Quand Steve Jobs se transforme en VRP…

Mobilité

Une kyrielle de photographes et de cadreurs courbaient l’échine sous le poids de leurs appareils de prise de vue, les spectateurs venaient voir leur maître, les téléspectateurs buvaient du petit-lait et l’audience Internet était tout acquise à sa cause ! Mais Steve Jobs s’est permis le plus gros pied de nez de l’histoire de l’informatique : convier le ban et l’arrière-ban à la plus vaste représentation de VRP de l’histoire de l’informatique !

Le rendez-vous de MacWorld San Francisco dépassait le stade de la technologie, des G4, G5 et tout le « tralala » cupertinien. Steve Jobs a donné à la presse une leçon de virtuosité : une vague d’indiscrétions orchestrée de main de maître, quelques clichés, faux ou non, émanant d’Apple ou non, pour appâter les habituels éditorialistes. Et une longue suite de teasers pour ferrer la grande presse nationale ou internationale. Laissez mijoter près d’une semaine… Et voilà ! De quoi rassembler un auditoire fourni pour annoncer la quadrature du cercle numérique parfait de la firme : un ordinateur dépouillé de toute technologie rébarbative au centre, un objet beau, presque une oeuvre d’art… Mais en fait, un simple numéro de VRP : le nouvel iMac à écran plat (voir édition du 7 janvier 2001) doit simplement remplacer l’ancien à écran cathodique. Il faut juste le faire voir et savoir !

L’outil s’efface devant l’usage

Bien sûr, les solutions pour toutes les utilisations autour la machine ne manquent pas de charme ! On a tendance à croire Apple quand la firme dit : qu’importe le logiciel système, qu’importe le processeur, qu’importe la qualité de l’accélération de la carte graphique ! La Pomme vient de faire entrer l’ordinateur dans la sphère des solutions numériques, sur la base de l’impulsion d’achat : vous voulez écouter de la musique ? Sur place ou à emporter ? iTunes et l’iPod répondent à votre attente. Vous voulez faire un film de vos vacances à la neige ? Branchez votre caméscope pour qu’iMovie et iDVD s’occupent du reste. Vous préférez la photo ? Hop : iPhoto importe, édite, stocke, catalogue, imprime, crée des albums à acheter en ligne sur l’AppleStore ou des sites Web grâce à votre compte iTools. Et l’ordinateur dans tout cela ? Son visage carré et son pied rond ne sont là que pour se faire oublier. Regardez bien, il est gentil ! Il sourit presque ! Ne dites pas que vous l’avez déjà vu quelque part, on ne vous croirait pas : ce que vous avez vu, c’est la complexe simplicité au service de l’informatique. La promesse d’Apple, c’est de vous laisser passer les plus beaux moments de votre vie à la plage avec les accessoires numériques, pour ne revenir vous brancher à votre ami iMac qu’à l’occasion, pour tirer les meilleurs clichés… Allez faire la même chose avec une boîte beige !

L’évolution obligatoire du PowerMac

Mais avec cette présentation historique, annoncée à grands coups de tapage diurne et nocturne, la firme de Cupertino risque toutefois de se mettre en porte-à-faux : tout ce bruit pour un événement qu’on attendait au plus tôt en juillet 2001 et au plus tard pour les fêtes… Les aficionados, même s’ils sont ravis par les courbes sympathiques du nouvel appareil, dont on croirait presque qu’il ne lui manque que la parole, s’attendaient à une vague de soutien plus forte de la part de leur firme fétiche et de ses partenaires. Pour l’heure, Apple semble n’en plus finir de faire du sur-place : la transition vers Mac OS X, même si elle vient de rebondir par l’adoption de l’OS comme système de démarrage standard sur tous les Mac, ressemble de plus en plus au passage à l’euro ! La double circulation des systèmes d’exploitation se doit de se terminer ! Dans ce sens, Photoshop apparaît aussi comme un frein majeur à cette adoption, les représentants d’Adobe ne daignant que faire entr’apercevoir leur ouvrage. Pas de date de sortie pour le paquebot des logiciels sur Mac… Du côté d’Apple, on aura bien noté iPhoto (un relookage avancé d’Image Capture), qui ravira sans doute les utilisateurs perdus sous leur tas d’archives numériques, mais dans le fond, l’entreprise semble en panne d’idées techniques. En l’absence de choses à montrer, Steve Jobs s’est donc transformé en VRP pendant près de deux heures, essaimant les baisses tarifaires ou les coups promotionnels et répétant, en mieux, MacWorld New York d’avant le 11 septembre (voir édition du 19 juillet 2001) ! Des 30 dollars par ci, 1 800 dollars par là ! Ces chiffres qui d’habitude ne choquent pas l’auditoire paraissaient presque outrageux dans la bouche du gourou : finalement, à cause de la caisse de résonance créée auparavant, on n’en avait pas pour son argent ! Seul rayon de soleil, la stratégie d’introduction de l’iMac, de janvier à mars, ne peut signifier qu’une chose : le PowerMac va lui aussi se métamorphoser dans les semaines à venir. Sinon, gare à la cannibalisation des ventes ! Le franchissement du mur du gigahertz fera-t-il plus de bruit à Tokyo (en février prochain) ou pendant un Apple Event qu’il n’en aurait fait à San Francisco ?