Des méthodes agiles à l’intelligence artificielle : quels défis pour les RH ?

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Après une réorganisation sous le prisme des « feature teams », Voyages-sncf.com explore l’intelligence artificielle. Quel rôle pour les RH dans cette évolution ?

[Mise à jour du 23 novembre à 10 h 27 : l’espace OUI Work est ouvert jusqu’au 9 décembre et non jusqu’au 19 décembre, comme nous le mentionnions initialement.]

Comment évoluent les RH à l’heure de l’agilité et de l’intelligence artificielle ? Elles conduisent à repenser les modes d’organisation, de fonctionnement et de recrutement de l’entreprise.

La semaine dernière, Voyages-sncf.com a organisé des sessions spéciales sur ce thème au sein de OUI Work. Ce lieu éphémère – ouvert le 23 octobre et qui prendra fin le 9 décembre – du centre de Paris est présenté comme un « espace de co-construction autour du voyage de demain ».

Accueillant clients, partenaires, salariés et influenceurs, il doit accompagner la transition vers la marque OUI.sncf, qui sera effective le 7 décembre.

Isabelle Lerin-Basset, qui a pris cette la fonction de directrice des ressources humaines au sein de la branche du groupe SNCF qui exploite historiquement le portail de distribution de billets de train, a partagé son expérience sur fond d’organisation en mode « feature teams ».

Ces équipes, assimilables à des start-up internes, sont aujourd’hui une quinzaine. Chacune prenant en main une partie du portail transactionnel.

Leur fonctionnement même, fondé sur des cycles de développement court, rend nécessaire de pouvoir fédérer régulièrement tous leurs membres en un même lieu, selon Olivier Hafner, qui accompagne Isabelle Lerin-Basset dans la démarche RH en tant que Human Resources Manager (supervision de trois sites physiques en France).

Vers l’ère du scrum master

La structuration en « feature teams » a elle-même contribué à l’image de l’entreprise, comme l’explique Jean-Philippe Hervé, Directeur du delivery (développements informatiques).

La démarche a véritablement été enclenchée en 2016. Mais une première impulsion avait été donnée en 2013, lorsque des membres de la DSI avaient été intégrés dans des directions métiers.

Le fonctionnement en « sprint » avait été instauré à cette occasion, réduisant de 9 à 5 mois le temps de mise sur le marché et doublant – de 6 à 12 – le nombre de versions du portail lancées chaque année.

À l’ère des « feature teams », on est sur une vingtaine de mises en production par mois, pour un time-to-market de moins d’un mois pour les « petits projets ».

L’élément qualifié de « déclencheur » fut la refonte graphique de la page de résultats. Le projet avait été isolé, attribué à une équipe dédiée qui est repartie de zéro pour la base technique.

Ainsi naissait la première « feature team », aujourd’hui encore active, sur un modèle de regroupement de profils venus de différentes directions : responsable produit, designer, développeur, OPS, testeur, scrum master

Autogestion et lâcher-prise

Pour chaque manager, il a fallu apprendre à « lâcher prise » ; à ne plus nécessairement travailler en contact direct avec ses équipes et à se poser davantage en coach ou en animateur qu’en chef.

Les RH ont accompagné l’appropriation de cette nouvelle posture, non sans « des temps de crispation assez durs », reconnaît Olivier Hafner.

Et d’ajouter : « Pour nous c’était clairement complètement nébuleux quand Yannick [Combourieu, Directeur du management produit] et Jean-Philippe [Hervé] venaient nous dire qu’ils montaient une nouvelle feature team qui allait s’autogérer ».

La transition a requis une attention particulière à la formation, mais aussi une présence beaucoup plus forte auprès des managers, tout particulièrement quand les méthodes agiles, initialement adoptées par l’IT, ont commencé à toucher des métiers comme le marketing.

« L’agilité n’est pas qu’une pratique de devs », confirme Yannick Combourieu : plus de 700 collaborateurs sont aujourd’hui concernées sur les 1 200 que revendique Voyages-sncf.com (avec une moyenne d’âge de 35 ans).

