Quand la gestion de contenu rencontre les processus métiers

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Au vu des résultats financiers de certains éditeurs, le marché de la gestion de contenu paraît vivre des heures difficiles. C’est pourtant un secteur promis à une forte croissance, les projets relatifs à ce domaine applicatif figurant au rang des préoccupations prioritaires des entreprises. En réalité, la situation des éditeurs spécialistes de ce secteur est très contrastée. Question de positionnement?

Vu de loin le secteur de la gestion de contenu semble malade. Ces derniers jours, en effet, plusieurs acteurs majeurs de ce marché, dont l’un des plus connus, Vignette, ont communiqué des résultats financiers annuels négatifs. Vignette affiche ainsi, pour le seul dernier trimestre, une perte de 160,8 millions de dollars sur un chiffre d’affaires de 40,4 millions. Un concurrent, Stellent, accuse pour son troisième trimestre fiscal une perte de 7,3 millions de dollars, à comparer à une perte de moins d’un million il y a un an. Quant au chiffre d’affaires de ce dernier, il s’est rétracté dans le même laps de temps de 26,6 millions de dollars à 16 millions.

Cet effondrement des ventes de licences a de quoi étonner car le marché, certes encore émergeant, de la gestion de contenu est très prometteur. En témoigne une récente étude publiée par ZapThink, cabinet d’études spécialiste d’XML et des services Web, selon laquelle le chiffre d’affaires généré par la vente d’outils de gestion de contenu basés sur XML et du service associé devrait être multiplié par dix d’ici 2008. A cette date, il atteindra 11,6 milliards de dollars contre 1,8 milliard de dollars cette année. En outre, selon une étude à paraître du Forrester Research dont News.com se fait l’écho, 35 % des entreprises américaines prévoient d’investir dans la gestion de contenu en 2003. Les secteurs concernés au premier chef par ce domaine applicatif sont les banques, les assurances et l’Administration.

Web Content Management versus Entreprise Content Management

Dans ces conditions, comment expliquer les mauvaises performances d’un Vignette ou d’un Stellent? Bien évidemment ces éditeurs, comme l’ensemble du secteur informatique, ont pâtit en 2002 de la réduction des investissements informatiques des entreprises. Mais la vraie raison de leur échec est ailleurs : Vignette s’est fait connaître à la grande époque de la bulle Internet comme un spécialiste de ce que le Gartner Group appelle le Web Content Management, gestion du contenu publié sur les sites Web de type « b to c », par opposition à la gestion des documents circulant dans les entreprises baptisée, par le même Gartner, Enterprise Content Management (ECM). Lequel ECM prend, en somme, le relais de la traditionnelle GED (gestion électronique de documents). Bien sûr, éclatement de la bulle Internet aidant, c’est le secteur de l’ECM qui est le plus prometteur de croissance pour les éditeurs. S’il en fallait une preuve, il suffit de se rappeler le rachat en octobre 2002 par Vignette d’Epicentric, éditeur d’une solution d’administration de portails d’entreprise. Ce que recherche désormais Vignette, c’est bien de gérer toute cette masse d’information non structurée qui prolifère dans les entreprises.

Sur ce terrain, il rencontrera des éditeurs dont c’est le positionnement originel, et dont la santé financière paraît bien meilleure, tels Documentum ou encore FileNet, qui revendique le leadership tant en termes de chiffre d’affaires que de base installée. Sans surprise, ces derniers s’aventurent sur les plates-bandes de Vignette : FileNet a ainsi racheté il y a quelques mois eGrail, un spécialiste de la gestion de contenus sur le Web…

Le même FileNet lance ces jours-ci une évolution majeure de son produit phare, FileNet P8. L’originalité de la nouvelle version est d’intégrer à la gestion de contenu stricto sensu un outil de gestion des processus métiers ainsi qu’une palette de connecteurs aux diverses applications de gestion du marché (SAP, Siebel…), via un partenariat avec un spécialiste de l’EAI, Crossworld (racheté il y a peu par IBM). Comment justifier le mariage de la gestion de contenu et de l’EAI? « La vraie valeur ajoutée d’une plate-forme d’ECM réside dans sa capacité à être un vecteur d’accélération de la prise des bonnes décisions. Pour cela, rendre visibles des documents ne suffit pas. L’ECM doit être intégrée aux processus et applications métiers de l’entreprise. Ainsi, tel document reçu par mail ou par fax va induire sa prise en compte par un expert métier et déclencher telle ou telle action, par exemple l’ouverture d’un dossier à la suite d’un sinistre, accepter ou refuser un prêt, alimenter ou éliminer des stocks… », explique Richard Lucas, directeur marketing de la filiale française.

Durcissement du contexte concurrentiel

Si les éditeurs tel FileNet se targuent d’avoir le bon positionnement, ils vont rapidement devoir faire face à un durcissement du contexte concurrentiel. Car les très grands de l’informatique comme Microsoft (voir édition du 27 novembre 2002) et surtout IBM s’intéressent de près à ce domaine applicatif. IBM va ainsi lui dédier une force commerciale de 2 000 personnes. L’engagement d’un grand sur un marché émergent a toujours au moins un impact positif, celui de crédibiliser ce secteur auprès des entreprises. Mais incontestablement, l’offensive d’IBM est une menace très sérieuse pour les « petits » acteurs. Très clairement, IBM va entrer dans une compétition frontale avec Documentum et FileNet. Bien sûr ces derniers bénéficient sans aucun doute d’une expertise de l’ECM supérieure à celle d’IBM – plus de vingt ans dans le cas de FileNet. Mais Big Blue apporte à contrario une intégration native de la gestion de contenu dans ses logiciels d’infrastructure, en particulier son serveur d’application J2EE WebSphere. Or, si la valeur ajoutée d’une plate-forme d’ECM est bien d’intégrer la gestion de contenue aux processus métiers et à leur traduction informatique, le tout fédéré au sein d’un portail, qui, mieux qu’IBM, est à même d’y parvenir? Il dispose en effet d’une expertise dans tous les domaines requis, notamment l’EAI grâce à CrossWorld, par ailleurs partenaire de… FileNet. Et si son point faible reste l’ECM, il lui suffirait de procéder à l’acquisition d’un spécialiste pour se mettre à niveau. Du reste, une note récente du cabinet d’études AMR Research consacrée à la stratégie d’acquisition d’IBM, très active ces derniers temps, citait fort logiquement comme cible potentielle Documentum et FileNet. Sachant, en outre, que FileNet P8 fournit un connecteur pour WebSphere, l’intégration des deux offres ne devrait pas poser trop de problèmes. En attendant, la question du devenir des partenariats en cours se pose.

Ce qu’il a de certain, en tout cas, c’est que 2003 sera une année de consolidation du marché de l’ECM.