François Lemaigre (Cogent) : « Certains FAI veulent contrôler et verrouiller Internet »

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Exclusif : Interview de Cogent, l’opérateur américain de transit IP qui s’est retrouvé au cœur de l’affaire Mégavideo/Orange. France Telecom ne jouerait pas le jeu d’un « Internet vraiment ouvert ».

ITespresso.fr : Que pensez-vous des opérateurs qui entretiennent l’idée d’une congestion des réseaux ?
François Lemaigre : Tout cela est intentionnel et délibéré de la part de certains opérateurs d’accès. Cogent n’a pas de problème de congestion sur son réseau. Seulement 20% de notre capacité allumée est utilisée…imaginez le potentiel restant ! Lorsque congestion il y a, elle se situe aux points d’interconnexions avec certains opérateurs historiques, comme France Telecom. Le refus d’augmenter ces capacités n’a rien de technologique, mais résulte d’une politique délibérée et intentionnelle de la part de France Telecom. France Telecom s’exprime volontier publiquement sur la congestion des réseaux, mais force est de constater que lorsqu’il s’agit de fournir à ses clients des flux de données de plusieurs mégabits pour ses propres services (vidéo a la demande), cette prétendue congestion ne semble pas poser de problèmes…

ITespresso : Le message subliminal que vous tentez de faire passer, c’est que les opérateurs d’accès cherchent à proposer des offres d’accès restreint à certains sites/services ?
François Lemaigre : Certains fournisseurs d’accès veulent contrôler et verrouiller Internet, c’est évident. S’ils mettent un « mur » autour des consommateurs, on leur donne l’opportunité de créer une sorte de droit d’entrée pour permettre aux inducteurs de trafic (éditeurs de contenus et d’application en ligne par exemple) de franchir ce mur. Cela permet surtout aux FAI de créer des offres segmentées incluant des services « maison » et les mettre en avant en dégradant la qualité de service pour les clients désirant simplement accéder à « tout Internet ».

ITespresso.fr : C’est la raison de ce conflit avec Orange ?
François Lemaigre : Nous pensons que leur refus d’augmenter les capacités d’interconnexion est dictée par une stratégie d’intégration verticale, notamment dans la diffusion de contenus et l’offre de services à valeur ajoutée pour leurs clients. Ils essaient de développer en interne des plates-formes de contenus et de services et de les vendre à leurs souscripteurs. Le problème, c’est que, pour ce faire, ils détériorent volontairement la qualité des services concurrents disponibles sur l’Internet, ou essaient de leur faire payer un « droit d’entrée » sur leur réseau, ce qui revient au même en terme de distorsion de la concurrence. Ce n’est pas en augmentant les barrières a l’entrée pour la création de nouveaux services que la France va devenir un leader de l’économie numérique.

15 à 20% de croissance du trafic de Megaupload/Megavideo chez Orange
Depuis le vote de la loi Hadopi, les services de peer-to-peer ont connu une baisse sensible de fréquentation au profit des sites de direct download comme Megavideo dont le contrôle échappe à la haute autorité de lutte anti-piratage. Selon Les Échos, le trafic introduit par Megaupload dans le réseau Orange croit de façon exponentielle : « La croissance du trafic Megaupload atteint 15 % à 20 % chez Orange chaque trimestre, plus rapide,désormais, que celle de YouTube. » Pour écouler son trafic correctement, YouTube (Google) avait dû passer à la caisse au terme de négociations qualifiées de « difficiles » d’autant que cela ne serait qu’une contribution symbolique selon des sources internes chez Orange. L’hébergeur européen Leaseweb, partenaire de MegaVidéo, utilise lui aussi Cogent pour écouler le trafic vers les abonnés de certains fournisseurs d’accès dont Orange. Et ce, malgré un « accord » récemment signé entre Orange et Leaseweb. De son côté, Orange rappelle son attachement à la neutralité des réseaux… on ne demande qu’à le croire.

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