Jacques Henno (Prédateurs Silicon Valley) : « Facebook a menti au moins sept fois à ses utilisateurs »

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Ce journaliste français a enquêté sur les pratiques « d’Apple, Facebook, Google et les autres » en termes d’exploitation des données personnelles sur Internet. Une collecte « insidieuse et insatiable » qui empiète largement sur notre vie privée.

ITespresso.fr : Quelle est la position de la CNIL concernant Facebook ?
Jacques Henno : Pour mon livre « Silicon Valley / Prédateurs Vallée ? », j’ai bien sûr interrogé la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, l’autorité française chargée de protéger nos données personnelles. Ses experts estiment que c’est bien le droit européen qui s’applique aux données que les Européens publient sur Facebook, mais ils ne savent pas précisément si c’est le droit irlandais (le siège social de Facebook Europe est en Irlande) ou français (les équipes commerciales qui gèrent les publicités que Facebook diffuse aux internautes français sont installées dans l’Hexagone) qui s’applique ! Je crains que l’ouverture prochaine d’un data center de Facebook en Suède ne complique encore les choses !

A ce problème juridique s’ajoute peut-être un manque de volonté de la part de certains pays européens : la CNIL française se demande encore quel droit s’applique à Facebook, alors qu’en Allemagne, le Commissaire à la protection des données du land de Hambourg a obtenu en janvier 2011 un recul du réseau social : les Allemands peuvent empêcher Facebook d’utiliser leurs carnets d’adresses (que l’on communique à Facebook en s’inscrivant sur ce site et lorsqu’on lui demande de nous aider à identifier, à partir de notre carnet d’adresses mails nos amis déjà présents) pour recruter de nouveaux utilisateurs.

Espérons que la nouvelle présidente de la CNIL sera aussi volontaire que son homologue hambourgeois vis-à-vis de Facebook…

ITespresso.fr : Quels sont les abus de l’exploitation de nos données par ces « prédateurs » ? Quelles sont les principales dérives?
Jacques Henno : Les entreprises de la Silicon Valley réfuteraient certainement ce terme d’abus. Elles ont beau jeu de dire qu’elles annoncent clairement la couleur dans leurs politiques de confidentialité : toutes les données que nous leur confions, explicitement (en publiant des informations sur Facebook) ou implicitement (en tapant des termes de recherche sur Google), peuvent être utilisées à des fins commerciales, par exemple en nous envoyant des publicités ciblées.

Le hic c’est que pratiquement personne ne lit ces conditions d’utilisation et n’est courant du modèle économique de ces entreprises. J’interviens très régulièrement devant des collégiens et lorsque je leur demande comment Facebook ou Google gagnent de l’argent, très, très peu me répondent « Grâce à la publicité ».

Pire, une étude Pew Internet rappelle que seul un internaute sur six serait capable, sur un moteur de recherche, de toujours faire la distinction, entre la publicité et les résultats de la recherche ! Au niveau des dérives, le premier risque est qu’avec la baisse du prix des équipements informatiques, les entreprises vont pouvoir traiter de plus en plus de données personnelles.

On sait que Facebook aimerait bien pouvoir analyser les 250 millions de photos qui sont publiées quotidiennement sur son site, pour en analyser le contexte (soirée de fête, travail, vacances…) ou repérer les marques de boissons, de voitures, etc. qui y apparaissent et pouvoir ainsi  nous envoyer des publicités encore plus ciblées. Et que se passera-t-il si demain on nous propose d’analyser gratuitement notre ADN et nous dire quels risques de santé nous courrons, en échange de services marketing personnalisés (une crème solaire qui respecte parfaitement notre peau ?).

Enfin, il existe toujours un risque que ces fichiers commerciaux soient réquisitionnés, officiellement à des fins juridiques et dans les faits à des fins politiques.On a vu ce qui s’est passé avec les fadettes du journaliste du Monde dans l’affaire Bettencourt…

Tu considères que nous sommes trop dépendants de Google, d’Apple et de Facebook. Faut-il les quitter?
Il faut au minimum faire très attention aux informations que nous leur confions. Personnellement, je suis sur Facebook à des fins professionnelles : vous  n’y verrez pas de photos de ma famille ou de mes vacances.

Et il faut régulièrement faire une sauvegarde de nos données : un jour, il y aura forcément une catastrophe informatique et nos mails, nos photos, nos textes que nous confions, par exemple, à Gmail, à Picasa ou à Google Documents pourraient bien disparaître. Rappelons que Google a été plusieurs fois victime de tentatives de piratage…

Crédit photo : ©-freshidea-Fotolia.com

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