Le levier avait été enclenché dans un contexte de développement de la concurrence, emmenée par Capitaine Train transformée en Captain Train en passant dans la foulée dans le giron du groupe britannique Trainline.

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De gauche à droite, Yannick Combourieu, Jean-Philippe Hervé et Olivier Hafner.

Plus autonome pour être plus près du client

Les « feature teams » de Voyages-sncf.com reproduisent les attributs d’une telle start-up : elles sont responsables de leur projet et bénéficient d’une grand autonomie pour assurer un développement rapide.

Par « autonomie », il faut notamment entendre que les produits conçus sont présentés directement aux clients, dont la satisfaction est mesurée sur des cycles itératifs de deux semaines, en étant communiquée directement aux personnes en charge des différentes parties du portail.

« L’autonomie, c’est compliqué pour les managers », admet Jean-Philippe Hervé. « C’est un peu un combat au début, mais les preuves viennent par l’exemple », poursuit-il.

L’autonomie n’a pas nécessairement entraîné une profusion créatrice : certaines équipes avaient le « syndrome de la page blanche ».

Le principe des notes de cadrage, sorte de contrat passé entre le management et la « feature team », a été mis en place dans cette optique. L’idée est d’établir un cadre dans lequel le projet pourra évoluer. Par exemple, définir quelles technologies seront utilisables sur telle page.

Il a également été décidé d’organiser des « stand-up » : chaque équipe fait, toutes les semaines pendant une demi-heure, le point sur ses avancées, dans le cadre d’une réunion ouverte à tous. Elle a l’occasion de saisir le management pour des arbitrages.

La communication interne a par ailleurs été adaptée, entre autre avec un book mensuel qui compile les dernières fonctionnalités développées.

« Pour qu’il y ait de la confiance, il faut de la transparence absolue et donc, il faut encourager les équipes à communiquer en permanence », clame à ce sujet Jean-Philippe Hervé.

Face à Trainline et consorts, Voyages-sncf.com mise sur la notion de « communauté de compétences ». Ou comment exploiter le fait d’avoir plusieurs talents exerçant le même métier pour mieux gérer la formation et favoriser la mobilité en interne ainsi que le partage de bonnes pratiques.

Après bientôt deux ans, l’entreprise perçoit des axes d’amélioration dans ses « feature teams ». Elle commence par exemple à aller vers des écosystèmes plus grands : les « tribus », regroupements d’équipes qui ont la capacité de se reconfigurer eux-mêmes.

Voyages-sncf.com évoque une « organisation auto-apprenante » et affirme intégrer dans sa réflexion des locaux qui facilitent ces renouvellements de configurations.

L’alignement des processus n’est pas intégral. Une latitude est, par exemple, laissée au niveau des outils de communication. Il s’agit plutôt de développer des outils qui soient capables de tirer parti de la multiplicité des canaux.

L’IA : question de perception ?

L’évangélisation de l’intelligence artificielle pourrait-elle être abordée sous le même angle, au travers du prisme d’assistants domestiques comme Google Home ou d’applications mobiles qui incluent une dimension prédictive ?

Pauline Ravel n’exclut pas cette possibilité. Invitée à la session Voyages-sncf.com, la directrice commerciale France de Clustree – start-up à l’origine d’une plate-forme d’analyse de données à destination des responsables RH – souligne néanmoins à quel point l’IA est une question de perception.

« À partir du moment où un problème est résolu, beaucoup de gens pensent qu’il n’y a plus d’intelligence derrière », explique-t-elle en mentionnant le calcul d’itinéraires sur Google Maps.

Mais qu’est-ce, au juste, que l’intelligence artificielle ? À en croire Pauline Ravel, il est difficile d’en donner une définition, tout comme pour l’intelligence humaine : comment un petit enfant arrive-t-il à comprendre ce qu’est un éléphant en regardant une photo ?

Des systèmes experts dans les années 80 au deep learning qui permet à la machine de créer des éléments de contexte, la compréhension de l’intelligence par l’ordinateur a eu différentes phases.

