François Lemaigre (Cogent) : « Certains FAI veulent contrôler et verrouiller Internet »

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Exclusif : Interview de Cogent, l’opérateur américain de transit IP qui s’est retrouvé au cœur de l’affaire Mégavideo/Orange. France Telecom ne jouerait pas le jeu d’un « Internet vraiment ouvert ».

Le bouquet de sites Megavideo – Megaupload (partages de vidéos, envois de fichiers lourds), exploité par une même société basée à Hong-Kong, a décidé d’entrer en guerre contre France Telecom – Orange.

Il a mis son audience à contribution (45 millions de visiteurs uniques chaque jour) pour alerter les clients de l’opérateur que les ralentissements qu’ils subissaient lors de l’usage du service étaient délibérés.

« Faux ! » rétorque Orange qui se déclare prêt à lancer une action en justice à l’encontre de Megavideo – Megaupload qu’il accuse de dénigrement.

Un autre acteur est venu se greffer dans le débat : l’opérateur américain de transit IP Cogent Communications qui est utilisé par plusieurs hébergeurs de Megaupload (dont l’européen Leaseweb).

Depuis plusieurs années, Cogent et Orange n’arrivent pas à s’entendre sur les conditions de l’interconnexion entre leur deux réseaux. Une affaire qui touche directement à la neutralité des réseaux.

François Lemaigre, directeur des ventes pour le marché européen de Cogent, a accepté de répondre à nos questions.

(Entretien téléphonique réalisée le 18/01/2011)

ITespresso.fr : Cogent se retrouve au cœur de l’affaire Megavidéo vs Orange… Megavidéo accuse Orange de ne pas mettre tout en œuvre pour augmenter les capacités d’interconnexion avec votre réseau. Qu’en pensez-vous ?
François Lemaigre : Nous n’avons pas l’habitude de commenter nos relations bilatérales avec tel ou tel opérateur, mais la prise de position de France Telecom – Orange sur cette affaire nous amène à réagir. Nous sommes depuis plusieurs années en discussion avec France Telecom pour l’augmentation de nos capacités d’interconnexions (peering). Malgré tous ces échanges, les négociations avec l’opérateur français ont échoué. Cogent a contribué aux consultations de l’ARCEP et de la Commission européenne sur la neutralité des réseaux, ce qui permet d’apporter un certain éclairage sur la situation.

ITespresso.fr : Dans le cas de l’affaire Orange / Megavideo, le premier explique que l’un des opérateurs de Megavideo (en l’occurrence Cogent), n’a une relation équilibrée. Comment « équilibrer » cette relation selon vous ?
François Lemaigre : L’argument classique est que, dans une relation de peering (interconnexion/échange de données), les ratios doivent être équilibrés. Lorsqu’il y a un déséquilibre qui se créé, c’est celui qui écoule le plus de trafic chez l’autre qui doit payer. Mais dans un monde où le trafic est naturellement asymétrique avec notamment une forte croissance de la vidéo, les relations de peering ne peuvent plus vraiment exister qu’entre opérateurs ayant le même profil de clients. Soit entre opérateurs de transit pur, soit entre opérateurs d’accès. Appliquer la logique classique du peering dans des relations entre FAI et opérateurs de transit n’a que peu de sens.

ITespresso.fr : France Telecom pointe du doigt la qualité de votre réseau…
François Lemaigre : Cet argument est pour tout le moins surprenant. La qualité d’un réseau se juge sur trois critères. Primo, l’étendue géographique de ce réseau : en Europe, Cogent a le réseau le plus grand de tous les opérateurs Tier-1. Secundo, la connectivité de ce réseau avec le reste de l’internet : Cogent est le réseau le plus interconnecté au monde avec plus de 3450 systèmes autonomes (AS) différents. Et tertio, l’absence de congestion dans le réseau : Cogent a basé son réseau depuis 1999 sur des technologies de nouvelle générations (NGN), et dispose donc de vastes capacités disponibles sur tout son réseau.

ITespresso.fr : Bon nombre d’opérateurs vous soupçonnent également de casser les prix de la bande passante (transit IP). Qu’avez-vous à répondre ?
François Lemaigre : Cogent est sans aucun doute le leader en termes de prix. Ceci est une stratégie délibérée car nous pensons que la bande passante est une commodité dont le coût marginal de production continue de baisser. Ceux qui vont prospérer sur ce marché sont ceux qui auront la meilleure base de coûts.

(Lire la fin de l’entretien page 2)

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