Jeux d’argent en ligne : les monopoles d’Etat sont attaqués

Mobilité

Pour être présent sur le Net, le groupe casinotier Partouche lance une offensive contre la Française des Jeux. En Europe, les législations bougent.

Le business des jeux d’argent en ligne est trop important pour le laisser filer, quitte à passer outre les monopoles d’Etat. Selon le cabinet Christiansen Capital Advisors, le marché de l’e-gambling (qui comprend les casinos en ligne et les salles de poker virtuels) a représenté un marché de presque 12 milliards de dollars. D’ici 2010, il serait deux fois plus gros. En sachant que ces données ne prennent pas en compte le volet des paris sportifs (betting) lui aussi en plein essor sur Internet.

En France, les casinos commencent à monter au créneau pour réclamer une part du gâteau. A travers le Syndicat des casinos modernes de France (SCMF), le groupe Partouche a déposé plainte devant la Cour européenne de justice pour dénoncer le monopole exercé par la Française des Jeux (FDJ), qui a obtenu l’autorisation de déployer une plate-forme de jeux en ligne en 2001. Parallèlement, il a effectué une requête officielle auprès du Premier ministre pour demander l’abrogation de ce monopole qui date de 1978.

En guise de réaction, la Française des Jeux s’est fendue d’un communiqué de presse en date du 11 avril pour exprimer son « étonnement » vis-à-vis de cette procédure de la SCMF. « Les jeux de loteries ne sont pas des machines à sous », souligne-t-elle rappelant le cloisonnement des activités de jeux d’argent : les courses hippiques pour le PMU, les loteries et jeux de pronostics pour la Française des Jeux et les jeux de table et les machines à sous pour les casinos.

Le groupe Partouche contre vents et marées sur Internet

En qualité d’exploitant d’un réseau de 58 casinos (numéro un en Europe mais numéro deux en France), le groupe Partouche ne supporte plus cette situation jugée discriminatoire : légalement, il n’a pas le droit de décliner ses activités en ligne alors que des milliers de sites hors-la-loi, implantés à l’étranger, visent les internautes français.

Déjà en 2002, il a tenté de contourner le dispositif règlementaire en accordant à un opérateur situé à Bélize une licence pour exploiter un casino en ligne en son nom (casino-partouche.com). Une expérience destinée à attirer l’attention des pouvoirs publics et à faire son apprentissage du métier d’exploitant de casinos en ligne mais qui s’est révélée maladroite dans son application.

Désormais, Patrick Partouche, Président du Directoire du groupe éponyme, veut reprendre l’intégralité du contrôle de son déploiement Internet. Début mars, il a annoncé la création de Partouche Interactive. Dirigée par Frédéric Vinzia, un ancien collaborateur de Canal Plus, cette filiale va prendre en charge les activités « nouveaux médias » (télévision, Internet, téléphone?) du groupe en France et à l’international. Partouche Interactive, dont le siège pourrait être installé à Gibraltar pour éviter les problèmes juridiques de territorialité, va démarrer ses activités à la rentrée prochaine.

Elle dispose d’un petit bouquet de services pour démarrer. Côté Internet et mobile, le groupe Partouche dispose d’une agence multimédia (la société QueDesJeux.com installée près de Tours) et compte ouvrir un portail « e-Partouche ». Sur le front de la télévision, il a investi dans le projet Cash TV du nom d’une chaîne interactive numérique qui est tournée vers les jeux d’argent et qui sera lancée fin mai sur Canalsat.

Le marché des jeux d’argent balloté

Ces initiatives interviennent dans un cadre mouvant des jeux en ligne en France mais aussi en Europe, comme le souligne la jeune Agence française des jeux d’argent en ligne (voir interview du jour).

Récemment, l’Etat français a fait un joli cadeau à la Française des Jeux, qui détient le monopole de l’offre de loteries et de paris sportifs en ligne (avec le PMU pour les courses hippiques). Un décret en date du 17 février 2006 favorise son accès à une expansion géographique de ses activités au-delà des frontières françaises et à un déploiement transfrontalier de son offre, y compris via Internet.

Mais, en l’état actuel, il est vrai que les recettes que la FDJ tire des nouvelles technologies restent minimes. Selon ses résultats financiers en 2005, « les prises de jeux opérées par le canal multimédia » ne représentent « que » 68 millions d’euros soit… 0,8% de son chiffre d’affaires global.

Que se passe-t-il ailleurs en Europe ? les mouvements sont contradictoires. Au Royaume-Uni, on tend vers une régulation des jeux d’argent en ligne avec le Gambing Act voté en 2005 qui entrera en vigueur à partir de septembre 2007. En Italie, on semble reculer en revanche. Une loi votée le 24 février interdit laccès à certains sites étrangers de jeux dargent sur le territoire italien, malgré la jurisprudence européenne Gambelli* qui est née là-bas.

L’enjeu lié aux paris en ligne

Le dernier soubresaut est identifié en Allemagne. Dans une note diffusée le 3 avril sur le site Droit-Technologie.org, Thibault Verbiest, avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles spécialisé dans les TIC, jeux et médias (cabinet Ulys) révèle que la Cour constitutionnelle allemande a déclaré illégal le monopole des paris en ligne. La plus haute instance judiciaire d’Allemagne renvoit la balle dans le camp des législateurs afin qu’ils établissent un nouvelle loi portant sur le sujet.

De belles batailles en perspective en sachant que, côté français, on ne s’ennuit pas non plus en matière de prises de paris en ligne. Il suffit de voir la réaction vive du PMU face à des intrus qui viennent approcher son domaine de prédilection, à l’instar de ZeTurf.com (voir édition du 9 novembre 2005).

En 2005, la « première entreprise de pari mutuel en Europe » affiche 272 000 comptes clients à ses services de prises de paris à distance (PMU Direct), dont 120 000 clients pour le site PMU.fr. C’est peu par rapport à la masse globale de parieurs (6,5 millions) mais, à l’instar de la Française des Jeux, le jeu d’argent à distance en vaut la chandelle.

*Dans un arrêt rendu en novembre 2003 par la Cour de justice des communautés européennes, Piergiorgio Gambelli, un bookmaker installé en Italie et travaillant pour un service de prise de paris britannique, est parvenu à détourner l’interdiction de l’Etat italien d’exercer sa profession en arguant qu’il s’agissait d’une violation du droit européen garantissant la liberté de prestation de services. Un cas qui fait jurisprudence.


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