Isabelle Falque-Pierrotin (FDI) : « Le Net mérite un cours dédié dans les collèges et les lycées »

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Le rapport 2004 du Forum des Droits sur l’Internet vient de paraître. Sa présidente prône une « civilité sur les réseaux numériques ».

L’année 2004 a été marquée par le vote de la loi sur la confiance dans l’économie numérique, considéré comme un texte fondateur pour le droit de l’Internet en France. Avec la parution de son rapport annuel*, le Forum des Droits sur l’Internet (FDI) retrace les grandes problématiques qu’il a abordées en lien avec les technologies de l’information et de la communication. Trois recommandations ont été publiées (protection de l’enfance, courtage en ligne de biens culturels et télétravail). Le FDI est également intervenu sur des sujets comme la cyberconsommation, le racisme sur Internet ou le peer-to-peer. Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de ce cercle de réflexion de l’Internet français, considère que la sensibilisation aux enjeux liés nouvelles technologies demeure primordiale au regard de la place que prend le Net dans notre vie quotidienne. (Interview réalisée le 22 avril 2004.) Vnunet.fr : La Commission Nationale Informatique et Libertés se plaint d’un manque de moyens financiers pour assurer sa mission. Quid du Forum des Droits sur l’Internet ?
Isabelle Falque-Pierrotin : Depuis 2001, notre niveau de subvention est constant chaque année. Or, vous pouvez constater que nous faisons beaucoup plus de choses depuis la création du Forum des droits sur l’Internet (FDI). Donc, cette année, nous demandons une augmentation substantielle auprès du ministère de l’Economie, de l’Industrie et des Finances. Nous sommes une association qui vivons à 85% des subventions de l’Etat et le reste des cotisations de ses adhérents. Nous avons recensé une hausse du nombre des adhérents (70 actuellement). Après quatre ans d’activité, nous demandons une hausse de subvention, laquelle est aujourd’hui de 1 148 000 euros. Compte tenu de votre statut de médiateur, rencontrez-vous des difficultés particulières à vous faire connaître voire reconnaître auprès de vos interlocuteurs ?
Notre légitimité croît dans le monde des entreprises et des pouvoirs publics grâce à nos travaux globaux sur la régulation sur Internet, ceux sur la cyberconsommation mais aussi nos recommandations pour la loi sur la confiance dans l’économie numérique. L’année dernière, des entreprises comme Orange ou PriceMinister ont rejoint le FDI. Du côté du grand public, nous menons nos efforts auprès du grand public sur le site DroitduNet.fr, dont l’audience augmente progressivement. Nous avons recensé entre 330 000 visiteurs uniques sur le site en 2004. Vous avez ouvert le service MédiateurDuNet depuis septembre 2004, qui facilite le règlement de problèmes pouvant survenir entre des services Internet et des particuliers. Quel premier bilan effectuez-vous ?
C’est un service qui marche extrêmement bien. Il existe un besoin réel pour ce type de médiation alternative, et ce, sans effort de publicité. Nous avons recensé plusieurs milliers de demandes de résolutions à travers notre plate-forme en ligne. Une société de consulting a été chargée de faire un audit du service MédiateurDuNet. Et les premiers retours de cet audit sont très positifs. Cela me conforte dans l’idée que nous avons eu raison de lancer ce service et il faut s’efforcer de le faire connaître en France, pays dont la culture de la médiation est quelque peu balbutiante. Le projet de loi sur la confiance dans l’économie numérique a été l’un des sujets phares que vous avez traité en 2004. Estimez-vous que l’application de ce texte fondateur pour le droit de l’Internet est sereine ?
Nous sommes satisfaits de la création de cette loi car nous avons été largement entendus dans nos recommandations. Au niveau des décrets d’application, il reste encore beaucoup de choses à faire. Une concertation avec l’ensemble des acteurs devrait s’approfondir. Nous n’avons pas de visibilité absolue de la part des pouvoirs publics sur ce sujet-là. Il existe encore de très gros dossiers pour lesquels les décrets d’application vont être essentiels. Cette année, le FDI voudrait établir un groupe de travail pour faire le point sur les textes de lois et décrets d’application qui sont intervenus récemment et qui modifient les conditions légales de la cyberconsommation. Le cas échéant, nous pourrions émettre des recommandations ultimes afin de rendre plus efficace cette consommation en ligne. Dans le cadre de l’affaire Aaargh du nom d’un site à caractère révisionniste hébergé aux Etats-Unis, la responsabilité des hébergeurs et des FAI est mise en cause pour ne pas avoir coupé « par défaut » l’accès à ce site au contenu illlicite. Estimez-vous que les associations de lutte contre le racisme pourraient demander de couper l’accès à tous les sites qui appellent à la haine en vertu de l’application de la LCEN ?
C’est un problème qui concerne plus généralement les contenus illicites et la responsabilité des intermédiaires techniques. Dans la jurisprudence se dessine une évolution en faveur de la responsabilisation des intermédiaires techniques. Avec la démocratisation de l’Internet et l’exposition des jeunes publics à des contenus illicites, une réaction judiciaire pour trouver un responsable semble apparaître. Ce n’était pas le cas au début de l’Internet mais je pense que les magistrats ont tendance à se montrer plus favorables à une forme de responsabilisation des intermédiaires techniques. Par exemple, en leur demandant le filtrage. A propos de l’expression en ligne, les médias pointent des dérives liées à l’usage des blogs par les jeunes. Le FDI tire-t-il la sonnette d’alarme ?