L’obstacle data

Le dénominateur commun se nomme donnée. Et leur préparation reste un obstacle majeur, comme le fait remarquer une RH dans la salle.

Typiquement, dans le cadre des process d’évaluation annuelle, plusieurs mois s’écoulent entre la collecte des informations et l’obtention d’un résultat.

Difficile, par ailleurs, d’éclipser la question de la confiance des salariés : il faut être capable de leur démontrer la valeur ajoutée.

Chez Voyages-sncf.com, elle s’exprime en plusieurs termes, dont la mobilité interne, ou comment j’offre à mes collaborateurs une meilleure vision sur leur avenir.

Les algorithmes sont ici exploités pour détecter si un salarié a développé, que ce soit au travers d’une formation professionnelle ou d’un intérêt personnel, des aptitudes qui lui permettraient d’être positionné sur un autre poste, moyennant un éventuel accompagnement.

Dans un tel scénario, le retour sur investissement, affirme Pauline Ravel, s’envisage sur le long terme, avec des bénéfices qui dépassent le plan purement financier : confiance, bien-être, appropriation du numérique…

Un chatbot pour la comptabilité

S’il en va d’une logique d’amélioration du relationnel avec la RH, les managers des fonctions métiers ont aussi leur rôle à jouer.

 « Ils sont les premiers RH », rappelle Isabelle Lerin-Basset. « En mettant à leur disposition des outils qui jusque-là restaient au niveau des RH, on leur permet de faire leurs propres analyses », sous le prisme d’un moteur capable d’aller examiner ce qui s’est fait dans d’autres entreprises du même environnement.

« Ce ne sont pas des petits budgets […] et c’est aussi probablement un frein aujourd’hui », tempère-elle.  En précisant cependant : « Le ROI [retour sur investissement, ndlr] d’un recrutement raté, c’est facile à identifier. Le ROI d’une mobilité qu’on n’a pas su identifier, aussi. »

Pour dynamiser l’activité RH, la directrice lorgne aussi le conversationnel. Elle n’exclut pas que le bot aujourd’hui exploité pour le service client de Voyages-sncf.com soit un jour mis à disposition de services internes comme la paye.

Celui-ci « passe une grosse partie de son temps à répondre à des collaborateurs qui demandent combien de jours de congés il leur reste ou s’ils peuvent récupérer leurs [titres-restaurant] ».

Entre télétravail et déconnexion

Dans cette organisation flexible, il faut prendre en compte le télétravail et les plages horaires de travail.

« On a des collaborateurs qui vont peut-être arriver à 10 h 30 le matin, parce que c’est leur façon de s’organiser. Qu’ils envoient un e-mail à 20 h ne paraîtra pas scandaleux. Pour autant, dans le cadre législatif qui est le nôtre, c’est très compliqué de faire vivre cela, évoque Isabelle Lerin-Basset

Voyages-sncf.com a développé la pratique à raison de deux jours par semaine. La DRH assure favoriser le travail à domicile, tout en admettant avoir posé des limites à l’exercice, notamment du fait de son organisation en « feature teams ».

Au-delà du télétravail, il y a la problématique du droit à la déconnexion. Aucune charte n’est établie en l’état, mais un accord est en négociation avec les représentants syndicaux, assure Isabelle Lerin-Basset.

« On insiste sur le fait […] qu’il y ait une distinction entre vie pro et vie perso. On ne souhaite pas que les e-mails partent jusqu’à 23 h, parce qu’on ne les lira pas de toute façon », affirme Olivier Hafner, tout en précisant que des politiques internes autour du bien-être des salariés sont développées.

Dans l’assistance, on aura fait remarquer, par l’exemple des Dunes de Société Générale, que les frontières sont floues, les entreprises ayant tendance à reproduire les codes de la vie privée dans les espaces de travail.

(Photo d’illustration : Isabelle Lerin-Basset ; Crédit photo : NetMediaEurope – Clément Bohic)

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