Jacques Henno (Prédateurs Silicon Valley) : « Facebook a menti au moins sept fois à ses utilisateurs »

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Ce journaliste français a enquêté sur les pratiques « d’Apple, Facebook, Google et les autres » en termes d’exploitation des données personnelles sur Internet. Une collecte « insidieuse et insatiable » qui empiète largement sur notre vie privée.

Comment Apple, Facebook, Google et les autres « siphonnent nos données » ?

Journaliste indépendant, Jacques Henno a mené une enquête sur la manière dont les grandes sociétés Internet américaines collectent nos données en vue d’une exploitation diverse : publicité ciblée, vente de produits, surveillance des achats…

Silicon Valley/Prédateurs Vallée ? Le point d’interrogation dans le titre de son ouvrage* paraît superflu. Le journaliste (qui a déjà contribué à VNUnet.fr, ex-ITespresso.fr) revient sur le cas de Facebook après l’accord signé la semaine dernière avec la Federal Trade Commission relatif au respect de la confidentialité des informations.

En France, le réseau social fait également l’objet d’une saisine devant la CNIL au nom de l’association Internet sans frontières (interview réalisée par mail le 2 décembre 2011).

*Silicon Valley / Prédateurs Vallée ? Jacques Henno, Editions Télémaque, 13,50 euros

ITespresso.fr : Que penses-tu de la décision FTC aux Etats-Unis concernant Facebook ?
Jacques Henno : Tout d’abord, je pense qu’il faut replacer l’accord intervenu mardi dernier entre Facebook et la FTC (Federal Trade Commission), l’agence fédérale en charge du droit de la consommation aux États-Unis, dans le contexte des rumeurs d’introduction en Bourse du réseau social : diverses raisons légales pousseraient Facebook à vouloir être coté sur les marchés boursiers vers avril 2012. Or, il aurait été difficile pour l’entreprise de s’introduire en Bourse en ayant la FTC qui la mordait aux jambes !

On peut donc s’interroger, une fois de plus, sur les véritables motivations qui ont poussé Mark Zuckerberg à passer cet accord avec la FTC : n’a-t-il pas agi, finalement, sous la pression des marchés financiers ? Ceci dit, l’accord de mardi dernier constitue un véritable camouflet pour l’entreprise de Mark Zuckerberg. Puisqu’il est enfin reconnu ce que beaucoup d’experts soutiennent depuis longtemps : « Facebook est l’entreprise la plus terrible dans le monde quand il s’agit de la vie privée », comme me l’a expliqué Chip Pitts, avocat international, militant des droits de l’homme,qui enseigne les droits de l’homme et les affaires internationales à Stanford et Oxford et que j’ai interviewé pour mon livre.

Les sites de la FTC  rappellent que Facebook a menti au moins sept fois à ses utilisateurs sur la protection de la confidentialité de leurs données ! En signant cet accord, Facebook s’engage à ne plus jamais mentir à ses abonnés et à faire régulièrement auditer par des cabinets indépendants ses pratiques en matière de respect de la protection de la confidentialité des données de ses utilisateurs.

ITespresso.fr : L’Europe pourrait-elle faire subir le même traitement à Facebook ?
Jacques Henno : D’abord, je remarque qu’il est assez croustillant de constater que c’est une agence fédérale américaine qui, la première, a taclé Facebook sur le non-respect de l’accord Safe Harbor. Rappelons que Safe Harbor (Sphère de protection) est un accord entre l’Europe et les États-Unis et qui permet aux entreprises américaines opérant en Europe de rapatrier aux États-Unis les données de leurs clients français, allemands, anglais, etc. En contrepartie, ces sociétés s’engagent à accorder à ces informations le même degré de protection que si elles restaient en Europe. Or la FTC rappelle que Facebook a menti en disant qu’il respectait les termes de Safe Harbor ! Cela aurait été plutôt à l’Europe de le faire. Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ?

Sur le plan juridique, pour l’instant, c’est encore compliqué, car il y a encore un débat sur le droit – américain ? européen ? – qui s’applique aux données que nous, Européens, confions à Facebook. En effet, les conditions d’utilisation de ce réseau social stipulent, pour toutes les personnes résidant hors des États-Unis et du Canada, qu’est passé « un accord entre vous et Facebook Ireland Limited », une entreprise située en Irlande et donc de droit européen.

Mais, quelques lignes plus haut, il est indiqué qu’en cas de litige nous devrons porter plainte en Californie : « Vous porterez toute plainte afférente à cette Déclaration ou à Facebook exclusivement devant les tribunaux d’État et fédéraux sis dans le comté de Santa Clara, en Californie. Le droit de l’État de Californie est le droit appliqué à cette Déclaration, de même que toute action entre vous et nous, sans égard aux principes de conflit de lois. Vous acceptez de respecter la juridiction des tribunaux du comté de Santa Clara, en Californie, dans le cadre de telles actions. »

De plus, encore un peu plus haut, il est bien indiqué : « Nous nous efforçons de créer une communauté sans frontières avec des standards cohérents pour tous, tout en respectant les lois locales. Les termes suivants s’appliquent aux utilisateurs hors des États-Unis : […] Vous acceptez que vos informations soient transférées et traitées aux États-Unis. » Or si nos informations sont traitées aux États-Unis, elles tombent sous le coup de la législation américaine. Par exemple, elles peuvent être réquisitionnées par les autorités américaines, dans le cadre du Patriot Act, une loi d’exception votée au lendemain des attentats du 11 septembre 2011.

(Lire la fin de l’interview page 2) : Position de la CNIL, dérives, dépendance

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