Projet INES : le FDI demande au gouvernement de revoir sa copie

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Le Forum des Droits sur l’Internet publie son rapport sur la mise en place d’une carte d’identité nationale électronique, qui prête à polémiques.

Identité, authentification, sécurité, services, vie privée… Après quatre mois de débats publics, 3 000 contributions en lignes, 6 rencontres en régions qui ont réuni 600 personnes environ et un sondage organisé par la Sofres les 20 et 21 mai derniers auprès de 950 personnes, le Forum des Droits sur l’Internet (FDI) a livré ses recommandations face aux enjeux qu’entraînent l’instauration d’une Carte Nationale d’Identité Electronique (CNIE) dans le cadre du projet INES (acronyme de Identité Nationale Electronique Sécurisée) qui vise notamment à accroître la sécurité tout en développant les services de l’administration électronique (voir édition du 12 avril 2005).

Un sujet « extrêmement intéressant et ambitieux car de nature à toucher tous les Français », souligne, à l’occasion d’une conférence de presse, Isabelle Falque-Pierrotin, présidente du Forum mandaté début 2005 pour organiser les débats publics afin de « cerner les attentes de Français, leurs peurs, leurs interrogations et propositions ». Un sujet sensible que les propos tenus en avril dernier, en plein débat, par Dominique de Villepin, alors ministre de l’Intérieur, a quelque peu enflammé notamment en annonçant le caractère obligatoire et payant de la carte d’identité. « Je pense que l’intervention du ministre a permis de relancer la discussion et les arguments sur des points précis », relativise la présidente, tout en rappelant le caractère quelque peu unique en Europe de ce processus de débat public.

Les Français plutôt favorables à la nouvelle carte

Si, selon le sondage de la Sofres, les trois quarts (74 %) des Français sont favorables à la carte d’identité électronique, « des réticences fortes subsistent car les arguments du ministre n’ont pas véritablement convaincu ». Dominique de Villepin mettait notamment en avant la lutte contre la fraude à l’identité, mais sans fournir de statistiques précises sur le phénomène, ou encore la lutte contre le terrorisme, pourtant censée être l’objet du rôle des passeports. Au delà de ces objectifs en apparence décalés avec le rôle de la CNIE, la majorité des questions portaient sur le respect de la vie privée et, en particulier, la gestion de la base centrale qui réunira les informations identitaires des Français.

A la grande surprise générale, les fonctionnalités d’authentification auprès des services de l’administration électronique comme des sites marchands en ligne que pourraient apporter la future carte d’identité ont connu un fort rejet du public. Autre point d’incompréhension, la proposition du ministre de laisser à un nombre limité de mairies la gestion de la carte fait craindre aux petites communes la rupture du dernier lien ? l’état-civil ? qu’entretiennent encore les élus avec leurs administrés. Enfin, le caractère obligatoire, à la majorité, et payant de la carte fait craindre un changement de nature dans les relations entre les citoyens et l’Etat. Il faut remonter à la précédente guerre mondiale pour retrouver une période où la carte d’identité a été rendue obligatoire. D’où un risque de modifications des traditions culturelles françaises qui peut être mal perçu.

Déployer le projet dans des conditions favorables

C’est à l’ensemble de ses questions et aux craintes qu’elles suscitent que le FDI entend apporter ses recommandations « pour que le projet se déploie dans des conditions favorables », insiste Isabelle Falque-Pierrotin. Il faut avant tout clarifier l’objectif du gouvernement. Sans quoi « nous ne pourrons pas entrer dans les débats ». Le FDI recommande notamment la réalisation d’études sur la fraude à l’identité ainsi qu’un découplage avec le projet de passeport. Il convient aussi d’apporter des garanties de confidentialité face à l’identifiant unique qu’instaure la carte électronique. Garanties qui peuvent être soutenues en multipliant les identifiants selon les services de l’administration électronique (ce que soutient d’ailleurs le projet Adele, voir édition du 10 février 2004).

Mais surtout, le FDI préconise, en toute logique, un contrôle de la base centrale des identités par la Commission nationale informatique et liberté (CNIL). Encore faudra-t-il lui en fournir les moyens. Or, les budgets de l’organisme stagnent alors que les missions se multiplient, soulignait Alex Türk, son président, à l’occasion du rapport annuel (voir édition du 20 avril 2005). Dernière recommandation face aux enjeux de la vie privée, la redéfinition du pacte social entre l’Etat et les citoyens. Le Forum souhaite que ces derniers bénéficient d’un droit d’accès renforcé à leurs fichiers personnels.

Apporter des garanties

Sur les aspects de la sécurité, le Forum se montre méfiant face aux possibilités de lecture « sans contact » des informations contenues dans la carte et ne le préconise qu’avec la garantie que les accès aux données ne se fasse pas à l’insu de son porteur. D’autre part, il conviendra que, face au manque de coordination des ministères de l’Intérieur et de la Justice, la délivrance de la carte ne s’effectue qu’une fois l’information de l’état-civil achevé. Dans le cadre des opérations d’authentification avec l’administration, il faudra également lever les ambiguïtés du pouvoir de la carte d’identité nationale face aux éventuelles cartes locales remplissant les même services. Enfin, si la carte doit devenir payante, le Forum conseille d’en limiter la facturer qu’en cas de perte ou de renouvellement (tous les 10 ans actuellement). Quant au caractère obligatoire, l’organisme de recommandation laisse aux parlementaires le soin d’en débattre.

En conclusion, « le projet doit être revu pour être déployé dans un climat de consensus », estime la présidente. Remis, il y a quelques jours, au ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, Nicolas Sarkozy, le rapport du Forum permettra d’alimenter les débats parlementaires. Mais le calendrier des sessions reste encore à définir. Saisie du dossier, la CNIL devait rendre son avis le 30 juin prochain. « Mais la réunion a été reporté, il y a une incertitude sur le calendrier de consultation », rapporte un membre de la CNIL. Le projet INES prend du retard…