F.X. Hussherr : « Le Web 2.0, c’est l’internaute acteur et contributeur »

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Le directeur de la division Internet de Médiamétrie aborde Le nouveau pouvoir des internautes, en référence à son ouvrage collaboratif.

Trois experts des technologies de l’information et des communications se sont associés pour publier un ouvrage collaboratif intitulé Le nouveau pouvoir des internautes (1), distribué sous forme de téléchargement (gratuit) sur le wikibook dédié ou sur support papier (payant). En l’état actuel, les auteurs recensent 1500 téléchargements du livre et 6000 ventes en librairie.

Les internautes sont invités à corriger, modifier, enrichir ce premier jet jusqu’à mi-juillet en apportant leurs contributions sur le site Nouveaupouvoir.org. En cas de réussite de ce projet, l’éditeur Timée s’engage à publier une deuxième version plus dense d’ici la fin de l’année sous format papier et en ligne.

Cet essai a vocation à réfléchir à dépasser la « darksinistrose » et de réfléchir sur les aspects positifs des TIC en termes d’intelligence collective par exemple et à réfléchir sur l’impact de l’hypercommunication.

François-Xavier Hussherr, Directeur des activités Internet et Nouveaux Médias de Médiamétrie, l’institut de référence de mesure d’audience des médias, revient sur les sujets de fond abordés dans l’ouvrage qu’il a co-écrit.

Vnunet.fr: Les internautes représentent-ils un cinquième pouvoir ?

François-Xavier Hussherr: Oui, clairement. Outre les trois pouvoirs classiques de Montaigne (politique, justice, législatif), le Net s’installe en tant que contre-pouvoir à côté des médias. Nous en avons vu les effets à l’occasion des discussions liées au projet de loi sur le droit d’auteur (DADVSI) au parlement. Pour la première fois en France, les internautes et divers collectifs ont interféré dans le processus législatif en envoyant des amendements déjà rédigés dans les boîtes mail des députés. Nous avons même un premier candidat présidentiel de la génération Internet sur Nekkaz.com. Il aurait déjà recueilli plus de 200 signatures de maires pour soutenir sa candidature.

Le Net va-t-il jouer un rôle important pour la prochaine élection présidentielle?

La bataille politique fait déjà rage sur le Net. Je pense par exemple à l’initiative de Ségolène Royal qui a récemment sorti un wikibook baptisé Desirsdavenir.org, qui est alimenté progressivement. La publication de la version finale du livre sortira en septembre 2006. Autre cas : il suffit de voir la guerre des clics entre partis politiques liés à des mots-clés comme CPE sur le programme de liens sponsorisés de Google. Lors d’une campagne d’e-mailing réalisée l’année dernière, l’UMP a recruté 15 000 adhérents. C’est un résultat étonnant.

Comment mesurer ce phénomène de reprise du pouvoir?

Il existe de nombreux cas dans différents domaines à travers les blogs qui traite des relations avec l’information médicale ou les marques?J’aime beaucoup le cas d’une société américaine spécialisée dans les anti-vols pour moto qui a dû rapatrier ses produits car des internautes avaient montré en ligne la manière de déverrouiller le système.

Cette profusion de micro-sources d’information inquiète-t-elle les médias traditionnels ?

Il ne faut pas les opposer. Je pense au contraire qu’il existe une espèce de convergence. Avec une énorme masse grise entre les deux. Les médias vont utiliser les sources d’information émanant des blogs pour alimenter leurs propres articles. Ce qui n’enlevera rien au fait que les journalistes doivent vérifier les informations. Les bloggeurs pourront également devenir des journalistes en utilisant l’espace Internet. Ils peuvent traiter parfois l’information évènementielle, parfois l’information analytique.

Comment se concrétise « l’hypercommunication » ?

