Interview Paul-François Fournier – L’innovation vue par Bpifrance : « Le numérique percole partout »

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Le Directeur de l’Innovation chez Bpifrance aborde la place du numérique dans ses programmes d’investissement et le potentiel de la France dans l’essor d’un capital-risque à l’européenne.

Bpifrance prépare sa première convention BIG, qui se tiendra la semaine prochaine à Paris.

En marge de la présentation de cette manifestation dense sur deux jours visant à faire rencontrer des milliers d’entrepreneurs, d’industriels et d’investisseurs, nous avons interviewé Paul-François Fournier, Directeur exécutif en charge de l’innovation pour le compte de la Banque publique d’investissement.

Ce dirigeant passionné des nouvelles technologies, qui supervisait auparavant le Technocentre du groupe Orange, est venu épauler Nicolas Dufourcq aux commandes de Bpifrance.

18 mois plus tard, Paul-François Fournier évoque l’essor des activités de Bpifrance, ses ambitieux programmes d’investissement mais aussi la manière dont le capital-risque français pourrait servir de « terreau » à la création de fonds paneuropéens.

(Interview réalisée le 3 juin)

ITespresso.fr : Vous venez de présenter la session BIG. On dirait le modèle d’un Salon de l’Entrepeneur tourné vers l’innovation…

Paul-François Fournier : L’idée est de décloisonner l’innovation, de prendre conscience de la nécessité de partager les expériences et de « chasser en meute ». A travers Bpifrance, nous avons réalisé 50 rencontres en région dans ce sens. Nous étions toujours surpris par l’affluence d’entrepreneurs qui ont répondu à nos appels.

ITespresso.fr : Dans le cadre de BIG, vous allez réunir les entrepreneurs, les start-up, les grands groupes…mais quid des investisseurs au-delà de Bpifrance ?

Paul-François Fournier : Ils sont les bienvenus. Nous finançons d’ailleurs une centaine de fonds de capital-risque. C’est notre principal levier de financement en termes de capital-innovation. Chaque année, nous investissons près de 300 millions d’euros dans les « fonds de fonds ».

Bpifrance représente un soutien fort du paysage du capital-risque. Lors de la session BIG, on retrouvera des investisseurs experts comme Marie Ekeland ou Philippe Collombel de Partech Ventures.

ITespresso.fr : Petite parenthèse avant d’entrer dans le vif du sujet, comment avez-vous convaincu Xavier Niel de se mettre en avant dans la promotion de BIG ?

Paul-François Fournier : Nicolas Dufourcq [Président de Bpifrance, ndlr] le connaît bien. J’étais déjà à ses côtés à l’époque de Wanadoo [ex-filiale Internet du groupe France Telecom]. Xavier Niel était alors notre concurrent. Mais, paradoxalement, la concurrence peut créer des liens.

xavier-niel-BIGNicolas Dufourcq et Xavier Niel s’apprécient. L’intéressé a accepté de jouer le jeu pour BIG. On sait que c’est un privilège car Xavier Niel fait rarement de la promotion.

Finalement, nous partageons les mêmes convictions : les entreprises et l’économie française se transforment autour de cette dynamique de l’innovation. Et Xavier Niel illustre cet état d’esprit dans sa dimension d’entrepreneur et d’investisseur dans des start-up.

ITespresso.fr : Abordons la vision de l’innovation portée par Bpifrance. Quelle est la part du numérique ?

Paul-François Fournier : Selon la définition retenue par Bpifrance, le numérique représente plus des deux tiers de nos soutiens apportés aux start-up et entreprises via nos outils de financement de l’innovation. C’est significatif et cela reflète l’importance du secteur du numérique et la réalité des projets exposés.

