La vente, le talon d’Achille d’Apple ?

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Alors que Cupertino multiplie les ouvertures de sites de vente aux Etats-Unis et pour la première fois à l’international, la révolte gronde dans les réseaux de revendeurs français qui se plaignent de leur système de rétribution. Mais Apple a-t-elle une réelle stratégie de distribution ?

La décroissance de la part de marché d’Apple n’est-elle due qu’à ses errements à l’occasion de la course aux mégahertz ? « En fait, depuis deux ans, la part de marché de la firme est passée de 4 à moins de 2 % en France », nous explique Olivier Rimmel, directeur général de Mediacash, un revendeur en ligne fort de près de 200 000 clients. « Avec une baisse pareille, équivalente à 60 % sur ce court laps de temps, pour nous, Apple n’a plus envie de vendre d’ordinateurs. Dans sa situation, cette entreprise devrait chercher à développer un réseau et étoffer une stratégie de distribution. Mais les nouvelles conditions commerciales imposées par la filiale française, présentées comme une remise fonctionnelle, cachent une baisse de 0,5 % de la marge des revendeurs en France qui s’élève au mieux entre 5 et 7 %, y compris la marge arrière reversée par les grossistes (d’environ 3 à 4 % en moyenne, Ndlr), qui ne la payent en réalité qu’au lance-pierre. » Des mots durs qui cachent une situation du réseau de vente particulièrement hétérogène : en cours de refonte depuis près de deux ans, celui-ci s’avère plein de lacunes. « De fait, si Apple se présente comme une société particulièrement innovante sur le plan du matériel (encore faut-il nuancer, en fonction des gammes de produits), l’entreprise ne sait pas faire en matière de distribution », nous a expliqué un proche du dossier désirant garder l’anonymat. « Ils sont même allés jusqu’à proposer aux revendeurs d’implanter des bornes de ventes reliées par Internet à leur AppleStore ! », s’insurge un autre acteur. L’écheveau s’avère complexe à démonter !

Des magasins agréés

La vente directe par le biais de l’Apple Store se présente comme la voie privilégiée par la firme, qui n’hésite pas à communiquer essentiellement par e-mail auprès de ses clients, mais qui a également mis en avant une politique de rétribution des sites Internet utilisant ses bandeaux de publicité. Certains sites d’aficionados génèrent ainsi de bons niveaux de ventes pour la filiale de Cupertino. Derrière l’Apple Store, Apple France vient de revoir sa politique de centres agréés. La filiale entend clarifier la structure de son réseau en insistant sur la qualité de présentation de certains revendeurs agréés. Notre confrère Distributique a détaillé dans son édition du 13 mai les conditions de fonctionnement du nouveau modèle d’Apple Center. Doivent les seconder des Apple Solution Experts, compétents sur des marchés verticaux. « En gros, Apple cherche à se composer un parc de magasins agréés en ville, conçu autour de conseils et d’un service remis à niveau grâce à une formation spécifique. Ce réseau pourrait vivre correctement sur ce modèle. Pour le reste, l’entreprise privilégie la vente directe, en ligne ou par téléphone », nous confirme un revendeur dubitatif. En dehors de ce réseau de magasins « agréés », les revendeurs indépendants composent une part non négligeable des forces de ventes, notamment les quelques revendeurs en vente par correspondance. « Ce sont eux qui défient la reconstruction du réseau de vente : ils entrent directement en concurrence avec l’AppleStore et sont pointés du doigt pour la destruction d’image de marque qu’ils sont supposés générer en tant que VPCistes. Nous allons réveiller l’association des revendeurs en colère, l’ADA », indique Olivier Rimmel, lui-même aux commandes d’un concurrent de l’AppleStore. L’ADA (Association des distributeurs Apple) rassemblait 250 distributeurs en septembre 2000 (voir édition du 13 septembre 2000). « De toute façon, même si nous percevons une intention d’achat chez nos clients, il ne se déclenche pas en raison de la difficulté de la migration vers Mac OS X et du peu d’intérêt que suscitent les actuels G4. » Notre enquête de décembre 2000 (voir édition du 18 décembre 2000) avait démontré que l’accueil des clients étaient parfois meilleur sur le réseau de distribution indépendant que chez les revendeurs agréés par Apple.

Un contrôle total des ventes

Le problème n’est pas seulement franco-français : aux Etats-Unis, le mois d’avril a vu l’émergence d’une contestation de revendeurs placés dans une position de non-renouvellement de leurs contrats. Et les mêmes efforts de marginalisation des revendeurs indépendants se retrouvent dans presque tous les pays du monde où la firme est présente. Japon, Allemagne, Royaume-Uni se retrouvent confrontés à une politique allant dans le même sens. Du coup, la concentration du marché se réalise par vagues successives. L’année 2000-2001 en a été un bon exemple. Que cachent ces mouvements de la part d’Apple ? « Pour nous, une des voies empruntées par Apple semble être de vouloir se concentrer sur un nombre restreint de clients capables de s’offrir des Mac. Il n’y a pas d’autre explication à leur volonté de juguler leurs propres ventes. Les réductions des prix ne sont pas transparentes et le rapport prix/produits n’est pas cohérent. Non, Apple ne connaît pas la vente », tempête le DG de Mediacash, qui avoue qu’il a quand même un vrai plaisir à vendre du Mac, dont le marché de l’occasion est toujours aussi dynamique. Mais le rythme de croisière atteint par les Apple Stores (voir édition du 27 novembre 2002), l’annonce de l’ouverture dans le courant de l’année de 20 nouveaux magasins sur l’ensemble des Etats-Unis, ainsi que l’ouverture prochaine d’une première échoppe au Japon auraient plutôt tendance à confirmer la volonté de Cupertino de réaliser le plus de ventes possibles en direct (voir édition du 22 juillet 2002). Avec une marge brute près de deux fois supérieure à son plus proche concurrent, Apple a en effet à sa disposition tous les moyens pour exercer un contrôle complet de ses ventes. Déjà près de 50 % de celles-ci ont lieu en ligne et les magasins physiques sont censés provoquer un effet de levier. Et les réflexions de Steve Jobs sur les intermédiaires de la vente ne sont pas là pour rassurer les revendeurs : le patron d’Apple avait déclaré en substance, alors qu’il était encore PDG de NeXT, qu’il fallait supprimer cette étape dans le circuit de distribution. Mais les problèmes logistiques et la faible réputation de vendeur d’Apple sont-ils propices à cette stratégie ?