Les DRH réticents face à l’e-formation

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Alain Pierre Boussard, expert auprès de la Commission Européenne, attire l’attention des directions des ressources humaines sur le retard des entreprises en matière de formation assistée par les NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information). Pour cette rentrée de septembre, ce consultant spécialisé dans l’e-learning et vice-président de l’AFTT (Association Française du Télétravail et des Téléactivités), lance une chronique dédiée à la formation à distance en ligne sur le site Rhinfo.

VNUnet : Un sondage sur la formation et les NTIC effectué par le site Rhinfo dévoile que 80 % des décideurs en entreprises ? sur la base de 110 personnes interrogées ? considèrent que la formation via Internet n’est pas encore une réalité professionnelle. Que vous inspirent ces chiffres ?

Alain Pierre Boussard :Cela ne m’étonne pas du tout. Les 20 % restants correspondent à la dépense des entreprises du secteur « high-tech » en matière de formation assistée par les NTIC. Ces entreprises, en pointe sur l’e-learning par rapport à tous les autres secteurs, déboursent entre 3 et 5 fois la dépense légale. Celle-ci se montant à 1,1 % de la masse salariale. Parmi les champions de l’e-learning, IBM dépense 7 % de sa masse salariale pour la formation et France Telecom 6 %. Ces chiffres contrastent fortement avec ceux des entreprises des secteurs de la métallurgie et de la distribution par exemple, dont la dépense en matière de formation ne dépasse pas 2 % de la masse salariale. Les autres « guerriers » en matière d’e-learning sont HP et Sun… HP déclare d’ailleurs que 70 % des dépenses de formation seront faits à court terme dans les NTIC.

VNUnet : Comment expliquez-vous cette désaffection générale vis-à-vis des NTIC en matière de formation ?

Alain Pierre Boussard :Ce mauvais score des 80 % de décideurs sceptiques vis-à-vis de l’emploi des NTIC dans la formation recouvre différentes choses. Tout d’abord, l’offre technologique dédiée à l’e-learning est trop parcellaire pour garantir aux DRH une certaine pérennité, et son marché est trop morcelé. Le DRH se préoccupe de la permanence du fournisseur, de savoir si la start-up qui délivre des cours sur le Web existera encore dans 6 mois. Pour cette raison, le petit produit ou le service en ligne performant et peu coûteux ne sera pas retenu pour les plans de formation de l’entreprise. Ceux-ci se planifient à long terme, sur deux ou trois ans. Autre frein ? Lorsque l’entreprise fait son marché, elle trouve de la connaissance sous forme de produits. Les technologies existent sans les contenus ! C’est typiquement le problème du DRH qui monte un plan de formation pour des commerciaux. Aussi, les offres d’e-learning brillent par l’absence de tuteur. Un portail d’e-learning est séduisant de prime abord. Mais rien n’est prévu quant à l’évaluation des niveaux des étudiants et du besoin réel en formation…

VNUnet : Les coûts constituent-ils aussi un frein à l’adoption des NTIC dans le cadre de la formation ?

Alain Pierre Boussard :Certes, le coût associé aux NTIC est un élément sur lequel il faut travailler pour doper le marché de l’e-learning. Mais en France, la réticence à employer les NTIC dans le cadre de la formation subsiste d’abord pour des questions culturelles et historiques. L’Hexagone a pris un retard considérable par rapport aux Etats-Unis. Sur le Web américain, je dénombre facilement 40 sites d’universités virtuelles.

Ici, on les compte sur les doigts d’une seule main. Autre exemple, l’utilisation du streaming audio et vidéo est restreinte. Les technologies sont encore trop lentes. Les réseaux des entreprises ne sont pas en mesure de supporter des images, de la vidéo assortie d’interactivité à moins d’un abonnement extrêmement coûteux. Outre l’acquisition de la solution ou sa location en ligne, les heures passées en formation rentrent dans le coût… Pour supporter le coût d’une plate-forme de formation comme Learning Space de Lotus, la plus utilisée au monde, il faut avoir une taille critique. Et cette plate-forme sera vraisemblablement adoptée par une entreprise qui a fait un plan de communication…

VNUnet : Que faut-il faire pour que les NTIC entrent sur le marché de la formation ?

Alain Pierre Boussard :L’offre doit progresser. Les DRH veulent savoir ce qu’ils peuvent attendre de l’emploi des NTIC dans la formation en terme d’efficacité. Quels résultats ils obtiendront et surtout comment y parvenir. Le management intermédiaire doit aussi évoluer. Pour l’instant, hormis dans les entreprises du secteur du high-tech, la plupart des dirigeants français disent :« Pourquoi aurais-je besoin d’Internet ? J’ai une secrétaire ! ». C’est elle qui dépouille le courrier électronique et y répond. Une étude récente le montre : sur 200 e-mails envoyés aux plus grands patrons de France, moins de 10 % ont fait l’objet d’une réponse. Aux USA, les mêmes réticences subsistent. Cette « technophobie » rappelle la même attitude envers l’informatique, il y a une trentaine d’années. Les NTIC ont beaucoup de mal à pénétrer dans le coeur de la société. Preuve en est : l’e-commerce ne représente encore que 6 % du chiffre d’affaires global aux USA.

VNUnet : Que se dit-il à la Commission Européenne au sujet de l’e-learning ?

Alain Pierre Boussard :La préoccupation majeure est de rattraper le retard pris par l’Europe en matière de NTIC. La France est très absente… En tête des pays européens les plus avancés, on trouve la Scandinavie et l’Angleterre avec sa tradition d’Open University, à l’inverse de l’étanchéité des universités françaises vis-à-vis des entreprises. L’enjeu ? Ce retard se matérialisera sous la forme du chômage. Aussi, le PCR&D, Plan communautaire de recherche et de développement, prévoit de débloquer 3,3 milliards d’euros dans la R&D en 2002.

Pour en savoir plus :

RHinfo