Richard Stallman: « Les mesures techniques de protection sont injustes »

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La figure emblématique du libre a manifesté à Paris contre le verrouillage des contenus numériques. Vnunet.fr l’a interviewé.

Une visite à Paris de Richard Stallman, président de la Fondation pour le Logiciel Libre (Free Software Foundation), ne passe jamais inaperçue. Entre vendredi et dimanche, le père-fondateur du mouvement des logiciels libres a participé à plusieurs initiatives de terrain menées par la branche française de la FSF et sa déclinaison EUCD.info.

Ce groupement anti-DRM (pour digital rights management ou MTP pour mesures techniques de protection) a été mis en place pour protester contre les « véritables armes de verrouillage de la culture numérique et de l’information » figurant dans le projet de loi DADVSI.

Vendredi dernier, Richard Stallman a accordé une interview à Vnunet.fr, quelques heures avant sa tentative de rencontrer le Premier ministre.

Vnunet.fr: Pourquoi êtes-vous venu à Paris le week-end dernier?

Richard Stallman: Je vais faire un discours dimanche. Il y a aussi une manifestation aujourd’hui [vendredi 9 juin]. Je ne suis pas l’organisateur. On m’a dit qu’il y a une pétition de 160 000 signatures qui sera présentée au Premier ministre et qu’on exigera qu’il tienne une réunion avec moi. Je suppose qu’il ne le fera pas. S’il voulait me voir, il l’aurait certainement déjà dit [NDLR: on sait maintenant que cette tentative de rencontre a effectivement échoué (voir édition du 9 juin 2006)].

Que pensez-vous du nouveau projet de loi en France sur le droit d’auteur (DADVSI) ?

Complètement mauvais. Je ne connais pas tous les détails de toutes les versions. Mais de nos jours évidemment, alors que les Etats obéissent aux entreprises, il est presque impossible d’avoir un projet de loi qui serait bon. Tous les projets de loi visent à donner plus de pouvoir aux entreprises alors qu’elles ne doivent pas avoir de pouvoir. On ne peut pas attendre une bonne loi tant que les entreprises dominent les lois.

Qu’est-ce qui vous dérange le plus par rapport à ce projet de loi ?

L’interdiction des programmes permettant d’aider les gens à échapper aux DRM. Le DRM en soi est injuste mais tant qu’il y a la possibilité de les contourner, c’est moins dangereux. L’Etat veut aider les entreprises à soumettre les gens.

Ne pensez-vous pas qu’il faut aider les artistes qui gagnent peu d’argent ?

Les artistes gagnent peu d’argent parce que le système n’est pas fait pour eux, le système est fait pour les entreprises et les DRM aideraient les entreprises à gagner beaucoup plus. Mais les artistes, je ne le crois pas.

Vous ne pensez pas que cela peut permettre de protéger leurs droits ?

Oh! Prière de ne pas utiliser ces expressions de propagande. Les DRM sont une restriction des droits de l’utilisateur. Ils sont injustes. Nous avons un droit de contrôle sur l’information qui se trouve dans nos ordinateurs. L’idée que les artistes ont besoin d’un tel contrôle, cest idiot ! C’est un système proposé par les grandes entreprises. Parmi les artistes, il y en a peu qui gagnent beaucoup. On veut nous faire croire que ceux-là gagneraient plus avec plus de contrôle. Mais la grande majorité des artistes, presque tous, ne gagnent presque rien et ils ne gagneraient presque rien avec les DRM. Les systèmes de DRM proposés ne permettent même pas aux artistes la production des oeuvres qui utilisent ces systèmes de DRM. Seules les grandes entreprises pourront le faire. Donc, c’est de toute évidence une excuse, une tromperie.

Alors, ne faut-il pas essayer de trouver une autre voie alternative pour protéger les artistes ?

Non, c’est idiot. C’est basé sur la supposition que les artistes sont en train de perdre quelque chose, ce qui n’est pas vrai puisqu’ils ne l’avaient pas. Cest un mensonge des entreprises que de dire que le système fonctionne pour les artistes, que les droits d’auteur fonctionnent pour les artistes. Le peu de musiciens qui ont des contrats de disque ne reçoivent presque rien à travers ces contrats. Leurs revenus proviennent des concerts. Certes, il y a une petite fraction des musiciens qui ont dépassé ces premiers contrats. Les seconds contrats leur sont plus favorables. Seules les stars arrivent à ce stade où ils gagnent vraiment de l’argent quand vous achetez leurs disques. Normalement, quand vous achetez un disque, le musicien ne gagne rien. Il n’y pas besoin de protéger ce que le système donne aux artistes parce que le système ne donne rien, dans presque tous les cas. Les exceptions concernent juste les riches. Ce n’est pas tragique s’ils reçoivent un peu moins. Donc, une licence globale pourrait être un bien meilleur système.

A votre avis, Qu’est-ce qu’une licence globale ?

Il y a quatorze ans, j’ai proposé un tel système aux Etats-Unis lorsque le gouvernement pensait à appliquer un impôt sur les bandes numériques. Jai proposé de donner tout l’argent aux artistes, rien aux entreprises, et le tout calculé selon le succès des artistes mesuré par les sondages. Largent ne serait pas distribué en proportion linéaire au succès des artistes. Le montant attribué monterait en fonction du succès, mais toujours plus lentement, de manière à ce qu’une star qui a mille fois le succès d’un autre musicien avec un succès normal puisse recevoir dix fois plus d’argent, mais pas mille fois plus d’argent. Comme cela, avec le même montant on pourrait subventionner un plus grand nombre d’artistes.

Où seraient prélevés ces 10% ?

Comme un impôt, comme cela était prévu dans la proposition de licence globale. Mais, je ne connais pas tous les détails de cette proposition en France. Je crois que l’argent irait surtout aux éditeurs de disques. Je suppose que cette licence globale n’avait pas cette formule non linéaire dont je viens de parler et qu’elle aurait donc été moins efficace dans un but social. Soutenir les artistes, c’est à dire soutenir la musique, c’est un bon but. Mais soutenir les entreprises qui cherche à nous ôter la liberté, c’est idiot. Payer ne me gêne pas. J’achète des disques commerciaux légitimes, bien que cela ne paye pas les musiciens, ce qui me fait un peu honte. Mais j’attache beaucoup d’importance à ma liberté. Je n’ai jamais acheté des disques avec des DRM. Je ne les accepte jamais, même comme cadeaux. Deux fois dernièrement, j’ai reçu en cadeau des disques corrompus et je les ai refusés. Jai dis « Il faut les rendre aux magasins pour qu’ils ne gardent pas votre argent ». Il faut également rejeter les DVD haute densité parce qu’ils comprennent des DRM que personne ne sait contourner. Si vous ne pouvez pas le copier, vous ne devez pas l’acheter. (suite de l’interview en deuxième page)