La Spedidam préconise la légalisation du peer-to-peer

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La société de gestion des droits des artistes-interprètes estime à 10 euros maximum le coût de la licence pour légaliser les échanges de musique en ligne.

La Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes de la musique et de la danse (Spedidam) vient de se fendre d’un livre blanc « pour une utilisation légale du peer-to-peer ». On le sait, des centaines de millions de fichiers s’échangent quotidiennement dans le monde, illégalement ou non, sur les réseaux P2P à travers des applications comme Kazaa, eDonkey/eMule, Grokster, Morpheus ou BitTorrent pour ne citer que les plus connues parmi les dizaines de solutions. Rien qu’en matière de musique, l’Idate estime à 12 milliards le nombre de fichiers audio téléchargés rien qu’en 2003.

Bien que diabolisé, l’usage du P2P pour des contenus protégés par les droits d’auteur n’est pas totalement illégal. Selon les articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, le téléchargement pour un usage personnel est assimilable à un acte de copie privée et, donc, autorisé sur le sol français. Comme l’illustre la récente relaxe d’un utilisateur de 22 ans de Montpellier poursuivi pour avoir téléchargé 500 films (voir édition du 11 mars 2005). Dans les faits, l’interprétation de cette légalité est laissée au libre arbitre des juges.

En revanche, la mise à disposition, sans autorisation des auteurs, sur le réseau des oeuvres « légalement » téléchargées ou numérisées à partir du support original est considéré comme de la contrefaçon. L’affaire Alexis B., reconnu coupable d’avoir partagé plusieurs milliers de fichiers, en est un triste exemple (voir édition du 2 février 2005). Or, le fonctionnement même du P2P induit, par défaut, le partage des fichiers téléchargés. Partage par défaut qui serait, selon la Spedidam, à l’origine de l’image de piraterie qui colle aux réseaux P2P.

Un formidable progrès pour la société

Pourtant, l’échange en ligne « constitue avant tout un formidable progrès pour la société dans son ensemble, comme le téléphone, la radio et la télévision en leur temps. Vouloir restreindre cette circulation, c’est aller contre l’avancée majeure que représente Internet en tant qu’outil de communication », avancent les auteurs du livre blanc. D’autant que les logiciels P2P ne permettent, directement du moins, aucune exploitation commerciale des échanges. « A de rares exceptions près, les internautes ne sont pas des contrefacteurs professionnels et ne tirent aucun revenu de l’utilisation du P2P ».

Ce qui n’a pas empêché l’industrie musicale de s’appuyer sur le phénomène pour justifier la baisse des ventes de disques. Alors qu’il existe de nombreux autres facteurs pour expliquer cette baisse (fin du renouvellement discothèques vinyles, essoufflement du support CD, transfert de valeur au profit du DVD, gestion incohérente du prix du disque et des catalogues, baisse des investissements marketing… selon une étude de la Fnac de juin 2004), aucune étude sérieuse n’a été menée pour mesurer réellement l’impact du P2P sur les ventes de disques. « Considérer que cette pratique relève purement et simplement de la délinquance, comme l’affirment l’industrie phonographique et les pouvoirs publics, procède d’un aveuglement le plus complet sur la nature de la ‘société de l’information’, promue par ailleurs », estime la société de gestion des droits.

Si la politique de répression menée par l’industrie du disque (voir édition du 7 octobre 2004) et du gouvernement (voir édition du 28 juillet 2004) permet d’en décourager certains, elle provoque aussi le phénomène inverse. Les utilisateurs déportent leurs intérêts sur d’autres réseaux moins surveillés (le trafic de Kazaa a baissé au profit d’eDonkey) et de nouvelle solutions technologiques apparaissent : utilisation de multiple proxy pour tenter de masquer l’adresse IP, chiffrement des échanges, fragmentation des contenus échangés, création de communautés restreintes invisibles à l’échelle du réseau mondial…

Agissements aussi brutaux qu’inutiles

Selon un rapport de l’OCDE (octobre 2004), les réseaux P2P comptaient moins de 4 millions d’utilisateurs simultanés dans le monde en août 2002 contre près de 10 millions en avril 2004. Bref, « la voie de la lutte contre la contrefaçon sur Internet aujourd’hui empruntée par la majorité pour juguler le peer-to-peer est un mirage conduisant à des agissements aussi brutaux qu’inutiles qui ne régleront en rien ce phénomène de société irréversible ».

La Spedidam partage cependant un point commun avec l’industrie du disque : la consommation de musique sur Internet ne peut se faire gratuitement. Mais si les producteurs de musique préconisent un paiement à la consommation unitaire, la Spedidam propose une autre alternative sous forme de redevance. « La Spedidam réclame depuis 2003 la légalisation totale du peer-to-peer par l’instauration d’un système de licence permettant aux internautes, moyennant le paiement d’une redevance adossée à leur abonnement Internet, d’échanger librement entre eux dans un cadre non commercial autant de fichiers qu’ils le souhaitent. » Une licence dédiée à Internet équivalente à celle utilisée par les radios et télévisions, notamment.

Cette solution impose cependant quelques aménagements juridiques dans la mesure où la mise à disposition d’oeuvres au public doit être soumise à l’autorisation des ayants droits. Ce qui est difficile, pour ne pas dire impossible, à mettre en oeuvre dans le cadre du P2P. C’est pourquoi le représentant des artistes-interprètes propose un système de gestion collective qui pourrait faire l’objet d’accord entre les sociétés de gestions de droits et les diffuseurs (les internautes) via les fournisseurs d’accès. Ou encore par une obligation légale comme c’est actuellement le cas pour les oeuvres diffusées sur les réseaux câblés. Ce qui impose cependant de modifier la loi.

10 euros par mois

Tous les internautes ne sont pas des amateurs de P2P et, à ce titre, n’ont pas à subir le coût de cette licence. Mais, pour la Spedidam, le coût resterait « modeste » puisque issue d’une moyenne calculée en fonction des pratiques. Le surcoût ne devrait pas dépasser les 10 euros par mois selon la Spedidam qui compare cette logique de « mutualisation » à la taxe pour la copie privée effectuée sur les supports vierges (CD, disques durs externes, etc.).

La Spedidam va même jusqu’à suggérer que les FAI supportent, totalement ou en partie, le coût de cette licence. « La très forte demande en abonnements ADSL de ces dernières années, en bonne partie due aux possibilités du peer-to-peer, a permis aux opérateurs de bénéficier d’importants revenus […]. Ce serait donc un juste retour des choses que les FAI contribuent à la rémunération des ayants droits dont les oeuvres sont échangées sur les réseaux peer-to-peer auxquels ils donnent accès. » On peut rêver.

S’il serait étonnant que la Spedidam, à laquelle s’associe l’Adami, obtiennent l’accord des FAI et de l’industrie du disque, elle espère recevoir le soutien des 8 millions estimés d’internautes français qui utilisent régulièrement une application P2P pour télécharger de la musique. Et de leur 44 000 membres artistes-interprètes.