Le livre électronique n’a pas tenu ses promesses

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Contrairement à ce que l’on pouvait penser à la fin des années 90, le livre électronique n’est pas encore tout à fait né. Il a même encore tout à prouver, malgré tous ses atouts. La fermeture de la division livres électroniques d’AOL est caractéristique d’un secteur qui se cherche.

« M. Gutenberg doit bien rigoler. » C’est en ces termes doux-amers que Laurence Kirshbaum a commenté la fermeture de la division livres électroniques d’AOL. Depuis 18 mois en effet, le géant du Réseau s’essayait à la dématérialisation de l’écrit sous sa bannière iPublish. Résultat : 13 millions de dollars de pertes, une somme considérée comme bien trop lourde par rapport au résultat global de 400 millions de la division édition. Vingt-neuf personnes seront licenciées et le peu d’activité conservée dans le secteur sera intégrée à Warner Books.

Et alors, me direz-vous ? Ce n’est qu’un coup d’épée dans l’eau de la part d’une société tentaculaire, c’est vrai. Seulement, cet échec est également caractéristique du faux départ pris par le livre électronique. Même votre serviteur s’y est laissé prendre, dans un dossier réalisé pour SVM en septembre 1999 et intitulé (« Le livre électronique est né ! »). A l’époque, la révolution était en marche et rien ne devait l’arrêter. L’e-book avait tellement d’avantages : poids identique quel que soit le nombre de livres « embarqués », possibilité de modifier la taille des caractères, dictionnaire intégré, multimédia, voire même, selon certains utilisateurs, le fait qu’il ne soit plus nécessaire de tourner les pages. Cela dit, le livre électronique n’a toujours pas su résoudre ses défauts ni ses paradoxes. Et, au premier chef, celui qui consiste à savoir ce qu’est exactement un livre électronique. Est-ce juste un fichier à lire sur l’écran de son ordinateur ? Ou est-ce que cela désigne un appareil dédié à la lecture électronique ? Pour Olivier Pujol, président de Cytale – société française qui distribue le Cybook, seul livre électronique (appareil) disponible en France – il est « impossible d’envisager la lecture sur un écran d’ordinateur ». Bien sûr, il défend le point de vue de sa société et, bien sûr, le Cybook ne manque pas d’atouts. Toutefois, dans les deux cas (fichier ou appareil), il y a de quoi refroidir le plus assidu des lecteurs.

Une sécurité aléatoire

Considérons tout d’abord le cas du livre distribué sous forme de fichier à lire sur son ordinateur. Ce que faisait iPublish. Outre l’inconfort de lecture provoqué par la position assise devant son écran, se posent plusieurs problèmes. Le plus simple à gérer, pour le lecteur, ce sont les différents formats de fichiers utilisés : PDF, Adobe Ebook, Microsoft eBook ? Il faut avoir le logiciel ad hoc installé. Mais, admettons, ce n’est pas la mer à boire, même si certains logiciels n’ont pas brillé par leur simplicité d’emploi (voir édition du 18 mai 2001). Reste un problème, bien plus délicat pour les éditeurs, celui de la sécurité. Bien que protégés contre la copie par des systèmes de cryptage, tous ces fichiers ont été piratés (voir notamment les éditions du 30 août et du 31 août 2001).

Tout naturellement, la sécurité devient donc l’un des arguments principaux des fabricants de livres électroniques dédiés. Dans le cas du Cybook, la bibliothèque de chaque lecteur est gérée au travers du site Web de Cytale, le lecteur s’y connectant grâce au modem intégré à l’appareil (ce qui signifie donc qu’il faut être à proximité d’une ligne téléphonique si l’on veut consulter un ouvrage non stocké dans la mémoire du Cybook). Sécurisé sûrement. Pratique ? Cela reste à démontrer. En revanche, côté confort de lecture, il n’y a pas grand-chose à redire. Le Cybook (hé oui, on ne parle que de lui, mais c’est le seul à être disponible en France aujourd’hui, rappelons-le) offre un écran lumineux, lisible et d’une taille appréciable. Oui, mais pourquoi diable ses concepteurs ont-ils choisi des boutons aussi petits pour tourner les pages ?

Un prix toujours élevé

Aussi confortable soit-il, le livre électronique souffre surtout de son prix élevé. Nous nous faisions l’écho lors de la sortie du Cybook (voir édition du 19 décembre 2000). Près de 6 000 francs, c’est tout de même une somme… Depuis, l’éditeur français a fait un énorme effort et propose un nouveau modèle, plus rapide (c’était l’un de ses inconvénients majeurs) et surtout moins cher. Pour se le procurer, il ne faut plus débourser « que » 3 000 francs et s’engager à payer un abonnement de 129 francs par mois pendant un an pour avoir accès à plusieurs centaines de grands classiques de la littérature (en français et en anglais). Pour Cytale, il s’agit du vrai départ pour le Cybook. On ne saura pas combien d’appareils ont été vendus pendant la première année…

Où est la concurrence ?

Cytale n’est pas le premier a s’être lancé sur le marché. L’américain Rocket a tenté l’aventure dès 1999, aux Etats-Unis seulement. Racheté depuis par Gemstar, deux modèles, baptisés des doux noms de REB 1100 et REB 1200 (voir le test de SVM), devaient sortir en France à la fin de l’année. Décision plusieurs fois reportée. Plusieurs raisons à cela, explique-t-on chez 00h00 (prononcez zéro heure), éditeur électronique également racheté par Gemstar : la conjoncture économique défavorable et le prix encore trop élevé. Aux Etats-Unis, les deux modèles sont respectivement vendus à 299 et 699 dollars (335 et 785 euros). En un an, Gemstar déclare en avoir vendu 80 000 sur le territoire américain. Pas vraiment un raz-de-marée. Finalement, les e-books Gemstar nouveaux modèles (comprenez moins chers) sont prévus en France pour le courant de l’année 2002. On attend de voir.

Qu’on ne se méprenne pas, je ne suis pas en train de descendre en flèche le concept de livre électronique. J’en serai même plutôt un ardent défenseur (et utilisateur), tout en étant persuadé qu’il lui reste beaucoup de chemin à parcourir avant de convaincre le plus grand nombre. Dick Brass, le responsable de la division livre électronique, ne dit pas autre chose quand il prévoit qu’il faudra trente ans avant que le livre papier ne devienne l’exception…