Stephane Van Gelder (gNSO) : « Le modèle ICANN à peaufiner mais certainement pas à remplacer »

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Fondateur du bureau d’enregistrement INDOM et membre du gNSO (ICANN), Stéphane Van Gelder revient sur la récente affaire de désactivation massive de noms de domaine aux Etats-Unis. Elle touche la gouvernance du Net.

La gouvernance de l’Internet fait toujours débat. Elle devrait d’ailleurs trouver sa place dans le prochain « G8 de l’Internet » sous la présidence française et à la demande de Nicolas Sarkozy.

Quel modèle adopter pour piloter les instances internationales telles que l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), qui reste à ce jour sous bannière américaine ?

Selon Stéphane Van Gelder, dirigeant du bureau d’enregistrement français INDOM et membre du generic Names Supporting Organization (gNSO, organisation de support technique de l’ICANN), il faut que le modèle de gouvernance évolue.

Il s’agit notamment d’éviter des dommages collatéraux dans les affaires de désactivation de domaines, comme on a pu le voir récemment aux Etats-Unis. (Interview réalisée le 07/03/2011)

ITespresso.fr : Pour installer le cadre du débat, pourriez-vous préciser la fonction du gNSO au sein de l’ICANN ?
Stéphane Van Gelder : En 1998, l’administration Clinton a créé l’ICANN, qui assure depuis la fonction de régulateur technique de la partie nommage (noms de domaine) et adressage (adresses IP) de l’Internet. On peut considérer l’ICANN comme un organe de gouvernance d’un type nouveau, puisqu’il vise à associer toutes les parties prenantes : gouvernements, entreprises du secteur privé, les utilisateurs, les sociétés de l’industrie du nommage, la recherche, les juristes… Ce modèle innovant a deux grands atouts. D’abord, il permet de suivre l’évolution très rapide de l’Internet. Ensuite, il évite le risque de « capture » du système par un acteur unique. Les récents évènements en Égypte montrent qu’il n’est pas souhaitable de voir le contrôle de l’Internet confié aux seuls États. Le modèle de l’ICANN repose donc sur des entités de décisions : des « comités de soutien » (Supporting Organizations ou SO) d’un côté et des « groupes de conseil » (Advisory Committees ou AC) de l’autre. L’ensemble converge vers le conseil d’administration de l’ICANN. Cette administration compte deux SO : le ccNSO (pour « country code Name Supporting Organization ») et le gNSO (pour « Generic Names Supporting Organization »). Comme son nom l’indique, le gNSO prend en charge les extensions génériques (principalement utilisées sur Internet) comme le « .com »ou le « .org ».

ITespresso.fr : Comment fonctionne le gNSO ?
Stéphane Van Gelder : Le gNSO est dirigé par un Conseil, composée de deux chambres. La première est uniquement ouverte aux entités ayant un contrat direct avec l’ICANN : bureaux d’enregistrement des noms de domaines (registrars en anglais), gestionnaires d’extension (registries)… Dans l’autre chambre se réunissent les juristes, les fournisseurs d’accès, les sociétés commerciales (n’ayant pas de contrat avec l’ICANN) et les utilisateurs. Le Conseil du gNSO a un président et deux vices-présidents. Si chaque chambre sélectionne son vice-président, le président est élu par l’ensemble des conseillers. Pour être éligible, il faut d’abord appartenir à l’un des collèges du gNSO. Celui que je représente est logiquement le collège des registrars. Ce collège est ouvert à tous les registrars accrédités par l’ICANN. Mais ces derniers ne deviennent pas membres du collège automatiquement. Ils doivent y cotiser.

ITespresso.fr : Quand avez-vous décidé d’impliquer votre société INDOM dans la gouvernance Internet ?
Stéphane Van Gelder : C’est en 2007 qu’INDOM – bureau d’enregistrement français dont j’assure la direction – a choisi d’adhérer au collège des registrars du gNSO. Nous nous sommes impliqués davantage dans les instances de gouvernance de notre secteur industriel. Très vite, je me suis présenté à l’élection du bureau exécutif de ce collège. J’ai d’abord été élu en tant que trésorier, puis je me suis ensuite porté candidat pour représenter le collège « registrars » au Conseil du gNSO. J’y siège depuis 2008. Je suis le premier Français élu au Conseil du gNSO. Fin 2010, j’ai été élu à la présidence du gNSO. C’est une vraie élection avec des enjeux importants. Le gNSO peut modifier toutes les règles concernant les extensions génériques.

ITespresso.fr : Quelles règles par exemple ?
Stéphane Van Gelder : Le gNSO est à l’origine du programme de création des nouvelles extensions de noms de domaine. Un chantier qui occupe l’ICANN et la communauté Internet depuis 2008. Pour être élu à la présidence du gNSO, il faut donc convaincre les représentants de firmes comme Time Warner ou Yahoo, les représentants des utilisateurs du monde entier, des avocats américains spécialistes des nouvelles technologies, mais aussi les fournisseurs d’INDOM au quotidien (registres, bureaux d’enregistrement partenaires…).

ITespresso.fr : Selon votre avis, la gouvernance de l’Internet n’était pas assez dissociée du gouvernement américain. La preuve serait fournie avec les injonctions des autorités visant à déconnecter des domaines de manière unilatérale…
Stéphane Van Gelder : Ce n’est pas exactement mon propos. J’ai dit que la gouvernance actuellement incarnée par l’ICANN devrait être plus fortement associée aux actions de lutte contre la cyber-criminalité. Les récentes actions de l’administration américaine n’ont rien à voir avec l’ICANN ou l’écosystème de la gouvernance de l’Internet. Il s’agit d’actions engagées de manière unilatérale par le département du Homeland Security [équivalent d’un ministère de la sécurité intérieure, ndlr] et plus spécifiquement sa division ICE (immigration et douane). Ces départements fédéraux n’ont rien à voir avec les relations que l’ICANN entretenaient avec le gouvernement américain jusqu’à la fin du contrat en 2009 [l’interlocuteur principal était le ministère du commerce, ndlr]. Leurs actions ne peuvent donc absolument pas être ramenées à la question d’une éventuelle mainmise de l’Amérique sur l’ICANN. En revanche, elles sont emblématiques des dangers liés à l’exercice d’un contrôle unilatéral sur l’Internet, faisant fi des structures de gouvernances en place. Et censer justement contrer les abus.

(Lire la fin de l’interview page 2)

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