Lima : comment cette start-up de la French Tech prépare son premier Noël

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Lima lance la version publique de son boîtier qui permet de « créer un cloud personnel ». Focus sur cette start-up de Paris qui a jonglé entre le crowdfunding et les VC.

On les avait découverts à l’été 2013 dans le cadre d’une campagne de financement couronnée de succès sur Kickstarter ; puis rencontrés à Futur en Seine 2014, peu après l’officialisation de leur première levée de fonds institutionnelle ; et suivis début 2015 dans la délégation French Tech pour le CES de Las Vegas.

Ce lundi, nous retrouvions Séverin Marcombes et Gawen Arab dans un tout autre cadre : celui d’un loft parisien, pour le lancement officiel de leur produit baptisé Lima et positionné comme une alternative aux serveurs de stockage NAS.

En un peu plus de deux ans, le duo a pris de l’assurance… et de la bouteille. Il s’est entouré d’anciens employés d’Apple, d’Oracle ou encore de Dassault Systèmes pour constituer une équipe qui compte aujourd’hui 24 collaborateurs, sans compter les prestataires gérant notamment la communication.

Pour Séverin Marcombes, présenté comme l’un des 10 meilleurs jeunes innovateurs français dans le magazine Technology Review du MIT, le premier temps fort intervient en avril 2011 avec le lancement de ForgetBox.

Ce service d’envoi de fichiers en ligne, assimilable à un « Dropbox personnel », s’appuie sur un serveur dédié. La version payante permet de conserver les données une semaine, contre 24 heures pour l’offre gratuite.

Quelques semaines plus tard, Gawen Arab (qui figure sur la liste des « 100 développeurs français d’influence au niveau mondial » remise au printemps 2014 par Tariq Krim à Fleur Pellerin) rejoint l’aventure.

Les deux associés sont sélectionnés pour intégrer le programme d’accélération de start-up Le Camping, dédié à l’accompagnement des jeunes pousses « Web et logiciels ». Ils se répartissent alors les rôles : tandis que Séverin prend à sa charge le marketing, Gawen se concentre sur les opérations R&D.

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Séverin Marcombes en pleine démonstration de Lima.

Et vint Kickstarter

En octobre 2011, la v1 de ForgetBox est lancée. La société du même nom est officiellement constituée deux mois plus tard. Mais à l’automne 2012, faute d’investisseurs, le service ferme, avec à son actif 30 000 utilisateurs dans 155 pays, dont 45 % avaient plus de 55 ans. Un type de profil qui convainc les deux entrepreneurs du potentiel de leur solution.

Plusieurs de ces clients restent d’ailleurs en contact, notamment via les réseaux sociaux. Certains feront partie des premiers investisseurs dans la campagne Kickstarter lancée après deux ans de travaux sur le boîtier Lima, sorte de prolongement hardware de ForgetBox.

Pourquoi avoir choisi la voie du crowdfunding ? Tout simplement à défaut d’avoir pu trouver un financement par les canaux « traditionnels », les investisseurs pointant du doigt le « manque d’expérience professionnelle des cofondateurs » ou encore « une rude concurrence » emmenée par les pure players du cloud.

À l’époque, la SAS parisienne est toutefois suivie de près – notamment pour ses avancées notables en matière de développement pour Linux – par Partech Ventures. Impliquée dans le financement de pépites françaises comme Sigfox (Internet des objets) et Teads (solutions publicitaires vidéo), la structure implantée entre San Francisco, Paris et Berlin affiche un a priori positif sur le projet, mais pose une condition à ses porteurs : prouver qu’ils peuvent vendre 1 000 exemplaires de leur « boîtier intelligent ».

L’idée de présenter le produit aux internautes dans le cadre d’une opération de financement participatif tombe sous le sens. Mais plutôt que de passer par une plate-forme française, Gawen et Séverin choisissent la référence du secteur sur le don avec contrepartie : Kickstarter* ; ce malgré les contraintes impliquées, notamment la constitution juridique d’une antenne aux États-Unis.

