Jean-Michel Planche (Witbe) : « Travailler avec les opérateurs mondiaux, c’est aussi passionnant qu’être opérateur soi-même »

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Witbe (monitoring de services IT) fête ses dix ans. En tant que pionnier du Net français, son président Jean-Michel Planche revient sur la décennie 2000 – 2010 : bulle Internet, haut débit, Internet mobile, IPv6, fibre, neutralité du Net…

En dix ans, Witbe est devenu l’un des plus grands fournisseurs français de solutions de monitoring de la qualité et disponibilité des services IT.

Son co-fondateur et président Jean-Michel Planche revient sur la décennie 2000 – 2010 riche en évènements : la bulle Internet, le haut débit, l’Internet mobile, IPv6, fibre optique, neutralité du Net…

Quel avenir numérique pour la France ? Le « Seigneur des réseaux » (difficile de rester humble après un tel surnom donné par Informatiques Magazine en mars 2002) nous livre sa vision dans une interview fleuve… (Interview réalisée le 22 décembre 2010)

ITespresso.fr : Vous avez fondé Witbe en l’an 2000. Finalement, LE bug n’a pas eu lieu… en revanche, la bulle Internet a explosé. Quels sont vos souvenirs de cette période ?
Jean-Michel Planche : Quels souvenirs ? Et bien globalement du meilleur au pire. Le meilleur était la création de Witbe dans une période d’euphorie. Tous les financiers de la place voulaient placer leur argent dans la valeur « Planche » (à cause de mon « track record »). Et puis la bulle s’est dégonflée et j’ai commis l’erreur de dire aux financiers que je viendrais les voir avec un vrai projet, une équipe, des produits et des clients. Cela nous a pris deux ans et là …la valeur « Planche » n’était plus la même. A cause du « track record » des autres… (rires). Alors je retiens au moins deux choses, à commencer par la fin de l’illusion de penser que chez nous aussi en France, « c’était possible ». En effet, avant l’éclatement de la bulle, on se serait presque cru en Californie. Tout était possible. On pouvait financer de grandes choses. Les projets jaillissaient de partout, même les plus improbables. Puis tout s’est emballé. On a beaucoup chargé, à tort, les start-up. Les responsables ont été certains financiers et les grands groupes qui se sont mis à « jouer » à la hauteur de leurs moyens et de leur folie. Ilsnous ont fait perdre des milliards et beaucoup de temps et de cheveux. Bien sûr que les start-up ont eu leur part de responsabilités, mais pas toutes, loin s’en faut. Le second point est une irruption de parasites comme on n’en avait jamais eu avant et qui n’avaient aucune décence. Ces gens qui pour beaucoup sortaient de cabinets de conseils ou même juste de l’école et se faisaient courtiser sur la base de business plan stupides en nous expliquant qu’ils « valaient » 100 MF (on disait « patates » à l’époque). Pourquoi je dis indécent : parce qu’à la même époque, des infirmières manifestaient dans la rue pour être reconnues et pour gagner quelques dizaines de francs de plus. Cela n’empêchait pas des morveux de venir m’expliquer la vie et me demander la taille de mon fonds (sic!)

ITespresso.fr : Qu’est-ce que le 11 septembre 2001 a changé dans votre vie, dans votre entreprise… ?
Jean-Michel Planche : Honnêtement, pas grand-chose, sauf que cela a été encore plus difficile, mais nous commencions à être habitués. En ce qui me concerne, je n’avais pas besoin du 11 septembre pour retrouver le sens des réalités. Quand c’est arrivé, au-delà de l’émotion et de la compassion, je me suis dit que là, cela ne pouvait plus être pire. C’était complet ! Il faut savoir que depuis l’éclatement de la bulle, chaque lendemain était pire que la veille. Les bourses dévissaient. Mes actifs fondaient comme neige au soleil (du moins ceux que j’avais fait gérer par des professionnels de la profession) et, dans le même temps, nous avions beaucoup de mal à rencontrer notre vrai marché, tant il était accaparé à se sauver lui-même. J’avais déjà pris mon 11 septembre sur la tête depuis longtemps.

ITespresso.fr : Le haut débit s’installe en 2002. Quel impact pour le réseau national ? Et par extension au niveau mondial ?
Jean-Michel Planche : Curieusement peut-être, je pense que c’est moins l’aspect vitesse dans le haut débit qu’il faut retenir. La véritable transformation est lorsque nous avons pu amener un modèle économique « always on » à l’Internet et pour tous. Il fallait « sortir » la data des commutateurs téléphoniques, faits pour taxer. Il fallait créer le réseau que l’Internet méritait. Jusque-là, l’Internet était un sous-ensemble du réseau voix. A partir du moment où l’Internet a eu son véritable réseau et où les utilisateurs n’avaient plus à se soucier du prix de la facture finale, les usages ont pu exploser. Par la démocratisation de l’accès, un véritable marché de masse a pu se faire jour et de nouveaux services novateurs apparaître. L’Internet a progressivement « aspiré » tous les usages et la masse critique de consommateurs étant là (à la différence de l’an 2000) … le succès de masse est arrivé.

ITespresso.fr : L’avènement du « Web 2.0 » dans la période 2004-2005 : nouvelle bulle ou bouffée d’oxygène ?
Jean-Michel Planche : Compliqué de répondre en quelques mots. C’est un peu de tout cela à la fois et aussi autre chose. En fait, le Web 2.0 ne veut pas dire grand-chose pour ceux qui ont connu les fondamentaux de l’Internet et même les premiers navigateurs ou la vision de Tim Berners-Lee et de son équipe. L’Internet veut dire symétrique à la base et donc que l’on puisse lire, mais aussi écrire. Que l’on puisse participer n’est en soi ni une révolution, ni même une évolution, c’est dans les gênes de « l’Internet de base » (« le 0.0 »). On est juste passé du Web plaquette, digne héritier du Minitel, au Web pour et par tous. Et où certains ont même poussé le bouchon encore plus loin en s’accaparant la valeur créée par les internautes. Marc Davis (ancien Vice-Président en charge du marketing mobile chez Yahoo) déclarait dès 2006, « pour la première fois dans l’histoire de notre industrie et même dans l’histoire…nos fournisseurs sont nos clients« . Il avait au moins l’honnêteté de le reconnaître, de le dire et surtout de nous remercier. Ce n’est plus arrivé depuis… :-)

(Lire la suite de l’entretien page 2)

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