Jérôme Roger (SPPF) : « La Cnil ne nous laisse d’autre choix que la répression »

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Pour le syndicat fédérant les grands labels indépendants, la balle est désormais dans le camp du législateur pour appliquer « la riposte graduée ».

Le refus de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) d’autoriser la surveillance des échanges sur les réseaux peer-to-peer (voir édition du 25 octobre 2005) ne plaît pas aux sociétés d’auteurs et de producteurs de musique. La Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), qui fédère les principaux labels indépendants, estime que l’organisme chargé d’encadrer l’exploitation des données nominatives en France « ne laisse d’autre choix aux sociétés civiles que la répression ».

Une situation que la SPPF déplore. Elle attend beaucoup des débats parlementaires relatifs au projet de loi sur les droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI), prévus en décembre. Jérôme Roger, directeur général de la SPPF, apporte quelques précisions.

Vnunet.fr: La décision de la Cnil vous-a-t-elle supris ?
Jérôme Roger : Je ne suis pas totalement surpris par la décision de rejet de la Cnil. Nous avions pressenti un certain nombre de réserves de cette instance vis-à-vis de la mise en oeuvre de traitements informatiques automatisés de données et de l’envoi de messages d’avertissement aux internautes ayant téléchargé illicitement des fichiers sur des réseaux peer-to-peer. La surprise vient plutôt de la motivation de cette décision. Nous estimons que la position de la Cnil se lit entre les lignes et qu’elle nous oblige à opter pour des solutions uniquement répressives. Ce qui est incompatible avec la charte antipiratage que nous avons signée avec les fournisseurs d’accès Internet en juillet 2004 et dans laquelle nous prônons une stratégie de prévention et de répression.

Après le feu vert accordé aux éditeurs de logiciels de loisir pour surveiller les réseaux, on aurait pu imaginer une autorisation similaire pour l’industrie musicale?
Dans le cas du Sell, la collecte des données sert à engager des actions pénales ou civiles. La Cnil avait donné son accord uniquement dans cette configuration. La masse d’oeuvres de l’industrie du jeu vidéo mises en distribution sur les réseaux peer-to-peer n’est pas comparable aux dégâts infligés à l’industrie du disque, dont les fichiers qui circulent sur la Toile se compte par centaines de milliers. Notre demande était proportionnelle à l’hémorragie que nous subissons.

Comptez-vous formuler une nouvelle demande auprès de la Cnil ?
Nous étudions la possibilité d’un recours devant le Conseil d’Etat. Il nous semble indispensable de mettre en oeuvre ce que l’industrie du cinéma appelle la « riposte graduée ». Personnellement, je préfère parler de « demande graduée » mais nous parlons de la même chose. POur l’instant, il faut bien comprendre que la décision de la Cnil compromet toute possibilité d’appliquer ce concept qui combine prévention et répression. Seul un cadre législatif approprié permettra de le développer.

Qu’attendez-vous des débats parlementaires sur le projet de loi sur les droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information ?

Je crois savoir que le gouvernement travaille à l’élaboration de la solution de riposte graduée dans le cadre de la transposition en droit national de cette directive européenne. L’idée pourrait consister à confier à une autorité indépendante le soin de recueillir des données personnelles avec pour finalité d’envoyer des messages d’avertissement, puis éventuellement d’infliger des amendes aux internautes. Ce serait un dispositif complémentaire aux poursuites engagées contre les internautes mettant à disposition un grand nombre de fichiers musicaux (c’est-à-dire les plus gros « uploaders ») de manière illicite.

S’il ne reste que le volet répressif, le modèle américain de la Recording Industry Association of America (RIAA), qui lance de manière massive et récurrente des actions en justice, pourait-il être importé ?
Les mentalités américaine et française sont différentes. Je ne suis pas favorable à l’importation des méthodes appliquées par la RIAA.

La répression va-t-elle être accentuée en France en attendant les débats au Parlement ?
Non, nous ne tenons pas à engorger les tribunaux avec des plaintes liées à la contrefaçon numérique. De plus, ce sont des procédures coûteuses. Nous attendons plutôt une vraie réponse du législateur pour proposer une voie équilibrée entre la prévention et la répression.

La riposte graduée n’est pas enterrée, selon le gouvernement
La décision de la Cnil de ne pas autoriser le repérage automatique des internautes qui mettent de la musique à disposition sur les réseaux peer-to-peer ne remet pas en cause les stratégies de prévention du piratage sur Internet dites de « riposte graduée », a indiqué le ministère de la Culture mercredi dans un communiqué. « La Cnil ayant précisé que les messages de prévention ne sont pas possibles dans l’état actuel des textes, l’examen de la transposition de la directive européenne sur le droit d’auteur pourrait être l’occasion de faire évoluer le cadre juridique et de l’adapter à ce nouvel environnement », précise Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture, qui a rencontré Alex Türk, président de la Cnil, dans la journée de mardi.


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