L’Autorité de régulation des mesures techniques instaurée à la va-vite

Mobilité

Cette nouvelle Autorité, émanation de la loi DADVSI, a pour mission de
garantir l’interopérabilité des formats numériques et le respect de la copie
privée.

Le décret qui régit le fonctionnement de l’Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT) a été publié au Journal Officiel le 5 avril 2007. Cette Autorité, virtuellement créée le 1er août 2006 avec la validation de la loi DADVSI relative aux droits d’auteurs dans l’ère numérique, aura la délicate mission de garantir l’interopérabilité des formats numériques sur les différents appareils de lecture d’une part, et de garantir l’usage de la copie privée d’autre part, tout en préservant le droit d’auteur.

L’ARMT « fixera notamment le nombre minimal de copies privées, en fonction du type de support », a rappelé le ministre de la Culture et de la Communication, Renaud Donnedieu de Vabres. Sachant que la loi DADVSI légalise paradoxalement la possibilité à un éditeur de n’accorder aucune exception de copie, y compris dans un cadre privé.

Garantir l’interopérabilité

Mais le rôle essentiellement assigné à l’Autorité est bien celui de garantir l’interopérabilité. « L’Autorité [aura] le pouvoir d’ordonner l’accès aux informations essentielles à l’interopérabilité des mesures techniques à tout éditeur de logiciel, à tout fabricant de système technique ou à tout exploitant de service afin de permettre au consommateur de lire les oeuvres sur le support de son choix », a insisté le ministre. L’ARMT pourra notamment prononcer des injonctions et décider de sanctions pécuniaires à l’encontre des acteurs qui refuseraient de se plier aux demandes d’accès aux informations d’interopérabilité. Celle-ci seront cependant délivrée dans le cadre d’une « juste et préalable indemnité » dont les modalités ne sont pas précisées.

L’Autorité de régulation des mesures techniques (dont la mention « de protection » évoquée lors des débats parlementaire a apparemment disparu) est composée de six membres* nommés par décret pour six ans. Il reste encore à désigner son président. Entre autre. « Nous avons tout à inventer », a précisé Jean Musitelli, conseiller d’Etat membre de l’ARMT à l’occasion de la conférence de presse, « les membres de l’Autorité se retrouvent pour la première fois. » Autant dire que la date de la première réunion officielle est loin d’être fixée.

On peut néanmoins s’interroger sur la survie de cette Autorité à peine naissante au regard de l’actualité. D’abord parce que le récent accord entre Apple et EMI visant à proposer un catalogue de chansons sans protections techniques sur les plates-formes de diffusion de musique en ligne (dont iTunes) établit de fait l’interopérabilité du format numérique sur les différents systèmes de lecture. Sa généralisation à l’ensemble des catalogues de musique rendrait ainsi obsolète les éventuels travaux de l’Autorité autour des problématiques d’interopérabilité.

Les mesures de protections technique continueront d’exister

Si le ministre « se réjouit de ce concept », il ne pense pas que l’ouverture des formats numériques suffise à régler le problème. Selon lui, les mesures de protections technique continueront d’exister car elles  » permettent aussi d’innover et de proposer au public de nouvelles offres et de nouveaux modèles qui ne pourraient pas exister sans elles ». Notamment dans les domaines de la location, la vidéo à la demande et à « certaines offres d’abonnement ».

Mais l’ARMT pourrait également être menacée par un changement de gouvernement. D’où, peut-être, la précipitation à son installation à deux semaines du premier tour de l’élection présidentielle. Si elle ne s’est pas pro noncée contre l’existence de cette nouvelle autorité précisément, Ségolène Royal, candidate PS en lice pour l’Elysée, a exprimé son intention de revoir la loi DADVSI qui « prend le contre-pied d’une pratique massive au lieu de l’organiser » dans son livre d’entretiens Maintenant. Elle évoque naturellement la problématique des pratiques d’échanges de fichiers sur les réseaux P2P et son financement. Un thème introduit (et rejeté) à travers l’idée de licence globale (une sorte de contribution généralisée au financement de la culture par les acteurs et usagers d’Internet) lors des débats sur la DADVSI.

Cependant, dans le tout frais rapport du PS intitulé République 2.0 bêta, vers une société de la connaissance ouverte sur les enjeux du numérique à l’intention de la candidate, Michel Rocard, député européen et conseiller de Ségolène Royal dans le cadre de la campagne électorale, a confirmé l’importance de l’interopérabilité des formats. Il estime notamment que son application ne doit pas seulement s’arrêter au seul cadre français mais bien être débattu au niveau européen. Une nouvelle directive en perspective?

* Jean Musitelli, conseiller d’Etat et rédacteur de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles; Marie-Françoise Marais, conseillère à la Cour de Cassation, spécialiste des questions de propriété littéraire et artistique; Patrick Bouquet, conseiller-maître à la Cour des comptes; Pierre Sirinelli, professeur à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique; Christian Saguez, professeur à l’Ecole Centrale et président de la commission des Technologies de l’Information et de la Communication de l’Académie des Technologies; Tristan d’Albis, président de la commission de la rémunération pour copie privée.