R. Maunier (NeoTelecoms) : « Aujourd’hui, dans les réseaux, la valeur c’est l’abonné »

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La neutralité des réseaux sera le débat qui agitera la sphère IT française à la rentrée. ITespresso.fr vous propose de mieux comprendre les enjeux pour les opérateurs, éditeurs de contenus et fournisseurs de services grâce à entretien exclusif avec Raphaël Maunier, spécialiste français des réseaux IP.

ITespresso.fr : D’un point de vue économique, si les infrastructures doivent être mise a jour, les opérateurs ne veulent donc plus être les seuls à régler la facture ?

R. Maunier : Le financement des infrastructures est un sujet qui fait couler beaucoup d’encre. Aujourd’hui, la valeur dans les réseaux, c’est l’abonné.

Cet abonné paye déjà un abonnement Internet, et de ce fait, finance une partie de l’infrastructure de son fournisseur d’accès. La logique voudrait que le réseau s’auto-finance avec la croissance des abonnés.

Cependant, ce qui était vrai hier, n’est plus tout à fait exact aujourd’hui. Si la capacité des opérateurs à mettre à jour leurs équipements de routage est relativement bien maîtrisée et se finance bien avec ces abonnés, il n’en est pas de même pour les réseaux de transmission longue distance qui sont relativement plus complexes et bien souvent, nombreux sont ceux qui passent par un autre opérateur. Mais sur ce point, les coûts commencent à diminuer sérieusement et cet argument devient de moins en moins pertinent car l’investissement se fait sur des périodes assez longues.

Ce n’est pas dans le cœur du réseau que se trouvent les coûts mais dans la périphérie : le « last mile » (ou connexion à l’abonné).

Ensuite affirmer que toutes ces mises à niveau sont financées par le prix actuel des abonnements n’est pas exact. Lorsque vous êtes amené à mettre en place et gérer un backbone qui transporte plusieurs dizaines de gigabits par seconde, votre vision change et s’adapte. Vous regardez de plus près comment réduire les coûts, ou les partager, d’où ce fameux « paid-peering ».

ITespresso.fr : … à terme, le peering « gratuit » n’existera donc plus ?

R. Maunier : Le peering est, dans sa définition, un accord entre deux opérateurs, dans lequel les deux parties y trouvent leur compte. Lorsque vous avez un « peer » (accord d’interconnexion) qui vous pousse 50 gigabits de trafic qu’il facture forcément à ses clients/abonnés, et que vous devez le transporter aux quatre coins de votre réseau, il y a clairement un déséquilibre qui se créé et donc l’une des parties assume une plus grande part des coûts.

La congestion que nous voyons actuellement n’est pas un problème technique, nous avons tous la capacité de faire en sorte que tout ce trafic passe dans les meilleures conditions, les saturations sont en grande partie des problèmes de négociations et de prix. Dans le cas d’un non-accord entre deux parties, nous avons un problème. Il est très courant de voir des opérateurs laisser saturer leur transitaire, rendant une qualité plus que médiocre pour l’abonné.

Pour simplifier, soit le prix de l’accès Internet tel que nous le connaissons va augmenter, soit les fournisseurs de contenus vont passer à la caisse. C’est un fait établi que les fournisseurs d’accès ne veulent plus payer la note dans son intégralité.

ITespresso.fr : Craignez-vous que les acteurs (hébergeurs, éditeurs de contenus…) n’aient pas les moyens de négocier des relations privilégiées avec les fournisseurs d’accès ? Les acteurs qui ont les moyens techniques et financiers ont-ils intérêt à le faire ?

R. Maunier : Vous achetez en fonction de vos moyens. En clair, si vous ne pouvez pas acheter en direct car votre volume est trop faible, vous aurez toujours la possibilité d’acheter à un autre réseau qui aura la capacité de vous fournir « au détail » ce trafic, qu’il soit opérateur (Tier-1, Tier-2) ou client d’un fournisseur d’accès (Tier-2, Tier-3). C’est la situation que nous avons aujourd’hui et dans la plupart des cas, cela se passe plutôt bien.

Cependant, nous voyons de plus en plus d’opérateurs de transit IP à bas prix, qu’ils soient Tier-1 ou Tier-2, proposer des tarifs de bande passante tellement bas que le modèle du paid-peering est montré du doigt car plus cher. Si la qualité était en rendez-vous, il n’y aurait pas eu de problème. Cependant, ce genre de réseau considère la qualité comme un concept lié à une perception utilisateur.

Nous voulons tous éviter ce genre de situation, car la perception de la réalité est que le service est mauvais. Si un opérateur s’obstine à avoir ce type de gestion de son infrastructure, vous avez la possibilité de changer de fournisseur, mais si cela se gangrène à l’ensemble des autres réseaux, vous avez effectivement un problème. C’est ce que nous observons de plus en plus, et d’après ce que je peux voir et entendre autour de nous, cela risque de malheureusement continuer en ce sens.

Le but étant d’éviter ce genre de situation en fixant des règles qui seront appliquées à l’ensemble des fournisseurs. C’est précisément l’un des points sur lequel s’appuie la proposition Google/Verizon.

(lire la suite de l’interview page suivante)

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