L’internaute condamné : ‘Je me demande si je ne suis pas le coupable idéal’

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Bruno Dugas est l’internaute condamné à six mois de prison ferme pour avoir revendu des CD de fichiers téléchargés sur Internet. S’il reconnaît le délit, il estime la peine trop lourde.

VNUnet : Vous avez été condamné à six mois de prison ferme pour avoir revendu des CD gravés de musiques, films ou jeux dont vous n’aviez pas les droits (voir édition du 30 janvier 2004). Reconnaissez-vous les faits ?

Bruno Dugas : En deux ans et demi, j’ai fait trois ventes de 10 CD environ. Soit une trentaine de CD. J’avais besoin d’argent, j’ai eu des opportunités et je l’ai fait sans vraiment me poser de questions.

VNUnet : La police a saisi votre matériel informatique (ordinateur, accès Internet par satellite, CD vierges…) qui ressemble à la panoplie du parfait trafiquant…

B.D. : J’avais deux mille CD gravés de fichiers musicaux, de jeux et de DivX, téléchargés par Internet. Mais il s’agissait de ma collection personnelle, pas d’un stock servant à alimenter un trafic. D’ailleurs, aucun CD n’était en double. Quant aux CD vierges, il s’agissait d’un reliquat du stock de CD que j’avais acheté avant la mise en place de la taxe sur les CD vierges [en décembre 2000, (voir édition du 22 décembre 2000), NDLR].

VNUnet : Mais vous avez conscience que ce contenu a été illégalement acquis ?

B.D. : Oui, je le sais, je l’ai d’ailleurs admis auprès des policiers. Mais tout le monde télécharge sur Internet. Du moment qu’on peut le prendre, on le prend. C’est tout. Vous savez, on ne paye pas une connexion haut débit pour consulter ses e-mails. C’est hypocrite de laisser croire cela. Mais je n’ai pas le sentiment d’avoir fait quelque chose de mal comme si, par exemple, j’avais vendu de la drogue ou volé.

VNUnet : Vous réfutez l’idée d’un trafic mais pourquoi avoir créé un site en ligne avec votre liste de fichiers téléchargés ?

B.D. : Parce que cela m’amusait. J’aurais pu me contenter d’une liste imprimée ou conservée sur mon disque dur mais comme il était possible de mettre ces éléments en ligne, je ne m’en suis pas privé. Mais je vous mets au défi de trouver sur le site une quelconque information indiquant que je revendais les CD [le site a été fermé depuis, NDLR].

VNUnet : Ça ne joue pas forcément en votre faveur…

B.D. : En deux ans et demi, j’ai dû avoir une quarantaine de visites. Essentiellement des amis, d’ailleurs. On ne peut pas parler de trafic à ce niveau. J’espère d’ailleurs que mon hébergeur sera en mesure de fournir les statistiques de connexion.

VNUnet : Vous avez pourtant déjà été condamné à une peine avec sursis pour le même type de délit.

B.D. : C’était en 1998. J’arrivais au terme des cinq ans de prescription…

VNUnet : Vous accusez la Sacem de vous avoir piégé. Pouvez-vous nous en dire plus ?

B.D. : Un internaute m’a demandé par e-mail si je pouvais lui vendre dix CD audio et trois DivX. J’étais dans le besoin, j’aurais eu tort de refuser. Il s’est avéré ensuite qu’il s’agissait d’une personne chargée d’enquêter pour la Sacem/SDRM. Je ne l’ai pas inventé, c’est inscrit dans le procès-verbal. Lors de ma garde à vue, les policiers m’ont même dit que la pratique était illégale. Si je peux, je vais attaquer la Sacem. Si j’ai une seule chance sur un million de faire condamner cette pratique, je ne veux pas la laisser passer.

VNUnet : Vous semblez vous poser en victime…

B.D. : J’ai commis un délit, d’accord, mais de là à aller en prison pour ça… J’ai l’impression que la SPPF [qui s’est portée partie civile et a communiqué cette affaire à la presse, NDLR] a voulu se payer une campagne de publicité sur mon dos. Cette histoire arrive au moment où l’on parle de surveillance du Net, où l’industrie du disque accuse Internet de faire chuter son chiffre d’affaires, etc. Je me demande si je ne suis pas le coupable idéal. Si n’importe quelle institution qui a un peu de pouvoir peut envoyer les gens en prison, où va-t-on ? J’ai l’impression qu’à travers mon procès, c’est Internet qu’on juge.

VNUnet : Vous avez fait appel ?

B.D. : Oui. Si je ne me suis pas rendu à la première audience, c’est parce que je ne pensais pas que je risquais de la prison ferme. Cette fois, je vais me défendre. Je vais profiter de l’instruction qui repart de zéro pour ressortir tout l’historique de cette affaire.