Le réseau local WiFi de Mane interdit

Mobilité

Le haut débit en zone rurale pour pas cher ? C’est possible en Wifi. Pierre Lefort et son association ProvenceWireless en ont fait la démonstration devant les élus et les médias le 19 avril dernier en connectant le village de Mane à Internet via un réseau local en Wifi. Mal lui en a pris. Il a dû le démonter sous risque d’une peine d’emprisonnement. Car l’exploitation du Wifi à ciel ouvert est interdite pour de discutables raisons de brouillage. Les pouvoirs publics vont devoir justifier leur attitude contradictoire avec leur volonté d’amener le haut débit dans les régions.

Mane : ce village des Alpes de Haute Provence de 1 300 habitants a connu la fièvre du haut débit pendant à peine un mois. Non pas par l’ADSL ou le câble, dont l’installation n’est pas encore à l’ordre du jour dans la commune, mais par une liaison sans fil Wifi installée par Pierre Lefort, de l’association ProvenceWireless. Au moyen d’une antenne relais installée sur la citadelle de Mane, cet activiste de la mise en réseau des zones rurales a fourni, le 3 avril dernier, une liaison à 11 Mbits/s aux habitants équipés du village. Le prestataire SudWay assurait la passerelle avec Internet. Le 19 avril, Pierre Lefort présente le réseau aux élus et aux journalistes qui repartent convaincus. « Nous voulions que les médias en parlent pour faire bouger les choses », explique Pierre Lefort. La démonstration va le perdre, en quelque sorte.

Car l’homme sait qu’il n’a pas le droit d’exploiter ce type de réseau. Pour des raisons désormais douteuses de brouillage, la mise ne place de réseau sur fréquence 2,4 MHz (le Wifi ou 802.11b) à ciel ouvert ne peut se faire que sur un site privé après accord de l’Autorité de régulation des télécoms (ART) ou dans le cadre d’un site fermé (bâtiment) sans autorisation préalable (Décision n° 01-479 en date du 23 mai 2001). « Nous savions que c’était illégal mais nous ne gênons personne et notre réseau est entièrement sécurisé, si bien que chaque individu qui veut se connecter à Internet par notre liaison doit obtenir un compte clairement identifié », explique Pierre Lefort. Pas de brouillage, pas de risque de piratage. « Les réseaux Wifi prolifèrent dans la région », ajoute-t-il.

Des fréquences interdites

Pourtant, l’Agence nationale des fréquences (ANF) ne l’entend pas de cette oreille et débarque le 24 avril à Mane pour enquêter. Le 29 avril, l’Agence met en demeure les responsables de l’association et impose une « taxe forfaitaire suite à brouillage » de 229 euros. Le 3 mai, menacé d’une peine de six mois de prison et d’une amende de 30 000 euros, Pierre Lefort se voit contraint de démonter le réseau. « On est déçu parce qu’on pensait pouvoir négocier un accord avec l’ART », explique-t-il, « pourquoi ne pourrait-il pas y avoir de petits providers locaux, seuls les grands sont favorisés et ils ne s’intéressent pas aux zones comme les nôtres. » L’homme estime à juste titre que les quelques dizaines de personnes qui s’abonneraient ne pourraient jamais couvrir le coût d’une licence de boucle locale radio (BLR, environ 750 000 euros).

D’autant que Pierre Lefort se garde bien de vouloir s’accaparer un marché de niche. « Nous sommes une association, pas une société, et nous avons toujours dit que si un opérateur se présentait pour exploiter le réseau, nous lui céderions la place. Personnellement, je préfèrerais passer un coup de fil à Wanadoo pour me brancher à l’ADSL plutôt que de dépenser 30 000 francs de matériel et l’installer moi-même », déclare-t-il. « J’ai franchement l’impression qu’en France on cherche à favoriser le haut débit par France Télécom uniquement. »

Pierre Lefort a démonté son réseau. Mais il n’abandonne pas le combat pour autant et prépare un dossier ? une demande de dérogation ? auprès de l’ART pour rouvrir l’accès Internet Wifi sur Mane. A l’heure où nous bouclons, nous n’avons pas réussi à joindre les responsables de l’ART. Mais l’occasion est donnée aux pouvoirs publics de montrer leur réelle volonté d’aider les zones rurales à accéder au haut débit. Sauront-ils la saisir ?