On observe deux mouvements antagonistes. D’un côté, un mouvement de repli sur soi. Les gens se replient dans leur bulle de manière égoïste. De l’autre, on n’a jamais créeé autant de liens. Les bulles entre elles sont interconnectés, ce qui aboutit à une certaine ouverture. Les relations sont dfifférentes. Peut-être plus éphémère car il est plus simple de casser une relation sur Internet que dans la vie réelle. Dans deux tiers des cas, des gens qui ont fait connaissance sur Internet aboutissent à une rencontre de visu. L’hypercommunication, c’est cette nouvelle génération, constituée d’internautes jeunes, qui a créé ces milliers de liens. Pour la tranche 12-17 ans, l’outil de messagerie instantanée est devenu le premier moyen pour communiquer avec ses amis, devant les discussions en face à face.

L’hypercommunication crée-t-elle une fracture générationnelle ?

Complètement. Ne serait que sur les tranches d’âge entre les 12-17 ans et les 18-24 ans, il existe déjà des différences fondamentales d’usages des médias. Et je n’évoque pas le fossé entre les enfants et les parents. Ils ne vivent plus dans le même monde. D’ici dix ans, je pense que la consommation des médias n’aura pas du tout le même profil qu’actuellement.

Qu’apporte fondamentalement le Web 2.0 ?

Je perçois ce phénomène comme une révolution mais qui touche pour le moment qu’une petite proportion des internautes. L’audience Web 2.0 va s’élargir d’ici 5 à 6 ans. Ce n’est pas visible en l’état actuel mais nous avions observé le même phénomène au début du Net. Le Web 2.0, c’est l’internaute acteur et contributeur. Cela change tout. Nous ne parlons plus d’une relation entre un homme et une machine mais d’une relation entre des personnes qui interagissent, qui produisent du contenu et qui apportent leurs contributions. Avant de passer à révolution Web 2.0, nous devons achever la première. En France, nous ne disposons que d’un taux de pénétration Internet de 40%. A côté, l’Allemagne et l’Angleterre affichent un taux de 50%. Aux Etats-Unis, on parle d’un taux de 70% et de 80% dans les pays nordiques. La bonne nouvelle provient de l’adoption du haut débit en France : 84% des foyers connectés sont en haut débit.

Comment se distingue votre réflexion sur le nopuveau pouvoir des internautes par rapport à celle de la révolte pronétarienne de Joel de Rosnay?

C’est un peu plus provocateur. Joel de Rosnay a pris une position anti-médias alors que je parle plutôt de fusion entre le média télé et Internet. Il suffit de regarder les set-top boxes des FAI qui proposent la télévision par ADSL pour s’en convaincre. Je ne perçois pas d’affrontement : Internet ne va pas supprimer la télévision. Chez Médiamétrie, nous observons que 30 millions de personnes regardent toujours la télévision à 20h45. La réflexion avec notre ouvrage porte plutôt sur les nouvelles opportunités pour les relations humaines et la reprise du pouvoir dans un sens général. Nous insistons beaucoup sur les apports positifs des NTIC, comme l’intelligence collective. C’est la première fois que l’être humain dispose d’un outil qui permet de coordonner les intelligences. Un avis que partage Joel de Rosnay, qui est biologiste de formation. Dans son livre, il parle de cerveaux connectés en réseaux, comme dans les années 80, on connectait les PC en réseaux sous forme de grid computing. C’est tout à fait génial pour mieux appréhender la complexité de notre société.

(1)Le nouveau pouvoir des Internautes, écrit par François-Xavier Hussherr (Directeur des activités Internet et Nouveaux Médias de Médiamétrie), Cécile Hussherr (spécialiste des rapports entre littérature et nouvelles technologies) et Marie-Estelle Carrasco (Directeur des études de Médiamétrie//NetRatings). Ouvrage paru aux éditions Timée.

(2) La révolte du pronétariat : Des mass média aux média des masses, écrit par Joël de Rosnay et Carlo Revelli /Editions Broché

Wikipedia a réalisé la meilleure performance d’audience en 2005
Wikipedia.org est un bel exemple d’intelligence collective. L’encyclopédie alternative collaborative est le site français ayant connu la plus forte progression d’audience en 2005, en passant de la 145ème position à la 37ème position du classement Médiamétrie//NetRatings. Selon le plus récent pointage en mars 2006, elle apparaît à la 23ème position. Ce qui correspond à 3,7 millions de visiteurs uniques par mois.


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