts moraux, l’honneur et la mémoire des victimes de génocides et crimes contre l’humanité et d’assister ou de représenter les victimes de discriminations ethniques ou religieuses ». En plus de l’hébergeur domicilié en Alaska, AIPJ assigne en référé l’Afa (Association des fournisseurs d’accès et de services Internet) et treize de ses membres (Bouygues Télécom, AOL, Club-Internet, Infonie, LibertySurf, Noos, France Télécom Interactive, etc.).

Des contraintes juridiques et techniques

En mai dernier, l’association leur adressait une lettre avec mise en demeure demandant d’empêcher l’accès à un ensemble de sites dénommé front14.org (le portail réunit plus de 400 sites racistes et néonazis). « Déjà, le procédé n’était pas très cordial », commence par faire remarquer Jean-Christophe Le Toquin, délégué permanent de l’Afa. « Nous avons reçu la réponse de l’Afa le 11 juin », explique de son côté Marc Knobel, « un refus motivé dans lequel ils disaient globalement qu’il n’y avait rien de possible en se permettant en plus de nous donner des conseils ». L’Afa évoque des contraintes à la fois juridiques et techniques pour expliquer son refus de satisfaire la demande d’AIPJ. « Pour empêcher l’accès à un site extérieur à un abonné, il faut analyser l’ensemble du trafic« , affirme Jean-Christophe Le Toquin, « nous ne souhaitons pas, pour des raisons à la fois juridiques et techniques, mettre en place une surveillance généralisée ». Il poursuit : « Nous sommes convaincus de notre interdiction de surveiller, qui est renforcée par le projet de loi LSI qui ressort opportunément. Nous ne sommes pas responsables des contenus qui transitent par nos réseaux. »

Devant la réponse de l’Afa, Marc Knobel a organisé une conférence de presse. « On est obligé de faire tout un tapage puisqu’ils ne veulent pas prendre de décision », se justifie-t-il. Mais Jean-Christophe Le Toquin a eu vent de la réunion et s’y est invité. Ont suivi deux heures de débat. « Je n’ai pas vu émerger une solution qui soit claire », raconte Marc Knobel tandis que Jean-Christophe Le Toquin estime que ses interlocuteurs ont « bien perçu qu’il s’agissait d’un sujet complexe ». Finalement, ce vendredi 15 juin, l’AIPJ a assigné les FAI en référé et a mis le texte de l’assignation

en ligne sur son site. « Je l’ai vu le matin« , explique Jean-Christophe Le Toquin, « on ne l’avait même pas encore reçu ». Le texte en question est très dur, certaines comparaisons paraissent douteuses. « On est proche du grotesque », regrette le délégué permanent de l’Afa.

Surveillance interdite

Le juge Jean-Jacques Gomez, celui-là même qui était chargé de l’affaire Yahoo, devra dire si les FAI doivent bloquer l’accès aux sites en question. Face à l’impossibilité technique invoquée par l’Afa, Marc Knobel a du mal a retenir sa colère. « J’en ai assez qu’on me rabâche qu’il y a des problème techniques », lance-t-il, « on a l’impression d’avoir des machines devant nous, ils ont les moyens, s’ils veulent le faire, ils le peuvent ». Ce à quoi Jean-Christophe Le Toquin rétorque : « Si on en avait la possibilité, on le ferait. » Il prend l’exemple de certains newsgroups : « Quand un juge nous demande de ne plus en relayer tel ou tel, techniquement cela ne pose aucune difficulté. Ici, ils demandent de passer outre la réalité technique et de privilégier un combat éthique – tout à fait légitime – mais pour cela le juge doit renverser les principes du Parlement européen ». Le délégué de l’Afa fait référence à la directive sur le commerce électronique qui doit être ratifiée en France, celle-ci confirme que les FAI n’ont pas le droit d’effectuer de surveillance. « Dans un contexte rationnel, le juge va le confirmer », espère-t-il.

« D’autres associations vont nous rejoindre », prévient de son côté Marc Knobel, qui souligne qu’il y a urgence. Il évoque la « nécessité de la lutte » et le « devoir de militer ». « Il appartient à un mouvement de protestation, même individuellement, de combattre », déclare-t-il, fustigeant le manque de civisme « symptomatique de notre société actuelle ». Et quand Jean-Christophe Le Toquin regrette la « publicité » faite par l’AIPJ et reproche à l’association d’« attirer l’oeil » vers ces contenus, Marc Knobel confirme qu’il a reçu des e-mails de « beaucoup de gens horrifiés » qui « ne pensaient pas que c’était possible », mais il estime qu’« il est bon que les gens sachent ». Le débat est ouvert.