Carlo Revelli (AgoraVox) : « Je m’inquiète pour le citoyen »

Mobilité

L’application de la loi sur la prévention de la délinquance pourrait mettre
en porte-à-faux des plates-formes de partage de vidéos et des médias citoyens.

Avec l’adoption définitive (qui devrait avoir lieu dans la soirée à l’Assemblée nationale) de la loi sur la prévention de la délinquance, un certain nombre de contraintes nouvelles risquent de se poser aux plates-formes françaises de diffusion vidéo comme Dailymotion ou AgoraVox TV. Particulièrement la diffusion d’images en rapport avec l’atteinte à l’intégrité de la personne. En d’autres termes, des images d’agression physique.

En effet, l’article 26 bis A Section 4 bis du texte interdit désormais à quiconque, sauf à la presse dite professionnelle, de filmer ce type de scène et encore plus de les diffuser en ligne. Que les auteurs de la diffusion aient ou non un rapport avec les agresseurs. Pour la Ligue Odebi, cet article s’assimile à une volonté délibérée de contrôler le journalisme citoyen. Pour sa part, l’association Wikimedia France déplore une rédaction floue du texte.

« Il n’est pas évident de faire la part des choses entre un combat juste et noble, notamment sur la protection de l’enfance, et les dérives hypothétiques (car il ne s’agit que d’hypothèses pour le moment) qui pourraient en découler « , affirme Carlo Revelli, co-fondateur avec Joël de Rosnay du site d’expression citoyenne AgoraVox.fr et sa déclinaison vidéo AgoraVox.tv. « Mais si le fait de poster une vidéo montrant une dérive policière lors d’une manifestation devient un délit, alors oui, cela pose un problème à des sites comme le notre. »

Conjonction inquiétante de trois éléments

Plus que l’article litigieux du texte de loi, c’est la conjonction de trois éléments qui arrive en période de campagne électorale qui inquiète l’entr epreneur. « Un hasard du calendrier », ironise-t-il. Carlo Revelli fait naturellement référence à la loi sur la délinquance, le rapport de Marc Tessier sur la presse au défi du numérique pour le compte du ministère de la Culture, et le projet de décret pour la création d’une commission de déontologie d’Internet. Ce projet vise à « encadrer » à coup de labels les acteurs de la société de l’information (fournisseurs d’accès, hébergeurs, plates-formes de blogs, etc.). Le rapport de Marc Tessier préconise également une « labellisation » des sites Web en regard de critères de qualité qui seraient édictés par le gouvernement. Les sites labellisés bénéficieraient alors d’aides financières diverses.

« Je ne suis pas contre les labels », précise Carlo Ravelli,  » mais le lien entre le label et l’obtention des aides sous forme d’exonération de charges est délicat. Car si on le donne, on peut aussi l’enlever. » Un peu à l’image de la Commission paritaire qui attribue ou retire ses soutiens aux titres de presse. « Certes, on peut refuser les aides », ajoute notre interlocuteur, « mais dans ce cas, quelqu’un d’autre en profite et cela crée une concurrence déloyale. » Sans même parler des critères qu’il faudrait respecter pour obtenir les labels. « Il n’est même pas certain que Agoravox rentrerait dans le processus du label. »

Ce n’est par absence de régulation. Selon le co-fondateur d’AgoraVox, tous les articles publiés sur le service en ligne font l’objet d’un contrôle rigoureux. Une quinzaine de lecteurs, par ailleurs rédacteurs réguliers et reconnus du site d’informations citoyennes, lisent l’intégralité des 50 à 60 contributions quotidiennes. Celles qui sont retenues subissent une deuxième validation par cinq employés de Cybion, l’entreprise de Carlo Revelli spécialisée dans l’intelligence économique sur Internet. Enfin, le mot de la fin est laissé aux lecteurs qui sont « impitoyables ». « Sur les plus de 10 000 articles publiés, c’est arrivé moins de cinq fois », soutient Carlo Ravelli.

Le jeu du chat et de la souris

Que ferait-il s’il recevait une vidéo au contenu contraire à l’article 26 bis de la nouvelle loi sur la prévention de la délinquance? « Je vérifierais où est hébergé le fichier vidéo et je le publierais s’il n’est pas stocké sur des serveurs français », répond l’entrepreneur. « C’est un truc débile du jeu du chat et de la souris », convient-il, « mais quand on essaie de contraindre les gens, il y a toujours des formes de détournement ». Carlo Revelli n’en est pas moins conscient de ses responsabilités en tant que diffuseur de contenu comme l’entend la loi sur l’économie numérique. Après avoir été prélablement averti de la présense d’un lien jugé illégal, il serait obligé alors de le retirer sous peine de poursuite.

« Je ne crois pas qu’on va en arriver là », estime confiant le porte-parole d’Agoravox, « c’est tellement gigantesque. Je n’ose pas penser qu’il s’agit d’une décision claire du gouvernement [de vouloir museler le journalisme citoyen]. ». L’homme n’est pas particulièrement inquiet pour Agoravox qui pourrait toujours demander le statut de presse professionnelle pour se protéger de la loi. « Je m’inquiète pour les citoyens. » Qu’en serait-il si, par exemple, il n’est plus possible de montrer les séances parfois houleuses des conseils municipaux, pourtant publiques, où il arrive qu’une partie de l’assistance se fasse éjecter par un service d’ordre musclé?  » C’est un combat d’un autre temps », conclut Carlo Revelli en évoquant l’idée d’un contrôle autoritaire de l’information. Un temps qui pourrait bien rattraper la réalité.

(Article modifié le 23 février 2007.)