Terrorisme : le blocage administratif de sites entre en phase opérationnelle

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En application de la nouvelle loi antiterroriste, l’administration a ordonné, sans recours à l’autorité judiciaire, le blocage de plusieurs sites djihadistes.

C’est une première depuis l’adoption de la nouvelle loi antiterroriste en novembre dernier : cinq sites Internet « provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie » sont bloqués ou en cours de blocage depuis ce lundi.

Conformément aux dispositions inscrites à l’article 12 de cette loi no 2014-1353 dont le décret d’application a été publié au journal officiel du 6 février 2015, l’autorité judiciaire a été contournée : c’est un organe administratif – en l’occurrence, le ministère de l’Intérieur – qui a enclenché la procédure la semaine passée.

Dans son collimateur figure notamment le quotidien généraliste arabophone Al-Hayat (La Vie), considéré comme l’un des principaux canaux de communication de l’Etat islamique (EI). Autre média visé : Islamic-News, un site d’information qui défend l’action des djihadistes en Irak et en Syrie, mais qui n’est « pas spécialement pro-EI », selon le journaliste spécialisé de RFI David Thomson. Les spécialistes de la mouvance islamiste le décrivent d’ailleurs comme « assez peu influent », ainsi que le note Télérama.

Les contenus sont rendus inaccessibles sans que la Place Beauvau ne motive sa décision. Tout au plus l’internaute est-il redirigé vers un message l’informant que son ordinateur « allait se connecter à une page dont le contenu provoque à des actes de terrorisme ou fait publiquement l’apologie d’actes de terrorisme ».

Des possibilités de recours sont offertes à quiconque estimerait qu’une page bloquée n’est pas illicite. La décision de l’administration devra être contestée par voie postale auprès de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC).

Pas de justice

Cet organe est habilité, en vertu des disposition renforcées sur la lutte antiterroriste, à piloter la procédure de blocage, sous la supervision d’une « personnalité indépendante qualifiée » (en l’occurrence, Alexandre Linden, un magistrat de la CNIL). Il aurait récemment transmis à l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) une liste contenant jusqu’à 50 noms de plates-formes à bloquer.

L’exercice de l’OCLCTIC est ainsi régi : lorsque les nécessités de la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou l’apologie de tels actes relevant de l’article 421-2-5 du code pénal le justifie, il lui est possible de « demander à toute personne […] de retirer les contenus qui contreviennent à cet article ».

Dans la pratique, l’autorité administrative doit adresser à l’éditeur du site ou à son hébergeur une demande formelle de retrait du contenu incriminé. En l’absence de réaction dans un délai de 24 heures, elle pourra transférer la liste des URL ciblées aux FAI ; lesquels doivent, sous 48 heures, prendre « toute mesure utile destinée à faire cesser le référencement de ces adresses ».

Le blocage pourra éventuellement être levé à l’issue d’un examen de conformité qui aura lieu à fréquence trimestrielle. A noter que la procédure ne concerne pas les réseaux sociaux, où certains contenus restent disponibles. On trouve entre autres des liens vers des vidéos de propagande et des textes en français très favorables à l’action djihadiste.

Les réserves de la CNIL

Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve assure que le durcissement du cadre de lutte antiterroriste se fait « dans le respect des libertés individuelles ».

Un avis pas nécessairement partagé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui avait manifesté son opposition au projet de loi, déplorant notamment un brouillage de « la distinction classique entre police administrative et police judiciaire » susceptible de porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs.

La CNIL a plus récemment émis un avis réservé concernant ce blocage administratif sans juge.
L’instance dénonce tout particulièrement l’opacité du dispositif et réclame davantage de précisions sur « les moyens humains, techniques et financiers dont la personnalité qualifiée disposera pour s’assurer de la régularité des demandes de retrait et des conditions d’établissement, de mise à jour, de communication et d’utilisation de la liste transmise par l’OCLCTIC ».

Une autre pierre d’achoppement concerne la confidentialité de la transmission de la liste d’adresses électroniques des sites incriminés par l’OCLCTIC aux FAI et à la personnalité qualifiée. La CNIL a noté que l’échange s’effectuerait par courrier électronique et que des mesures de sécurité étaient encore à l’étude pour en garantir « la confidentialité et l’intégrité ».

Crédit illustration : Kentoh – Shutterstock.com

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