Effectivement, certains commentaires postés par des jeunes bloggeurs peuvent se montrer diffamants. Néanmoins, il n’y a pas matière à un nouveau cadre règlementaire ou législatif. Nous avons déjà tous les éléments juridiques pour encadrer les blogs. Le blog est un journal intime en ligne mais c’est surtout un puissant service de communication électronique. Les jeunes n’ont pas forcément conscience de son potentiel de diffusion et les services de blogs mis en place ne font pas beaucoup d’efforts pour se montrer pédagogue en la matière. Nous devrions davantage sensibiliser les adolescents sur ce thème. La sensibilisation vis-à-vis des nouvelles technologies semble primordiale au sein des établissements scolaires. Comment l’Education nationale pourrait améliorer son action en la matière ?
Le FDI milite pour une vraie éducation à la civilité sur les réseaux numériques qui soient dispensés dans les collèges et les lycées. Le sujet est tellement riche qu’il mériterait l’instauration d’un véritable cours dédié. L’individu existe de plus en plus en ligne donc il doit apprendre cette civilité en ligne. Il existe déjà un brevet Informatique et Internet qui me semble encore trop technique mais on ne fait pas assez d’effort sur la question de l’usage. Avec le développement de l’Internet, nous avons l’opportunité de revenir sur tous les fondements de notre société : la liberté d’expression, le racisme, les droits de l’artiste…C’est un sujet en or pour un cours d’éducation civique. Nous poussons pour que l’Internet devienne une vraie discipline. Autre sujet sensible : le peer to peer. Aux Etats-Unis, la pression est tellement grande que la Cour Suprême est appelée à trancher. Ne risque-t-on pas d’assister à des débordements en France lors des prochains débats parlementaires liés à la transposition de la directive droits d’auteurs et droits voisins ?
La discussion sera très difficile et des pressions sont exercées de part et d’autre. Mais il faut trouver une solution. On ne peut pas continuer à ignorer la question. Au-delà des propos tenus par les différents acteurs, je pense qu’ils ont pris conscience de leur interdépendance. Nous avions réalisé un colloque sur le peer to peer avec l’ensemble des acteurs intéressés par le sujet en septembre 2004. Il faut parvenir à un véritable pacte social. Et j’ai tendance à penser que l’Assemblée nationale et le Sénat restent les meilleurs endroits pour le définir. Le syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs a obtenu le droit de surveiller le réseau des réseaux sous certaines conditions. Les autres acteurs du divertissement vont exploiter la brèche pour défendre leurs propres intérêts. Va-t-on assister à une surveillance généralisée des réseaux ?
Je vous rappelle que la position de la CNIL a été très mesurée sur la demande du SELL. Son feu vert ne donne pas lieu à une surveillance généralisée mais à la surveillance d’un certain nombre d’abus. La CNIL ne compte pas délivrer systématiquement d’autorisation à toute les demandes de surveillance de réseaux. Toutes les demandes sont examinées au cas par cas. On recense des tests locaux de vote en ligne à l’occasion du prochain référendum sur la Constitution européenne. Pourquoi le vote électronique reste au stade de l’expérimentation en France ?
Lors d’une recommandation publiée l’année dernière, le FDI indiquait que le vote électronique doit être déployée de façon progressive et raisonnée. En l’état actuel, il existe encore des séries d’incertitudes relatives à la sécurité des systèmes de vote et au contrôle d’identification des votants. D’où des expérimentations ponctuelles de vote en ligne. Que ce soit pour les chambres de commerce ou pour les universités, les garanties apportées par les entreprises en charge du déploiement de systèmes de votes en ligne suscitent quelques réserves. Il faudrait qu’un observatoire du vote électronique soit mis en place pour collecter les expérimentations et faire des documents de synthèse. Hors, cette vision de synthèse n’existe pas. Je vous rappelle que les Etats-Unis ont fait marche arrière sur les dispositifs de vote électronique depuis la dernière élection présidentielle. Le FDI a initié un « débat national » sur la carte d’identité électronique avec plusieurs étapes dans des grandes villes de France. Comment réagit l’assistance en général ?
Les premières réactions étaient plutôt réservées voire négatives a priori. Aujourd’hui, le débat est plus affiné. Les gens demandent des précisions sur les garanties par rapport aux projets d’établir une base centrale d’information : quelles données, quel usage et pour quelle évolution d’usage…Les risques d’intrusion dans la vie privée et la liberté de déplacement sont souvent citées. Selon les recommandations du FDI, les citoyens devraient être en mesure d’exiger une maîtrise du contrôle des informations liées à l’attribution de la carte nationale d’identité électronique (CNIE).

*Le rapport annuel 2004 du Forum des droits sur l’Internet est vendu au prix de 23 euros. Il peut être commandé sur le site de la Documentation Française.


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