Les deux acolytes se donnent 60 jours pour jauger l’accueil du produit par le public, dans un contexte particulièrement propice à son adoption, les révélations – encore fraîches – d’Edward Snowden sur le programme de cyber-espionnage PRISM ayant relancé le débat sur la confidentialité des données et la confiance envers les prestataires d’offres de stockage en ligne.

La firmware de Lima passera en version 1.0 le 25 novembre 2015.
La firmware de Lima passera en version 1.0 le 25 novembre 2015.

Des choix difficiles

Il faut à peine 12 heures pour atteindre l’objectif de financement de 69 000 dollars. En deux jours, c’est la barre des 200 000 dollars qui est atteinte. Les espérances sont dépassées, à tel point que le contrat de production avec les sous-traitants en Chine doit être renégocié in extremis.

L’emballement retombe progressivement, mais la participation des internautes reste soutenue : le 21 juillet, le seuil du demi-million de dollars est franchi. Le million est atteint le 23 août. Le compteur termine, le 8 septembre 2013, à 1 229 074 dollars, avec 12 840 « backers ».

Dès lors, la communication se fait plus rare. La logistique occupe une grande partie du temps de la start-up, qui met néanmoins un point d’honneur à faire preuve de transparence dans l’évolution de son projet.

Fin novembre intervient le premier contretemps. La livraison, initialement prévue pour la fin d’année, est repoussée au 2e trimestre 2016. Dans l’absolu, le boîtier est prêt sur la partie hardware. Mais c’est une autre paire de manches sur la partie logicielle. Il faut par exemple travailler sur le core, qui détermine la manière dont les différents appareils, des smartphones aux ordinateurs portables, doivent gérer les fichiers.

La décision est prise de passer de Python à C pour améliorer les performances, grâce entre autres à la prise en charge du multithreading. En contrepartie, il faut réarchitecturer le firmware. Bien d’autres changements sont au menu, comme le passage de ntfs-3G à une solution propriétaire pour améliorer les temps de réponse (les débits s’en ressentent aujourd’hui : 6 secondes pour transférer, sur réseau Wi-Fi, un film de 800 Mo/s vers un disque relié à Lima).

Les aléas du crowdfunding

Début 2014, un déplacement en Chine est organisé pour s’entendre avec les sous-traitants sur la fabrication du boîtier et lancer la production de masse de l’électronique, tout en mettant en place une procédure de contrôle qualité.

Plusieurs voyages s’avèrent finalement nécessaires, avec des soucis parfois difficiles à déceler, comme des modules RAM défectueux dans une des deux usines de production (une question de procédé de fabrication).

Pour les « backers », l’attente est longue. Au milieu des encouragements, les commentaires désobligeants fusent. La capacité de la start-up à livrer un jour son produit est mise en doute.

La situation s’éclaircit en juillet 2014 avec l’ouverture d’un programme bêta que rejoignent 800 personnes. Ces testeurs de la première heure identifient un grand nombre de bugs, de la synchronisation en peer-to-peer à l’intégration dans le Finder d’OS X en passant par la prise en charge des caractères spéciaux dans les noms de fichiers.

Petit à petit, Gawen et Séverin se rapprochent de leur communauté. Ils organisent notamment, au mois d’octobre, des meetups à Paris, puis à Londres. L’occasion de présenter les équipes, emmenées par Denis un développeur qui a passé plus de 10 ans dans la Silicon Valley.

La parole aux « backers »

Ce lundi, dans la petite assemblée, on a pu croiser l’un des « backers », nommé Jonathan. « Je suis un peu là par hasard, nous confie-t-il. En fait, j’ai reçu l’invitation il y a seulement quelques heures ».