ITespresso.fr : Mais vous avez fondu la notion de numérique dans votre nouvelle définition de l’innovation. Du coup, on pourrait imaginer une certaine dilution…

Paul-François Fournier : En fait, le numérique percole partout dans les bio-techs, le big data…Je dirais plutôt que le numérique se fond dans l’ensemble car elle est omniprésente. La nouvelle notion de l’innovation a vocation à refléter les besoins exprimés par les entrepreneurs pour réaliser leurs projets.

L’approche retenue va nous permettre de financer des projets sous un angle moins technologique comme BlaBlaCar [co-voituarge] ou Drivy [location de voitures de particulier à particulier].

Le numérique fait la jonction avec tous les domaines. Par exemple, nous avons investi dans Voluntis [logiciel de télémonitorage du diabète]. On est à la fois dans le médical, le big data et le logiciel.

ITespresso.fr : Nous sommes à l’an II de Bpifrance. Peut-on parler de vitesse de croisière ?

Paul-François Fournier : Nous n’entrons pas vraiment cette logique. Il y a encore énormément de choses à faire. On passe un autre cap.

Après une période dans laquelle nous avons mis beaucoup de moyens financiers sur l’innovation, on pense qu’il faut passer par des phases plus qualitatives.

L’argent ne suffit pas pour passer à une étape industrielle. C’est pour cela que l’on a instauré Bpifrance Le Hub pour créer des liens entre les écosystèmes.

ITespresso.fr : Considérez-vous que vous avez encore beaucoup à faire en termes de sensibilisation auprès des grands groupes français pour qu’ils s’ouvrent davantage à l’innovation ?

Paul-François Fournier : On pense que beaucoup de patrons ont compris. La prise de conscience est relativement forte mais il faut passer à l’acte. Maintenant, à nous de voir comment les accompagner pour que l’esprit d’acquisition de start-up fasse fructifier l’innovation. Le secteur des bio-technologies le fait très bien.

Nous sommes conscients des problématiques : quelle valorisation des sociétés ?  quelle intégration ? ….Mais il faut mesurer cela par rapport au risque de ne rien faire.

Il ne s’agit pas de dire que la R&D en interne n’a pas son utilité mais elle ne peut plus être la seule source d’innovation. Les groupes américains comme Google et Facebook considèrent cette logique d’acquisition-innovation comme un outil normal. Cela ne les empêche pas d’avoir les meilleurs chercheurs et ingénieurs du monde.

ITespresso.fr : L’an passé, vous avez distribué un milliard d’euros pour soutenir l’innovation. On peut s’attendre à quel niveau pour 2015 ?

Paul-François Fournier : Le plan stratégique de Bpifrance portait sur un doublement de nos moyens sur la période 2013-2017 : nous étions à 700 millions d’euros en 2013, on est arrivé à un milliard en 2014, on sera aux alentours d’1,2 milliard cette année, et on devrait tendre vers 1,5 milliard à l’horizon 2017.

Les moyens sont considérables en partie apportés par le biais des programmes d’investissements d’avenir et par l’Europe.

Dans le cadre du Plan Juncker, on vient de signer un nouveau prêt « innovation » avec la Banque européenne d’investissement. Nous allons disposer d’une dotation de 450 millions d’euros sur les trois prochaines années (période 2015-2017). Elle servira à proposer des prêts aux entreprises innovantes.

ITespresso.fr : Considérez-vous que vous couvrez l’ensemble des strates pour financer les besoins des entreprises : des start-up aux PME innovantes qui veulent grossir avec un statut d’ETI (entreprise de taille intermédiaire) ?

Paul-François Fournier : On estime que l’on couvre une bonne partie de ces outils de financement. Il y a quelques années, il y avait un gros fossé à la phase d’amorçage. Le Fonds national d’amorçage, intégré dans Bpifrance, permet de soutenir les projets start-up qui ne sont pas encore « bancairisables ».

Le sujet aujourd’hui, c’est le financement des gros tickets. Un levier qui n’existait pas en France. Dès la création de Bpifrance, nous avons mis en place le véhicule d’investissement Large Venture dans ce sens qui a d’excellents résultats.  Nous avons participé à 70% des IPO à plus de 20 millions d’euros en 2014.

