La stratégie processeur d’Apple mal comprise

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« C’est confirmé : Apple passe à l’X86 ». C’est ce qu’on pouvait lire le 18 juillet au matin sur l’un des sites de rumeurs du monde Mac, suite à une interview donnée à des analystes financiers par Steve Jobs. Celui-ci aurait indiqué la possibilité d’une telle option, une fois la transition à Mac OS X réalisée? au plus tard début 2003. Des Mac tournant sur des Pentium ? La perspective en a fait frémir plus d’un? Mais les propos de Jobs ont été mal interprétés !

Branle-bas de combat sur le Web entre le 17 et le 20 juillet : selon une information issue de Reuters, Steven P. Jobs, le PDG d’Apple, aurait indiqué à l’occasion d’une réunion d’analystes financiers la possibilité pour Apple de passer sur l’architecture des PC début 2003 ! L’article de Reuters se termine ainsi : « Certains analystes ont demandé à Apple de passer à des processeurs Intel au lieu de ceux de Motorola et d’IBM. Interrogé sur cette possibilité, Steve Jobs a indiqué que la compagnie devait d’abord finir sa transition au système d’exploitation OS X, attendue pour la fin de cette année. ‘Ensuite nous aurons des options, et nous aimons en avoir’, a-t-il indiqué. » Sur la base de cette assertion, les commentaires n’ont pas manqué, des plus désespérés aux plus rationnels. Surtout, les aficionados du Mac en ont conclu à la hâte qu’Apple s’embarquerait sur les processeurs des PC dès 2003 ! Mais les propos du patron d’Apple ont été mal interprétés. En réécoutant son intervention, on s’aperçoit immédiatement du malentendu : « Le plan de développement du PowerPC a l’air réellement bien et il a quelques avantages. Par exemple, le PowerPC inclut quelque chose nommé AltiVec et que nous appelons le Velocity Engine ? un moteur vectoriel ? qui accélère considérablement les médias, bien mieux, par exemple, que les processeurs d’Intel ou d’AMD. Donc nous tirons une bonne partie de nos performances de ces choses (…) et le plan de développement se présente bien. Maintenant, comme vous l’indiquez, une fois que notre transition à Mac OS X sera réalisée, ce que j’attends pour la fin de cette année ou au tout début de l’année prochaine, et que nous aurons les 20 % de notre base installée tournant sous X – et je pense que les 20 % suivants viendront rapidement après – alors nous aurons des options. Et nous aimons en avoir. Mais pour l’instant, entre Motorola et IBM, le plan de développement à l’air plutôt décent. » Evidemment, le peu de superlatifs utilisés par Steve Jobs lors de cette interview pourrait faire penser que le PowerPC est moribond. Mais après la déroute du G4 bloqué à 500 MHz pendant des mois, l’utilisation de termes mesurés, voire humbles, tend à donner l’impression que des solutions basées sur PowerPC et AltiVec sont en développement.

Avec Motorola et IBM qui suivent des sentiers différents dans le développement de leur processeur commun, les derniers mois ont vu fleurir sur le Web les théories les plus variées concernant l’utilisation de telle ou telle option par Apple. Cette effervescence est due à l’état de Motorola : le géant aux ailes d’argent accumule les pertes et sa division semi-conducteurs doit connaître son avenir dans les semaines qui viennent. Une épée de Damoclès pèse donc au-dessus des machines d’Apple dont 80 % utilisent des processeurs fabriqués par Motorola. Les rumeurs les plus variées ont depuis émergé : passage à l’X86, l’architecture processeur des PC, utilisation des ressources de l’architecture du PowerPC mais fabrication par un sous-traitant (AMD est alors souvent cité), décomposition de la gamme d’ordinateurs en deux camps, l’un fonctionnant sur de nouvelles puces 64 bits (fabriquées au choix par Sun, AMD ou SGI…) et l’autre sur PowerPC G4, introduction du G5 (issu, au choix, de Motorola ou d’IBM), voire utilisation du Power 4 ou du Power 5, des puces de haut niveau d’IBM, basées elles aussi sur la même architecture RISC. Bref, on nage dans le flou total. Une situation très certainement entretenue par Cupertino pour masquer son prochain mouvement stratégique. Une certitude s’impose : avec un Motorola très mal en point, Apple a très certainement négocié sur un point : AltiVec. Ce moteur vectoriel traitant les « mots informatiques » sur 128 bits (au lieu de 32 bits habituellement sur les processeurs) s’avère l’élément clé de sa stratégie processeur. Avec lui, Apple peut se permettre d’avoir une longueur de retard en termes de fréquence de processeurs. Pour Apple, il s’agit donc d’obliger Motorola à lui fournir ou lui licencier les droits sur AltiVec. La nouvelle architecture modulaire du PowerPC, intitulée Book E, lui permettrait alors de faire adopter le moteur vectoriel, selon ses besoins, aux fournisseurs de processeurs qu’elle choisirait. IBM utiliserait déjà 40 instructions issues d’AltiVec dans son PowerPC 750 FX développé pour la console de jeux de Nintendo.

Une mise à jour indispensable

La firme utilise depuis le début des années 90 l’architecture PowerPC développée par IBM en collaboration avec Motorola, mais dont de nombreux observateurs pensent qu’elle est arrivée à bout de course. Une idée courante due à la moindre vitesse d’horloge des processeurs employés : alors que les puces pour PC tournent jusqu’à 2,7 GHz et qu’on attend des modèles à 3 GHz pour la fin de l’année, Apple peut compter sur des processeurs fonctionnant à 1 GHz et qui tourneront à 1,5 GHz au mieux d’ici Noël. Deux fois moins rapides en termes de cycles d’horloge. Ce n’est pourtant pas l’avis de John Cocke, l’inventeur de l’architecture RISC (voir édition du 6 novembre 2000), mort à 77 ans le 18 juillet 2002. Interrogé en 1999 par Computer.org, il affirmait que l’architecture RISC avait encore de beaux jours devant elle. Il tablait alors sur 100 GHz à l’horizon 2012 ! Mais les professionnels du secteur ont déjà montré que la vitesse d’un ordinateur relevait du mythe? Reste que les comparatifs les plus récents mettent de plus en plus à mal les derniers Mac professionnels d’Apple. Ainsi du dernier test réalisé par le site Digital Video Editing, qui montre le dernier PowerMac battu à plate couture par un des derniers PC ! Conséquence : côté aficionados du Mac, on attend avec impatience une mise à jour du matériel professionnel pour rattraper le retard. Ce rattrapage ne se fera sans doute pas seulement en termes de vitesse d’horloge du processeur, car un des gros points noirs dans les configurations des PowerMac actuels s’avère la bande passante du bus interne. Le prochain PowerMac disposera donc sans doute essentiellement d’une nouvelle carte mère plus rapide. Quant à l’utilisation des Pentium sur Mac ou de Mac OS X sur PC, elle devra attendre encore la Saint Glinglin !