Adam Eisgrau (P2P United) : « Cette décision va freiner l’esprit d’innovation »

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Le porte-parole du collectif P2P, qui comprend Grokster et Morpheus, se déclare déçu par la décision prise par la Cour Suprême américaine.

La décision de la Cour Suprême de lier les logiciels peer-to-peer (P2P) aux infractions au copyright (voir édition du jour) a provoqué un tollé parmi les sociétés high-tech qui ont parié sur cette technologie favorisant le partage des oeuvres. Le collectif P2P United est tacitement impliqué, compte tenu du rôle central d’un de ses membres StreamCast Networks, qui distribue sa technologie via Grokster et Morpheus, dans cette affaire. Pour Adam Eisgrau, porte-parole de P2P United et collaborateur de Flanagan Consulting, un cabinet de conseils spécialisé dans la règlementation touchant le domaine public, les répercussions pourraient s’étendre à toutes les innovations. (Interview réalisée le 27 juin 2005)

Vnunet.fr: Comment accueillez-vous cette décision de la Cour Suprême ?

Adam Eisgrau : En qualité de représentant de P2P United qui fédère Morpheus, Grokster et trois autres sociétés, je suis réellement déçu par cette décision. Néanmoins, je crois qu’il est important de rappeler que le P2P est légal. La décision de la Cour Suprême ne change rien de ce point de vue. En l’état actuel, nous ignorons les conséquences de cette décision sur les logiciels de Groskter et de Morpheus. Ils devraient rester à la disposition du grand public. Certes, leur nom va peut-être changer. Mais l’environnement P2P dans lequel nous évoluons ne changera pas. Cette décision de justice ne transformera pas le mode opérationnel de ces sociétés et ne modifiera pas non plus la manière dont les gens utilisent le P2P au quotidien. En revanche, elle pourrait modifier la perception des représentants du Congrès vis-à-vis de cette technologie. Il est grand temps que le secteur du P2P réalise du chiffre d’affaires de manière pérenne, qu’il tende à assurer une protection maximum des ayants droit et que les acteurs du secteur du divertissement embrassent cette technologie. Nous avions essayé de monter des projets constructifs il y a des années. Je vous rappelle que Morpheus avait tenté d’entamer une collaboration avec RealNetworks pour promouvoir Rhapsody, son service de musique en ligne accessible sur abonnement. Mais l’industrie du disque a fait pression pour bloquer ce partenariat.

Cette décision de la Cour Suprême ne risque-t-elle pas de refroidir l’enthousiasme pour la technologie P2P ?

C’est certainement la plus grande appréhension. Comment attirer les investisseurs vers les nouveaux logiciels et les nouveaux produits de consommation dans un environnement juridique aussi risqué et hostile ? Nous sommes loin de l’esprit de la jurisprudence Sony des années 80 (*) qui protégeait les inventeurs d’éventuelles actions en justice si des utilisateurs étaient amenés à détourner l’usage d’une technologie. Avec la décision que vient de rendre la Cour Suprême, les développeurs doivent être conscients des risques directs de procès liés aux infractions au copyright. Nous pourrions déborder rapidement vers une remise en cause de l’ensemble des nouvelles technologies. Après tout, l’industrie du disque pourrait très bien se tourner du côté d’Apple pour demander des comptes sur les iPod. En effet, chaque client à la possibilité de copier des centaines de fichiers sur son baladeur numérique. Qui peut croire que tous les fichiers téléchargés sont légaux ?

Estimez-vous que les vagues de poursuites contre les pirates P2P vont s’intensifier ?

Je ne sais pas. Mais l’industrie du divertissement est imprévisible et très puissante.

Quelles armes vous reste-t-il pour poursuivre votre combat ?

Nous allons poursuivre nos programmes d’information et de sensibilisation sur la vraie nature du P2P auprès du grand public et du Congrès.

* En 1984, dans un procès opposant Sony Corporation et America Universal City Studios concernant la commercialisation des magnétoscopes, la Cour Suprême des Etats-Unis a décidé que « la vente de matériel de duplication, tout comme la vente des autres articles de commerce, n’est pas constitutive d’une violation accessoire si le produit est généralement utilisé dans un but légitime et acceptable ».


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