Nous avons participé à la création du fonds Partech Growth doté de 200 millions d’euros. On réfléchit à d’autres acteurs investisseurs pour élargir le champ des projets d’entreprise à soutenir.

Un autre volet consiste à créer un capital-risque au niveau européen…

ITespresso.fr : Ce projet avance de quelle manière ?

Paul-François Fournier : On veut que les fonds français deviennent des leaders en Europe. Il faut entre 3 et 5 fonds à cette échelle dont les capacités dépassent le milliard d’euros.

Il faudrait des belles marques de fonds paneuropéens avec une grosse base française. Ils serviront de levier pour constituer de véritables entreprises européennes de taille critique susceptibles de se transformer en leaders mondiaux.

Il ne s’agit pas de créer des nouveaux fonds mais de s’appuyer sur les plus solides et les plus actifs pour bénéficier de leur culture et de leur expérience. Pourquoi pas imaginer avec eux des tickets de 10, 20 voire 50 millions d’euros.

En France, nous avons de la chance. Le paysage du capital-risque est très actif. Ce n’est pas le cas en Allemagne. Emmanuel Macron [ministre de l’Economie] considère que le Plan Juncker pourrait servir à constituer ces fonds.

Nous avons le terreau pour créer ce capital-risque européen, avec le Royaume-Uni dont les fonds proviennent plutôt des Etats-Unis. C’est une opportunité qui s’offre à nous : créer un capital-risque paneuropéen à base française.

ITespresso.fr : On voit régulièrement des sociétés Internet françaises tomber dans le giron de groupes américains. Ne craignez-vous pas que les efforts d’investissements initialement consentis par Bpifrance à des jeunes pousses de l’Hexagone servent au final les intérêts d’acteurs USA ?

Paul-François Fournier : Tout d’abord, il existe du financement américain qui vient soutenir des start-up françaises. Et c’est une bonne chose. Dans ce schéma, les sociétés ne changent pas du jour au lendemain de territoire. En règle générale, leur R&D reste en France ou en Europe.

En revanche, lorsque les Américains viennent en France pour acheter des start-up en France, il arrive souvent que la France devienne la base d’un développement européen. Nous avons de bons ingénieurs et le Crédit Impôt Recherche encourage les sociétés à rester pour en bénéficier. Microsoft et Google ont des bases françaises solides dans cette logique-là.

Mais on se trompe de sujet : la vraie question est de savoir pourquoi des groupes français ou européens ne procèdent pas à l’acquisition de nos start-up qui, une fois intégrées dans des plus grandes structures, pourrait partager cette culture de l’innovation. C’est le sens de notre combat avec Bpifrance Le Hub.

ITespresso.fr : Que pensez-vous de l’initiative « Reviens Léon » [visant à encourager les talents français expatriés à revenir en France pour renforcer la French Tech, ndlr] ?

Paul-François Fournier : On trouve que cette initiative plutôt sympa vienne des entrepreneurs. C’est le signe d’une vraie reprise de confiance des entrepreneurs qui fait oublier le french bashing.

Ceci étant dit, nous aidons aussi les sociétés françaises à développer leurs activités aux Etats-Unis (via le programme Ubi I/O par exemple). Dans les nouvelles technologies, on trouve que c’est un passage normal.

ITespresso.fr : Samedi 6 juin, c’est la première fête du crowdfunding en France. Comment Bpifrance pourrait davantage soutenir le financement participatif ?

Paul-François Fournier : C’est un sujet que l’on estime important et sur lequel nous pourrions aller plus loin. On étudie plusieurs options. Il y a eu des initiatives en Europe et on regarde comment nous pourrions apporter un soutien plus structuré au crowdfunding.

Nous aurons l’occasion d’en reparler mais d’abord on se concentre sur BIG.

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