Hyperliens et droit d’auteur : ce dont présage « l’arrêt Playboy » de la CJUE

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Dans une affaire impliquant Playboy, la CJUE estime que la publication d’un lien vers un contenu mis en ligne illégalement peut constituer une infraction au droit d’auteur.

Placer, sur Internet, un hyperlien vers un contenu illégalement mis en ligne peut, dans certaines circonstances, constituer une infraction au droit d’auteur.

C’est, en substance, la conclusion rendue par la Cour de justice de l’Union européenne dans une décision du 8 septembre 2016.

L’organe juridictionnel établi à Luxembourg avait été sollicité, en avril 2015, par la Cour suprême des Pays-Bas, qui avait posé trois questions préjudicielles portant sur l’interprétation de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur dans la société de l’information.

Cette demande intervenait dans le cadre d’un contentieux opposant GS Media BV à Sanoma Media Netherlands BV, Playboy Enterprises International et la présentatrice TV néerlandaise Britt Dekker.

L’élément déclencheur ? La publication, sur le site Internet GeenStijl.nl exploité par GS Media, de liens vers d’autres sites permettant de visualiser des photos piratées de Britt Dekker, réalisées pour la revue Playboy.

Le choc des photos

À l’origine, Sanoma, éditeur de la revue mensuelle Playboy, avait commandé la réalisation d’un reportage photo sur Britt Dekker. Le photographe missionné avait donné à Sanoma mandat de le représenter pour assurer la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle résultant de son travail.

Le 27 octobre 2011, GS Media avait publié, sur GeenStijl, une partie d’une photo de Britt Dekker nue et invitait ses lecteurs à cliquer sur un lien pour en voir davantage.

Ledit lien redirigeait vers le site australien de stockage de données Filefactory.com, où on pouvait récupérer une archive (.zip) contenant 11 fichiers (.pdf) avec chacun une photo.

Si Filefactory avait fini par supprimer l’archive, GS Media avait refusé de supprimer le lien.

Le 7 novembre 2011, le groupe média néerlandais avait remis le couvert. Annonçant, sur son site, que Britt Dekker allait porter plainte, il postait un nouveau lien, toujours vers des photos, mais hébergées cette fois-ci sur Imageshack.us – qui a lui aussi fini par éliminer les fichiers.

Rebelote le 17 novembre. Par la suite, les internautes se sont chargés de véhiculer le lien sur les forums de GeenStijl.

Des moyens (il)légaux ?

Au mois de décembre, les photos étaient publiées dans Playboy. En parallèle, Sanoma introduisait un recours devant le tribunal d’instance d’Amsterdam, estimant que GS Media avait agi de manière illégale à son égard, tout en portant atteinte au droit d’auteur du photographe.

Le juge avait fait droit au recours, mais son arrêt avait été annulé en appel, la Cour estimant qu’il n’y avait pas d’infraction au droit d’auteur, car les photos avaient déjà été rendues publiques par leur mise en ligne sur Filefactory.com. Elle avait néanmoins confirmé la violation du droit d’auteur par la publication d’une partie de photo ; et estimé que GS Media s’était effectivement comporté de manière illégale en incitant les internautes à visualiser des photos qui n’étaient autrement pas faciles à trouver sur le Web.

La Cour suprême des Pays-Bas était alors entrée dans la boucle. D’un côté, GS Media reprochait à la Cour d’appel son jugement sur le droit d’auteur. De l’autre, Sanoma critiquait le fait que la publication de l’hyperlien n’ait pas été considéré comme une « communication au public ».

Au cœur de l’argumentaire des plaignants, l’arrêt « Svensson », rendu en 2014 par la CJUE, qui avait assimilé les liens hypertexte vers des œuvres protégées à une « communication au public ».

L’arrêt vaut pour les œuvres mises en ligne avec l’accord de l’auteur. Il établit qu’il n’y a pas besoin, pour la personne qui poste le lien, de demander d’autorisation supplémentaire.

Restait la question des liens vers des œuvres mises illégalement à disposition du public. Sur cette base. Sanoma et al. voulaient faire reconnaître que cette pratique constituait une « communication au public », peu importe que l’œuvre en question ait été publiée auparavant, avec ou sans accord.

Une directive en question(s)

La Cour suprême des Pays-Bas n’avait pas pu trancher avec asse de certitude, non sans toutefois souligner que le lien posté sur GeenStijl avait « un caractère éminemment simplificateur ».

Ce qui l’a amenée à poser trois questions préjudicielles.

Dans les grandes lignes, il a été demandé à la CJUE si, au sens du premier paragraphe l’article 3* de la directive 2001/29, une personne qui place, sur un site Internet qu’elle exploite, un lien vers un site tiers sur lequel une œuvre est mise à disposition du public sans autorisation du titulaire du droit d’auteur, relève d’une « communication au public ». Et si, dans la négative, on peut considérer que c’en est une lorsque le site tiers et l’œuvre sont accessibles, mais pas de façon simple, de sorte que le lien facilite la découverte de l’œuvre.

La France, au même titre que l’Allemagne, le Portugal et la Slovaquie, a formulé des observations. Sa position : rien n’ayant permis d’établir que les visiteurs de GeenStijl auraient pu aisément trouver les photos sans le lien, la publication dudit lien est un acte de « communication au public », que le titulaire du droit d’auteur ait donné ou non son accord et que la personne qui poste le lien en soit ou non au courant.

Boîte de Pandore

L’avocat général avait recommandé à la CJUE de ne pas considérer que la mise à disposition d’un lien vers des œuvres protégées par le droit d’auteur et publiées sur un autre site sans l’autorisation de l’auteur constituait un acte de contrefaçon. Il estimait que la liberté d’expression et de communication des internautes seraient entravée s’ils pouvaient être accusés pour ce motif.

La plus haute juridiction pour le droit de l’UE s’est écartée de ces recommandations. Elle a repris la logique de l’arrêt Svensson, en y ajoutant deux critères : les personnes qui publient des liens sans but lucratif auront une présomption de bonne foi, sauf s’il est clairement établi qu’elles avaient conscience du caractère illicite de leur acte. À l’inverse, si la personne poursuit un but lucratif, elle devra apporter preuve de bonne foi.

Ce jugement ne fait pas jurisprudence. Il ne s’applique que dans cette affaire, mais ouvre une brèche qu’a repérée La Quadrature du Net.

Pour l’association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, l’introduction de cette distinction crée un « situation d’insécurité juridique préoccupante », tant il est difficile, pour le public, de déterminer si une œuvre a été mise en ligne légalement ou non. Et d’évoquer des exemples tels que le site d’information qui pourrait, de manière légitime, pointer vers un contenu illicite.

* Le premier paragraphe de l’article impose aux États membres de l’UE de prévoir, pour les auteurs, le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, « y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ».

Crédit photo : seanbear – Shutterstock.com


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