Un patron n’a pas le droit d’ouvrir les e-mails personnels

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Pour la première fois, la Cour de cassation a rendu un arrêt sur l’utilisation privée des e-mails au travail. La décision – qui devrait faire jurisprudence – interdit à l’employeur de « prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui ». Une petite révolution.

Saisie dans le cadre d’une procédure de licenciement pour laquelle l’employeur produisait comme preuves des fichiers contenus dans un dossier intitulé « personnel », notamment des e-mails, la chambre sociale de la Cour de cassation vient de rendre un arrêt qui fera date. En effet, il est désormais établi qu’un patron n’a pas le droit d’ouvrir les e-mails personnels de ses employés, ainsi que le précise la décision datée du 2 octobre : « Le salarié a droit, même au temps et lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; (…) celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; (…) l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur. »

C’est la première fois que la plus haute juridiction française se prononce sur la question, aussi l’arrêt devrait faire jurisprudence. L’utilisation privée de la messagerie électronique sur le lieu de travail s’est déjà trouvée au centre de plusieurs affaires en justice mais, jusqu’ici, les décisions avaient une fâcheuse tendance à se contredire. A l’occasion de la 23e conférence internationale des commissaires à la protection des données personnelles (voir édition du 24 septembre 2001), lors d’une table ronde sur le thème « Vie privée, vie salariée » (voir édition du 25 septembre 2001), Hubert Bouchet, vice-président délégué de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) l’avait clairement souligné en évoquant « l’actuel tâtonnement de la jurisprudence » (voir sa contribution, disponible au format PDF). A ses côtés, Jean-Christophe Sciberras, chef du département des relations sociales de Renault, avait affirmé : « Il est reconnu formellement que, dans une entreprise, un salarié à droit à une vie personnelle. » Mais appuyant son discours sur les impératifs de sécurité, il avouait : « Si on veut avoir un contrôle, on est bien obligé de regarder. Je suis incapable d’assurer la confidentialité des e-mails. » Après l’arrêt de la Cour de cassation, il va bien falloir qu’il y parvienne.

Une victoire pour les défenseurs des libertés individuelles

Quand on considère qu’aux Etats-Unis, un employé utilisant une messagerie sur trois serait sous surveillance (voir télégramme du 9 juillet 2001), on imagine que la pratique peut être répandue en France. Début novembre 2000, le tribunal de grande instance de Paris rendait un jugement dans lequel il notait que « l’envoi de messages électroniques de personne à personne est considéré comme de la correspondance privée » (voir édition du 2 novembre 2000). L’arrêt de la Cour de cassation le confirme et va au-delà. Au moment où les attentats aux Etats-Unis réveillent les ardeurs sécuritaires, c’est une victoire pour les défenseurs des libertés individuelles en général et pour le respect de la vie privée en particulier.