Jean-Ludovic Silicani – ARCEP : comment trouver le bon niveau de concentration télécoms en Europe

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DigiWorld : le président de l’ARCEP brise des idées reçues dans le secteur télécoms entre les USA et l’Europe. Et critique le projet de règlement pour un marché unique des télécoms poussé par la Commission européenne.

Jean-Ludovic Silicani adore prendre les analystes des secteurs télécoms à revers. Lors d’une intervention DigiWorld organisée mercredi, le président de l’ARCEP a refusé de présenter les télécoms comme un secteur en crise.

« Il est en croissance de 6% par an en volume. Et c’est le secteur économique qui croît le plus vite en France. »

Il faut néanmoins nuancer : « En valeur, il est vrai que le chiffre d’affaires baisse car les prix baissent. Mais les marges baissent aussi mais demeurent importantes (autour de 30% de marge brute). C’est le fil rouge car il est  susceptible de pénaliser les investissements pour moderniser les réseaux existants et concevoir les nouveaux réseaux. »

Mais, avec un niveau de 8 milliards d’investissements en 2012 (hors achats des fréquences), c’est un record historique.

« Cela veut dire que les opérateurs ont confiance en l’avenir. Ils n’investissent pas pour faire plaisir au gouvernement ou au régulateur. »

Du coup, la « concomitance très forte en volume qui ne se dément pas et qui va s’accroître sans doute au cours des prochaines années, le nombre d’abonnés et le trafic en hausse et le haut niveau d’investissement » constitue « plutôt des signes positifs ».

Sur la comparaison Europe – Etats Unis, Jean-Ludovic Silicani reconnaît que les Américains avaient pris du retard sur le haut débit (fixe et mobile).

Mais il y  eu un « phénomène de rattrapage » du côté des Etats-Unis en passant de la 2G à la 4G. En sachant que la dimension de territoire prend une tout autre mesure outre-Atlantique ( superficie USA : 9,6 millions de kilomètres carrés; superficie France : 674 843 kilomètres carrés).

Mais, sur 10 ans, l’ARCEP constate que le ratio investissements sur chiffre d’affaires est exactement le même en France qu’aux Etats-Unis (pour le secteur mobile). Et refuse de parler d’un constat de sous-investissement sur la longue période.

Rappelons que Verizon a commencé à déployer la 4G/LTE dès décembre 2010. La France est partie plus tard mais elle n’a pas à rougir.

Bouygues Telecom dispose déjà d’une couverture 4G (63%) supérieure à celle d’AT&T (deuxième opérateur mobile aux Etats-Unis).

La tactique de « lâcher un lièvre » (le refarming 1800 MHz accordé à Bouygues Telecom) a eu un effet de « stimulation » du marché 4G. Les autres opérateurs courrent après « le lièvre » sauf Free Mobile.

A charge pour les autres opérateurs de courir après « le lièvre » pour éviter d’être distancé.

Rappelons qu’à mi-novembre, les trois opérateurs – Orange, SFR et Bouygues Telecom – affichent une base globale de 1,6 million d’abonnés 4G.

Un bon score sachant que la commercialisation des premières vraies offres Internet très haut débit mobile a démarré en octobre.

Sur la question du projet de règlement de la Commission européenne pour aboutir  à un marché unique des télécoms (présenté fin octobre), l’ARCEP considère que les « moyens préconisés » sont totalement « déconnectés de l’objectif voire contradictoires ».

Les « outils ne sont pas adaptés ». La plupart des pays européens, des régulateurs nationaux et du Conseil européen ont exprimé également de fortes réserves sur le projet de règlement soumis par la commissaire Neelie Kroes.

« La boîte à outils est trop détaillée et trop uniforme dans le projet de règlement (…) Il faut mettre de la souplesse soit dans les objectifs soit dans les moyens. »

Sur la question des regroupements des acteurs dans le secteur télécoms, Jean-Ludovic Silicani ne voit « aucun obstacle en droit sectoriel des télécoms ». C’est un problème de droit de concurrence ».

Reste à déterminer quel est le « bon niveau de concentration au niveau européen et au niveau national qui perrmet de concilier une animation concurrentielle suffisante et un niveau de marge suffisant pour les opérateurs d’investir ».

Jean-Ludovic Silicani qu’il y a une marge de manoeuvre entre un éparpillement excessif des acteurs télécoms en Europe et le haut niveau de concentration observé aux Etats-Unis (avec 600 000 emplois perdus sur 10 ans outre-Atlantique).

Le président de l’ARCEP rappelle que les quatre principaux opérateurs européens (Vodafone, Orange, Telefonica et Deutsch Telekom) concentrent plus de 60% du marché des utilisateurs de services de communication électronique (seulement 10% de moins que les 4 principaux opérateurs américains).

« Vodafone et Orange ont plus d’abonnés mobiles qu’AT&T et Verizon réunis », précise-t-il. De quoi clouer le bec aux analystes évoquant des « opérateurs géants aux Etats-Unis » et des « opérateurs nains aux Etats-Unis ». Cette présentation est fausse, sermonne le président de l’ARCEP.

« On a de très grands opérateurs européens en termes de parts de marché et de taille comparative par rapport aux opérateurs américains. »

Reste une question : « Pourquoi les opérateurs européens n’utilisent pas mieux leur taille pour générer des gains de productivité et des baisses de coûts ? »

En France, l’Histoire a amené à avoir une stabilisation de quatre opérateurs fixes et la convergence fixe-mobile a amené à avoir quatre opérateurs mobiles. C’est comme cela que s’inscrit l’arrivée de Free Mobile sur le marché de l’Hexagone, estime le président de l’autorité de régulation.

« Il n’existe pas de nombre d’or sur le nombre d’opérateurs par pays », commente-t-il.

Interrogé par Yves Gassot de l’Idate, Jean-Ludovici Silicani rebondit sur la question d’une éventuelle régulation ex ante (au préalable) des OTT (Over-The-Top) du nom des services Internet qui exploitent les réseaux télécoms (comme Google ou Facebook).

Le nombre de marchés de gros télécoms régulés ne cesse de baisser, remarque Jean-Ludovic Silicani. Ainsi, la régulation de la fibre depuis son apparition est symétrique.

Pour les OTT, « en théorie, pourquoi pas mais elle serait difficile à mettre en oeuvre ».

Le levier de la fiscalité numérique peut servir d’alternative pour ré-équilibrer la valeur entre les acteurs.

L’entretien intégrale de l’intervention de Jean-Ludovic Silicani est disponible ici.

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