Un des experts Yahoo s’excuse !

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Liberté d’expression contre respect de la loi, le débat est vieux comme le monde. L’affaire Yahoo l’a vivement relancé, et l’un des trois experts chargé d’éclairer le tribunal en la matière se sent bien mal à l’aise au milieu de cette prise de bec.

Ben Laurie, l’un des trois experts consultés par Yahoo sur l’affaire de la vente aux enchères d’objets nazis (voir édition du 21 septembre 2000), a publié sur son site une lettre d’excuse. Il pointe notamment sur le « remarquable manque de réflexion en profondeur sur le sujet »… Une sorte de réponse à la vive polémique qui a suivi la décision du juge français il y a quelques jours (voir édition du 20 novembre 2000).

Le 20 novembre en effet, la justice française a ordonné à Yahoo France de filtrer ses accès afin d’interdire aux internautes français la consultation des ventes aux enchères d’objets nazis hébergées sur le site américain. Pour rendre sa décision, le tribunal s’est grandement inspiré de l’avis d’un collège de trois experts sélectionnés pour l’occasion. Outre Ben Laurie, le collège était formé de François Wallon, expert en informatique et bureautique à la Cour d’appel et au Tribunal administratif de Paris, et de Vinton Cerf, considéré comme l’un des pères de l’Internet. Ce dernier s’est d’ailleurs déjà pas mal démarqué de la décision (voir édition du 20 novembre 2000). A une première injonction, Yahoo France avait en effet répondu qu’il lui était techniquement impossible d’interdire à la totalité des internautes français l’accès à des pages situées sur un serveur américain. Après plusieurs semaines de réflexion, les trois experts avaient effectivement indiqué qu’un blocage à 100 % était impossible, mais que l’on pouvait tout de même envisager un taux de réussite aux alentours de 70 %.

Une décision du juge très critiquée

Une vive polémique a vu le jour suite à la décision du juge Gomez. Et nombreuses ont été les critiques sur le manque de robustesse des solutions techniques envisagées. La reconnaissance de la provenance d’un internaute par son adresse IP peut ainsi être facilement contournée par un service d' »anonymisation » et tous les abonnés AOL, qui reçoivent pour la plupart une adresse IP américaine, sont exclus du filtrage. De plus, les partisans de la liberté d’expression ont trouvé insupportable cette décision unilatérale.

D’ailleurs, le problème ne vient pas tant des points techniques que des implications politiques de « l’affaire Yahoo ». Il s’en explique : « Les gens disent que la France n’a pas la moindre idée de ce qu’elle fait en essayant d’imposer une solution technique impraticable. C’est idiot. Le devoir des experts était de donner un avis impartial. Le devoir du juge est d’appliquer la loi du pays du mieux qu’il peut. Il est impossible de se conformer à ces devoirs sans nous retrouver là où nous sommes. Imaginez : avez-vous envie de vivre dans un monde où les juges agissent en fonction d’une conception politique ou de la publicité ? Je ne pense pas. Oui, notre solution est à moitié stupide et on peut facilement passer outre. Nous le savons. Mais cela reste le lot normal de l’application de la loi. »

L’expert avoue ses penchants libertaires

Finalement, du point de vue philosophique, il se permet de donner son avis alors qu’il s’était interdit tout jugement personnel pendant l’exécution de sa mission. « Ce que nous avions à empêcher n’était pas l’achat d’objets nazis mais simplement la possibilité de les voir. […] Ce qui était combattu était littéralement la pensée des gens. Personne ne devrait pouvoir contrôler ce que je sais ou ce que je pense. Pas le gouvernement. Pas la police de la pensée. Pas ma famille. Pas mes amis. L’Internet, c’est de l’information pure. Je trouve encourageant que le fait d’avoir mis de côté mes penchants libertaires pour répondre à la question de la Cour n’ait pas suffi à résoudre le problème. On sait que l’on a fait ce qu’il fallait quand les meilleurs efforts n’ont pas suffi à changer le cours des choses. » Bref, Ben Laurie se réjouit que personne n’arrive à contrôler le Net.

Ce que l’on sait surtout, c’est que les experts ont bien du mal à assumer leur expertise…

Pour en savoir plus :

Les excuses de Ben Laurie (en anglais)Lire aussi sur l’affaire Yahoo :

* Procès Yahoo : une décision limitée à la France ?

* D’autres que Yahoo doivent gérer les nationalités