Ayant participé à la phase bêta, il avait jugé Lima trop instable pour l’utiliser au quotidien. À tel point qu’il l’avait remisé au placard lors d’un déménagement, pour ne plus l’en ressortir. Cela risque de changer après les démonstrations « grandeur nature » réalisée par Séverin Marcombes et ses équipes. C’est tout du moins ce que laisse clairement entendre Jonathan.

Il faut dire que le produit a nettement évolué en deux ans. Il reste basé sur la distribution Linux OpenWRT (qu’il est question d’abandonner à terme), mais avec de plus en plus de services intégrés. On citera la compatibilité Chromecast, la récupération automatique des métadonnées pour les films (biographies des acteurs, synopsis…) et la musique ou encore les jonctions avec certaines fonctionnalités des appareils mobiles comme l’appareil photo.

Ce qui n’a pas changé, c’est le principe de base de Lima : le boîtier se connecte à une box Internet et accueille un disque externe, jusqu’à 7 To de capacité. On installe l’application sur chaque terminal et la connexion s’effectue automatiquement.

Sous le capot, ce sont des centaines de requêtes par seconde qui sont effectuées, Lima se substituant – tout du moins sur desktop – au système de fichiers virtuel (VFS), cette couche logicielle qui permet de faire coexister plusieurs systèmes de fichiers concrets de façon transparente pour les processus utilisateurs.

Dans la pratique, un film transféré en quelques secondes depuis un MacBook devient accessible quasi instantanément sur une tablette Surface connectée au même réseau. En exploitant le système P2P de Lima, éventuellement en association avec le système de « cache intelligent », on peut même accéder à des données qui ne sont pas encore entièrement copiées.

Travail de l’ombre

Ce qui paraît simple en façade l’est beaucoup moins en coulisse. On pourra dire de même concernant l’évolution de la société, surtout du point de vue juridique. En février 2015, un an après l’augmentation de capital réalisée auprès de Partech (2,5 millions de dollars), elle change de dénomination sociale : exit ForgetBox, place à Lima Technology.

Le produit aussi ne s’est pas toujours appelé Lima. Pendant près d’un mois de campagne Kickstarter, il était baptisé Plug. Comme cela a effectivement été communiqué aux « backers », il y a eu un conflit de marque. Mais quand on en parle aux équipes de la start-up, personne n’en sait plus. On nous conseille d’interroger Gawen Arab… qui change habilement de sujet, sans jamais y revenir.

Ce diplômé de l’École centrale d’électronique, qui a multiplié les projets dans l’Internet des objets en contribuant notamment au développement d’un « musée connecté en Afrique », n’est pas plus explicite concernant les ambitions commerciales de Lima.

Pour l’heure, le seul poste de revenus, c’est ce boîtier à 99 euros TTC, que l’on peut acheter en direct ou sur Amazon. Pas encore de distribution annoncée en magasin, malgré l’engagement récemment pris par huit enseignes (dont Carrefour et la FNAC) de mettre en avant, dans leurs rayons, les objets connectés de la French Tech.

Le modèle économique semble amené à évoluer avec des services conçus en interne, ou par des partenaires, auquel cas Lima prélèverait une commission. Ainsi l’équipe de développement travaille-t-elle sur une interface de programmation logicielle (API) qui permettra l’ouverture à des solutions tierces.

En l’état actuel, Lima dit avoir vendu 30 000 exemplaires de son produit, en comptant les 12 840 qui ont trouvé acquéreurs sur Kickstarter. La principale clientèle n’est pas forcément celle que l’on imaginait au départ : « Les 50-65 ans sont plus réceptifs que les 25-35 ans », assure Gawen Arab.

Pour Séverin Marcombes, Kickstarter a été un choix de raison. « Personne n’avait encore exposé un tel projet sur la plate-forme ». Et il aurait visiblement été difficile de se restreindre au marché français : « Seulement 6 % de nos backers sont français. […] Aujourd’hui encore, moins de 10 % de nos ventes sont réalisées en France, contre 50 % en Amérique du Nord ».

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