La redevance sur la copie numérique en chantier

Mobilité

Appliquée depuis 1986 aux cassettes vierges audio et vidéo, la redevance sur la copie privée devrait toucher les supports numériques. A la clef : la hausse du prix des CD-R et des débats houleux entre industriels et créateurs d’oeuvres.

Depuis 1986, les supports vierges qui permettent d’enregistrer du son et des images font l’objet d’une redevance. Pour chaque cassette audio, minidisque ou cassette vidéo, un montant forfaitaire est prélevé au profit des auteurs et des producteurs des oeuvres susceptibles d’être copiées. Une contrepartie de l’autorisation de copie privée inscrite dans la loi Lang de 1985.

La plupart des nouveaux supports numériques échappent à la réglementation actuelle. Les CD enregistrables, les Zip, DVD-R et autres Memory Stick sont encore exemptés de la redevance sur la copie privée. Ils n’existaient pas quand la loi de 1985 a été adoptée. Pour les deux sociétés Copie France et Sorecop, qui collectent et redistribuent le produit de la redevance, la situation dépasse aujourd’hui l’acceptable. Sans nouvelles règles, elles risquent de voir fondre le pactole qu’elles récupèrent; près de 5 milliards de francs ont été collectés depuis une dizaine d’années, à raison de 1,50 francs HT par heure de bande pour l’audio et 2,25 francs HT par heure pour la vidéo.

Copie France et Sorecop ont saisi le ministère de la Culture en début d’année pour réunir une commission chargée de trancher sur le sort des CD-R et des autres disques numériques vierges, présents et futurs. La commission n’est pas encore réunie que, déjà, les industriels ruent dans les brancards. « La nouvelle taxe pourrait doubler le prix des disques compacts enregistrables ! », avertit le Syndicat national des supports d’enregistrement (SNSE). Ce dernier regroupe le gotha des fabricants de CD vierges et de graveurs (BASF, Verbatim, JVC, Philips, Sony, Pioneer et MPO, parmi d’autres) et a livré au public les premiers chiffres proposés par Copie France. Il est vrai que l’addition pourrait être salée. Avec une proposition de départ chiffrée à 14,40 francs par heure sur le CD-R audio et 7,20 francs par heure sur le CD-R informatique, le montant ferait grimper en flèche le prix du disque vierge, qui tourne aujourd’hui autour de 8 à 10 francs TTC l’unité.

« Ces chiffres sont là pour lancer le débat. Nous sommes vraiment prêts à négocier », rétorque, sur le ton de la modération, Charles-Henri Lonjon, secrétaire général de la Sorecop. Le dialogue promet d’être difficile si l’on en juge par la proposition du SNSE qui avance, elle, un chiffre de « 10 à 15 centimes » [par heure] !

Sorecop et Copie France ont pour elles l’esprit de la loi. Les deux organismes ont été créés lors de l’adoption de la réglementation de 1986 sur la copie privée. Leur rôle est de répartir la redevance entre les différents syndicats d’auteurs (Sacem, Sacd, Scam), d’artistes-interprètes (Adami) ou de producteurs de disques (Sccp) ou de films (Procirep). Cette redevance finance aussi des projets de création pour aider les artistes débutants. Or depuis quelques mois, les ventes de supports vierges ont explosé, constituant une sorte de gigantesque marché émergent et « hors-la-loi ». La Fnac a du renoncer à son credo « Satisfait ou remboursé » et exige désormais pour tout retour de disque que le cellophane de protection n’ait pas été ouvert.

Lors des six premiers mois 1999, plus de 2 millions de CD-R et CD-RW audio ont été vendus selon les chiffres du SNSE. Ce qui n’est encore rien comparé aux CD-R et CD-RW informatiques (presque 35 millions d’unités au premier semestre), dont beaucoup sont utilisés pour le son et la vidéo. Les ventes de disques vierges enflent à vue d’oeil, et le piratage avec.

Autant l’affirmer, les personnes et les entreprises qui ne se servent du numérique que pour stocker leurs propres données informatiques seront pénalisées par le texte en préparation, quel que soit le montant de la redevance. « Nous ferons des sondages pour connaître l’usage des supports. Si 30% des utilisateurs s’en servent pour sauvegarder leurs données, alors seulement 70% du support sera soumis à la redevance », propose Charles-Henri Goujon. On peut faire confiance aux deux forces en présence pour défendre les chiffres et les sondages qui les avantageront au mieux.

Le mode de calcul apparaît comme un véritable casse-tête. Faut-il faire payer en fonction de la durée stockée ou de la capacité en giga-octets du support? Alors qu’un banal CD audio livre 72 minutes de musique, les algorithmes de compression comme le MP3 font tenir une dizaine d’heures sur la galette. De plus, les performances n’ont pas fini d’augmenter. Logiquement, le coût de cette redevance devrait être supérieur à celui des cassettes analogiques. Contrairement aux cassettes magnétiques dont la qualité se dégrade rapidement, les supports numériques fournissent de véritables clones quasi-inusables des oeuvres dupliquées, et incitent donc à la copie.

La balle est désormais dans le camp du Ministère de la Culture, qui doit bientôt désigner un président à la tête de la commission qui tranchera sur les conditions d’application de la redevance. A lui reviendra la décision finale, en cas de désaccord entre les industriels du SNSE et les syndicats des ayants-droits.