Lucie Morillon, RSF : « Nous voulons renverser le rapport de force avec les dictatures »

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Lucie Morillon RSF

Responsable du bureau Nouveaux Médias de Reporters sans Frontières, Lucie Morillon présente à ITespresso.fr les initiatives de son organisation en matière de liberté de la presse, et plus globalement de liberté de l’information, sur Internet.

Responsable du bureau Nouveaux Médias de Reporters sans Frontières, Lucie Morillon présente à ITespresso.fr les initiatives de son organisation en matière de liberté de la presse, et plus globalement de liberté de l’information, sur Internet.

Lucie Morillon RSF
Lucie Morillon

ITespresso.fr – RSF diffuse depuis quelques jours une campagne baptisée « DeadTweet« . Pourquoi cette opération ? Quelle est votre ambition ?

 Lucie Morillon – C’est une initiative conjointe de notre bureau Moyen-Orient et de notre service de communication. Nous souhaitons communiquer sur la situation en Syrie, ne pas nous résigner devant ce funeste décompte de victimes et rappeler que les journalistes et les citoyens-journalistes payent un lourd tribut dans ce conflit.

 

ITespresso.fr – Selon RSF, combien de journalistes et de blogueurs sont morts en Syrie ? Comment êtes vous parvenus à ce décompte ?

Lucie Morillon – Cela a été un travail difficile. Sur les dizaines de milliers de personnes tuées dans ce conflit, nous avons souhaité nous limiter aux cas de citoyens-journalistes tués parce qu’ils exerçaient cette fonction. Nous avons consulté de nombreuses données, parfois regardé des vidéos horribles, vérifié avec nos sources habituelles dans la région, et avons établi le chiffre de 38 journalistes et citoyens-journalistes morts depuis mars 2011 en Syrie. Le chiffre réel est peut être plus élevé mais il est difficile de documenter tous les cas.

ITespresso.fr – L’animation DeadTweet met en scène un citoyen journaliste fictif qui tomberait sous les balles des « milices du régime » en criant « Free Syria » ce qui semble le placer du côté de l’opposition armée. Pourtant, selon LeFigaro, c’est cette même opposition armée qui serait à l’origine de la mort du journaliste français Gilles Jacquier. Et c’est encore l’opposition qui aurait réalisé un attentat en juin dernier pour détruire la chaîne de télévision Al Ikhbariya, tuant au passage plusieurs personnes. En Syrie, qui menace vraiment les journalistes ? Le pouvoir ou l’opposition armée ?

deadtweet
operation @deadtweet sur Twitter

Lucie Morillon – Personne ne connait exactement les conditions de la mort de Gilles Jacquier et nous avons dénoncé le fait qu’un média, aussi partisan soit il, devienne une cible militaire.

Dans le chaos syrien, tout journaliste ou citoyen journaliste est en danger mais notre responsabilité est d’abord de pointer du doigt les exactions du régime, plus nombreuses. Nous avons de nombreux témoignages d’arrestations et de meurtres de journalistes d’opposition. C’est d’abord cette réalité que nous souhaitons dénoncer.

 

ITespresso.fr – Dans un conflit, l’information peut parfois être manipulée et les réseaux sociaux n’échappent pas à la règle. Êtes vous en mesure de faire la part des choses entre vrais tweets et propagande ?

Lucie Morillon – La situation est tellement chaotique que certaines informations inexactes peuvent être reprises, parfois à grande échelle, sans que les médias n’aient le temps de la vérifier.

Et les médias sociaux comme Facebook ou Twitter peuvent facilement démultiplier la propagation de ces fausses informations. Heureusement, RSF n’est pas un média mais une ONG. Nous pouvons prendre le temps d’analyser le sérieux d’une source.

Un compte Twitter qui n’a que quelques jours et qui se met à publier des informations toutes les 3 minutes n’est par exemple pas très crédible. J’ajouterais que RSF ne découvre pas la Syrie à l’occasion de ce conflit et que nous nous appuyons sur un réseau d’informateurs qui sont en mesure d’apprécier objectivement la situation sur place.

 

ITespresso.fr – Estimez vous que le journalisme citoyen est l’avenir du journalisme ? Avec une plate-forme telle que « WeFightCensorShip« , l’association RSF entend elle élargir ses activés à la défense de tous les « hacktivistes » et peut être faire de l’ombre à WikiLeaks ?

Lucie Morillon – Reporters Sans Frontières ne se bat pas plus uniquement pour la liberté de la presse mais plus globalement pour la liberté de l’information. Pour cela, nous avons effectivement besoin de journalistes traditionnels mais également de « citoyens-journalistes », qui font un incroyable travail de collecte, de diffusion voire de vérification de l’information, parfois au péril de leur vie comme nous le constatons en Syrie.

WeFightCensorShip aura un triple objectif. Nous allons tout d’abord continuer à former des citoyens-journalistes, en partageant par exemple les meilleures pratiques pour contourner la censure.

A terme, nous entendons également aider les journalistes, y compris dans les démocraties occidentales, à sécuriser le stockage de leurs informations dans un futur coffre-fort numérique. Enfin, contrairement à WikiLeaks qui ne diffuse que des données brutes, WeFightCensorShip sera un véritable journal citoyen capable de rediffuser les articles de nos contributeurs les plus menacés.

Nous voulons renverser le rapport de force avec les dictatures en leur montrant que menacer un journaliste ou un citoyen journaliste entraînera une sur-exposition de ses écrits, sur l’ensemble de notre réseau.

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