Interview Benoît Legrand – ING : « Il faudrait un Free pour bousculer la banque en France »

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Alors qu’un nombre croissant de Français délaissent leur agence pour gérer directement leurs comptes, le patron d’ING France plaide pour un nouveau modèle bancaire. Basé sur le besoin client et la co-innovation.

« Changeons la banque ! » Le titre du livre de Benoît Legrand, sorti le 9 avril aux éditions du Cherche Midi, donne le ton.

Le dirigeant d’ING en France, le pionnier de la banque en ligne, plaide pour une implosion du modèle bancaire traditionnel sous les coups de boutoir de la révolution numérique.

De fait, depuis la crise financière de 2008, le divorce entre les Français et leur banquier est consommé. A la question « Recommanderiez-vous votre banque à vos amis et collègues ?», seulement un quart de nos compatriotes seraient disposés à le faire selon une étude du cabinet Bain & Company de 2014.

Non seulement, les Français sont mécontents des services proposées par leurs banques mais ils paient aussi les frais bancaires les plus élevés en Europe. 157 euros selon le rapport de Pauget Consans remis en 2010 à Bercy contre 114 euros au Royaume-Uni ou 68 euros aux Pays-Bas.

Pour autant, seulement 3 % changent de banque chaque année, trois fois moins que la moyenne européenne.

ITespresso.fr : Les Français n’aiment pas leur banque mais n’en changent pas. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Benoît Legrand : C’est une spécificité historique et culturelle. Les Français aiment le changement… mais pour les autres. A leur décharge, il est vrai que changer de compte relève du casse-tête. Il y a un vrai manque de mobilité et de fluidité dans le secteur bancaire hexagonal. Avec l’angoisse qu’entre-temps les virements et les prélèvements ne s’effectuent plus et de se retrouver fiché à la Banque de France.

Dans le monde idéal, chaque particulier aurait un numéro de compte universel qui serait portable comme un numéro de téléphone mobile. Mais c’est difficile à réaliser compte tenu du codage européen (IBAN).

En attendant, le Royaume-Uni a contraint ses banques à transférer les comptes en sept jours pour tout détenteur qui en fait la demande. Grâce à ce « switching service », le nombre de britanniques qui ont changé de banque a progressé de 20 %.

En France, on tâtonne depuis dix ans avec les lois Châtel et Lagarde. Elles ont imposé plus transparence. Les utilisateurs savent maintenant précisément à combien s’élèvent leurs frais bancaires. Ce qui ne les a pas empêchés d’augmenter de 20 % depuis ! Pour que les clients soient plus mobiles, il faudrait l’entrée d’un opérateur atypique comme Free qui a bouleversé le marché de la téléphonie mobile.

ITespresso.fr : ING pas d’agences mais vous cultivez le contact client et la co-innovation…

Benoît Legrand : Notre application mobile obtient 4,4 sur l’iTunes Store, un score nettement plus élevé que celui de nos concurrents. Ce n’est pas hasard. Elle a été développée par nos clients depuis quatre ans. Sur Le Web Café, ils peuvent nous soumettre leurs idées, leurs suggestions d’amélioration. Il y aussi un forum où clients et non clients s’entraident. Notre page Facebook a plus de 100 000 fans.

Enfin, si nous n’avons pas d’agences physiques, nous avons deux centres d’appel et deux cafés, l’un à Paris et Lyon, où les clients viennent échanger entre eux ou avec des collaborateurs d’ING. En interne, nous avons aussi adopté le Lean startup, en partant qu’un responsable marketing n’a pas le monopole des idées. Il partage cette compétence avec les développeurs qui conduisent des entretiens avec les clients.

ITespresso.fr : Vous ne souhaitez pas tomber dans la gadgétisation et l’innovation à tout prix…

Benoît Legrand : En effet, quel intérêt, aujourd’hui, de lire le solde de son compte sur sa montre connectée ? L’innovation doit être en phase avec les attentes des clients. Elle doit leur simplifie la vie, les rendre autonomes. C’est comme ça que les GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon, NDLR] raisonnent. En partant d’un besoin. A la différence du modèle des « banques à papa » qui consiste à dire : « J’ai mes coûts, mes frais de structure, combien dois-je charger mes clients pour être rentable ? ».

ITespresso.fr : Que pensez-vous du crowdfunding qui vise justement à court-circuiter les banques ?
Benoît Legrand :. : Pour moi, le crowdfunding ne concurrence pas le métier de banquier, il le complète. C’est le prolongement de la love money. Je suis convaincu que ce mode de financement a un grand avenir. Il fluidifie le marché. Pour autant, cela reste du private equity, du capital risqué. Il ne doit pas être pris comme une alternative au livret A par des particuliers non avertis.

Si des banques traditionnelles se mettent au crowdfunding [BPCE, Groupama Banque, Crédit Mutuel ont fait récemment des annonces dans ce sens, NDLR], c’est plus dans une stratégie défensive, pour occuper le terrain. De même, les grands établissements ont tous une banque en ligne sans vraiment s’y impliquer.

ITespresso.fr : Retraits en distributeurs, achats par CB, transactions sur internet… Une banque, dites-vous, a les moyens de tout connaître d’un client. Faut-il avoir peur du big data ?

Benoît Legrand :Tout dépend pour quoi faire. Une fois encore, le besoin prime. Le big data doit aider le client à gérer son budget, à recevoir des propositions commerciales pour peu qu’il en émette expressément le souhait. Et non permettre à une banque de refourguer ses produits.

Des études récentes l’ont montré. Les Français sont prêts à confier leurs données personnelles pour peu qu’ils en perçoivent le bénéfice, voire une contrepartie financière. Chaque jour, des milliers d’internautes donnent un blanc-seing aux GAFA en validant leurs conditions générales d’utilisation sans même les lire. Tout est question de confiance.

ITespresso.fr : Vous finissez votre livre par trois scénarios dont deux assez radicaux…

Benoît Legrand : Dans le scénario 1, les banques sont balayées par les GAFA et les FinTech, la carte bancaire plastique est remplacée par une puce sous la peau.

Dans le scénario 3, les banques se transforment en hypermarchés où les clients – autonomes et éduqués – choisissent les produits financiers en rayons. Elles vendent aussi des voitures, de la domotique, de l’immobilier, des services à la personne issues de marques différentes.

Le scénario intermédiaire est celui suivi actuellement par les grandes banques françaises. Ces dernières tentent de jeter des passerelles entres les agences physiques et le digital en proposant des offres en libre-service, la visioconférence avec des conseillers… Le scénario qui gagnera sera celui qui sera mettre le client au centre des considérations.

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