La non-brevetabilité des logiciels remise en cause

Mobilité

La présidence irlandaise de l’Union est sur le point d’imposer la brevetabilité des logiciels en Europe. Avec la complicité du gouvernement français qui s’était pourtant prononcé contre.

Les 17 et 18 mai prochains, les ministres européens, sous la présidence irlandaise, devraient adopter le texte de la directive sur la brevetabilité des logiciels. Ce texte n’est pas celui voté par les députés européens à la rentrée 2003 (voir édition du 24 septembre 2003) mais une version épurée des amendements qui devaient mettre les programmes informatiques en tant que tels à l’abri des brevets. Une décision prise sans débat et avec le plus parfait dédain vis-à-vis du Parlement européen.

Un risque de dérive « Le nouveau texte, s’il est adopté en l’état, étendra les possibilités de brevetabilité à l’ensemble des composants logiciels y compris les programmes, les structures de données et les descriptions de processus », estime l’équipe de Mandrakesoft dans un communiqué. « Cette décision nuira directement à la plupart des sociétés qui développent des logiciels ainsi qu’à l’ensemble des projets de logiciel libre qui n’ont pas les moyens de payer un droit de licence aux détenteurs des brevets », s’inquiète l’éditeur français de distributions Linux. Selon l’Association pour une infrastructure de l’information libre (FFII), la procédure de dépôt est environ trois fois plus onéreuse en Europe qu’aux Etats-Unis. « Cela se traduira par une appropriation du domaine public par de intérêts privés et une dérive où les industriels qui innovent, et créent des richesses et des emplois, seront soumis à un racket de sociétés ayant pour seule activité de déposer des portefeuilles de brevets logiciels sans créer aucun emploi ni innovation », poursuit-on chez Mandakesoft, qui fait remarquer que Microsoft, parmi d’autres, sponsorise la présidence irlandaise de l’Union européenne.

Si le texte est adopté, les quelque 30 000 brevets déjà enregistrés auprès de l’Office européen des brevets (OEB) entreraient en vigueur, sachant que 70 % des entreprises détentrices de brevets ne sont pas européennes. Ces détenteurs attendent probablement avec impatience l’application de la directive pour faire valoir leurs droits auprès de leurs concurrents. Les petites sociétés, qui n’ont pas forcément les moyens d’investir dans des licences pour développer leurs applications, sont principalement concernées. Selon le Jiraf (le Jeu vidéo et son industrie rassemblent leurs acteurs français), 56 % des éditeurs français de logiciels ne comptent qu’un ou deux employés. Pourtant, le logiciel, « comme les autres composantes d’un jeu vidéo », précise le Jiraf, est déjà protégé par le droit d’auteur dans le cadre de la propriété intellectuelle. Une protection qui ne requiert aucun frais de dépôt ou d’enregistrement. « De ce point de vue, la brevetabilité est donc totalement superflue », estime le Jiraf, « elle risquerait même de conduire à une forme de double protection qui se révélerait encore plus complexe à gérer que le système actuel. »Revirement du gouvernement français

Pour les programmeurs indépendants, cette affaire dégage un parfum de trahison. Dans une lettre adressée au président de la République, 26 dirigeants de sociétés éditrices (dont Jacques Le Marois, président de Mandrakesoft, et Jean-Paul Smet pour Nexedi) rappellent que la France s’était engagée contre la brevetabilité en 2002. « La brevetabilité des logiciels ne peut être adaptée au niveau européen (…) parce qu’un logiciel est un objet complexe qui rassemble des milliers d’idées élémentaires dont il est très difficile de s’assurer qu’elles n’ont pas chacune déjà été utilisées (…) nous devons éviter pour l’Europe un système de brevet à l’américaine », déclarait Jacques Chirac en 2002. Or, les signataires s’étonnent du revirement du gouvernement français. « Nous ne comprenons pas que le représentant du gouvernement français ait soutenu un texte dont l’effet de bridage de l’innovation est non seulement certain mais également dévastateur en termes d’emplois », déclarent les auteurs de la lettre. Ils font notamment référence au représentant français qui, le 5 mai, a validé la position de la présidence irlandaise dans le cadre du Comité des représentants permanents (Coreper). Les signataires appellent donc le gouvernement français à adopter « une position conforme aux promesses du président de la République » les 17 et 18 mai prochains.